Des statues dont l'une avec un sac plastique bleu sur la tête

L'IA face au défi de la pollution plastique : entre anticipations prometteuses et lacunes critiques

Les Nations Unies disposent d'un an pour finaliser un traité international visant à éradiquer la menace persistante de la pollution plastique. Et les solutions proposées par une IA ne devraient pas être utilisées.

La menace persistante de la pollution plastique est désormais incontestablement devenue un enjeu de santé publique mondiale. Résoudre de manière définitive cette problématique représenterait une victoire majeure, non seulement pour notre santé mais aussi pour celle de notre planète, pour les populations actuelles et les générations futures.

En mars 2022, plus de 175 pays ont convenu d’élaborer un traité international juridiquement contraignant pour mettre fin à la pollution plastique. Plus de 60 pays dont les Émirats arabes unis se sont engagés à élaborer un traité d’envergure pour éliminer la pollution plastique d’ici 2040. De nombreux pays, tels que les États-Unis, ont pris des engagements similaires afin d’éradiquer cette pollution. L'objectif d'éliminer entièrement la pollution plastique d'ici 2040 revêt une importance primordiale pour résoudre à la fois la crise plastique et la crise climatique. En effet, la crise plastique contribue de manière significative au réchauffement climatique, bien plus que ce qui est actuellement reconnu. En l'absence d’actions concrètes, le monde s’achemine vers la formation d’un cancer incurable, avec une augmentation prévue de 22 % de la production annuelle de plastique entre 2024 et 2050. Dans cette perspective funeste, la planète engendrerait une pollution plastique conduisant à l’expansion d'une masse délétère de déchets de plus de 62 % s'élevant à une hauteur de 3,5 kilomètres, soit près de 11 fois la hauteur de la Tour Eiffel, et compromettrait définitivement le système vital de nos sociétés.

Dans cette question centrale, quelle est la place de l’IA pour nous aider à mettre fin à la pollution plastique en moins de deux décennies ? 

Le Centre de Science des données et de l'Environnement Eric et Wendy Schmidt à Berkeley (Schmidt DSE) a collaboré avec des chercheurs de l'Université de Santa Barbara pour développer un outil interactif de visualisation des données pour aider les décideurs à élaborer des lois sur le plastique mondial. Mais cet outil interactif présente des biais et ne reflète pas la réalité de manière suffisamment objective. Il maintient la perspective que le recyclage du plastique est une composante essentielle de la solution. Bien que l’outil ait le mérite de mettre en lumière l'existence de voies réalistes, voire multiples, pour mettre fin à la pollution plastique grâce à un traité international, il est regrettable de constater qu’il n'est pas aussi bénéfique qu'il aurait pu l'être, et ce du simple fait que l'équation reste incomplète.

Selon les chercheurs qui ont développé cet outil, l'intégration d'un traité mondial robuste sur les plastiques par les Nations Unies, comprenant la bonne combinaison de neuf politiques de réduction du plastique, pourrait pratiquement éradiquer la pollution plastique d'ici 2040. Cet outil a été conçu à l'aide de l'intelligence artificielle (IA), dans le but d'anticiper comment différentes politiques incluses dans le traité pourraient collectivement réduire la pollution plastique. Il est intéressant de souligner que cette IA préconise une limitation de la production de plastique non essentiel de la même manière que nous le faisons pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Elle indique qu’une telle limitation entraînerait, à elle seule, une diminution similaire de 26 % de la pollution plastique. Ce point est en effet juste, et pour autant l'IA omet de prendre en compte l'intégralité de l'équation. Les émissions de gaz à effet de serre provoquées par chaque produit, ou bâtiments contenant du plastique, émettent des gaz à effet de serre de manière continue, mais ces données ne sont ni prises en compte ni même mesurées à ce jour.

Cela étant, l'IA semble avoir été entraîné sans tenir compte des nombreuses études récentes mettant en évidence la toxicité et la dangerosité du recyclage du plastique, ce qui, dans le contexte actuel, est non seulement regrettable, mais surtout dangereux tant il se veut une aide à la prise de décision dont les conséquences ne sont autres que celles de nos vies. L’outil met en évidence que certaines politiques spécifiques auraient un impact significatif pour créer un monde sans déchet plastique. Mais cela sous-entend que cet outil considère la pollution plastique uniquement par le biais des déchets plastiques. Avec ce prisme, il préconise par exemple qu’une obligation de fabriquer de nouveaux produits en plastique avec au moins 30 % de plastique recyclé réduise la pollution plastique de 29 %. Or, cela est inexact car la pollution plastique englobe non seulement les déchets plastiques visibles, mais aussi ceux invisibles qui s'infiltrent dans nos vies quotidiennement par le biais de micros et nano plastiques créés lors de l'usure de tous les objets contenant du plastique (plastique vierge et/ou recyclé). 

Autre exemple de politiques supplémentaires proposées par l’outil est de considérer qu’inclure la collecte de quelques centimes ou fractions de centime sur la vente de produits en plastique pour investir dans l'infrastructure de recyclage et de gestion des déchets, ferait partie d’une solution pour créer un monde sans déchet plastique. Cette proposition constitue à ce jour un non-sens sur le plan sanitaire. 

Les infrastructures de recyclage qu’une telle proposition suppose de financer, in fine des infrastructures de production de plastique recyclé c'est-à-dire d’une pollution plastique remise en circulation pour autant de nouveaux cycles qu’elles pourront le permettre. Cette remise en circulation continue de produits plastique par une forme de recyclage plastique subventionnée n’est en rien un levier de diminution des déchets plastiques. Ceux-ci réapparaîtront dans la nature, à mesure que se déroule chaque cycle de remise en circulation de ces plastiques recyclés. Et tout cela est sans compter qu’il est aujourd’hui prouvé que la toxicité du plastique recyclé est plus importante encore que celle du plastique vierge. Ces exemples illustrent les limites de l'intelligence artificielle car elle s’entraîne aussi à partir des idéologies humaines.

L’IA ne peut pas nous aider à résoudre le problème de la pollution plastique si elle est biaisée par des informations incomplètes, et pire, nous conduit à des conséquences potentiellement plus graves encore en amplifiant cette pollution déjà devenue insoutenable, par exemple en favorisant sans discernement des approches prises non pas de façon pragmatiques mais idéologiques, que beaucoup placent en réponse à tout, de manière irraisonnée, tel que le recyclage du plastique, comme si l'économie circulaire était applicable à n'importe quoi et dans n'importe quel cas, même dans le cas de matériaux toxiques, comme le plastique.

« La grande méprise au sujet du recyclage du plastique engendre un cancer bien plus pernicieux encore que le problème de la pollution plastique lui-même. » 

Cette méprise avance masquée, avec les meilleures intentions, passant pour une prétendue solution à la pollution plastique, séduisant à la fois ceux qui savent dans le fond qu’elle n’est que tromperie, mais aussi ceux qui pensent sincèrement faire ce qu’il y a de mieux en l’adoptant. Cette grande méprise est le fléau qui nous mène à de graves conséquences pour la santé humaine. Le public est souvent mal informé en pensant que la source principale de micro et nanoplastiques dans notre sang, nos poumons et le placenta provient de l'ingestion de poissons ou de crustacés contaminés. Cependant, cette information est incorrecte car incomplète. La réalité est que les micro et nanoplastiques dans notre sang et nos poumons résultent de l'exposition à l'air que nous respirons, ainsi que de l'ingestion de nanoparticules et de microparticules issues de l'usure quotidienne des produits en plastique qui nous entourent. Cela peut se produire par inhalation (en moyenne 121 000 particules inhalées par an), par ingestion (avec en moyenne 52 000 particules ingérées par an) ou même par pénétration à travers les pores de la peau. Il est crucial de comprendre que les produits en plastique génèrent des micro et nanoplastiques tout au long de leur cycle de vie, bien avant leur dégradation en tant que déchets. Il est grand temps de s'assurer de l'apprentissage de l'IA en la matière, surtout si nous prévoyons de l'utiliser pour guider des décisions pour la lutte contre la pollution plastique.

Tout comme dans le cas du changement climatique, un traité robuste des Nations Unies sur la pollution plastique ne peut être réellement significatif que si l'on reconnaît que le plastique recyclé participe à la pollution plastique, notamment par la génération de micro et nanoplastiques, et que tout produit en plastique émet des gaz à effet de serre non pas uniquement dans son état dit de « déchet » mais durant son usage, contribuant ainsi au changement climatique. Évidemment, une IA qui ignore cela, ne peut pas proposer ou aider à la décision de solutions qui nous permettent d’éradiquer le fléau de la pollution plastique. L’IA est un atout mais est aussi et surtout un appel à une plus grande responsabilité encore de la part des universités qui représentent le sanctuaire du savoir et de la connaissance quant à la diffusion d’informations scientifiquement fiables dans leur usage de l'IA, qui plus est dans un domaine qui touche à la santé. La non prise en compte d’un corpus d’études récentes de scientifiques de la santé dans une IA développé par des universitaires en vue d’aider à la décision sur les politiques publiques de réduction de la pollution plastique est une faute. 

« La propagation par voie universitaire d’informations erronées sur le recyclage du plastique peut avoir un préjudice significatif sur la santé de tous. »

De nombreux pays et régions dans le monde prennent des mesures en faveur d'une économie circulaire des plastiques, influencés par des groupes de pression qui y voient leur intérêt économique. Maintenant, ils pourraient – nous pourrions – également être influencés de mener de telles politiques insensées parce qu'elles seraient recommandées par l'IA. À l'aune des connaissances scientifiques actuelles, continuer de valoriser le plastique ou les déchets plastiques, en vue de leur réutilisation dans des produits de grande consommation et dans les usages de notre quotidien, est irresponsable et criminel en matière de santé publique. Compte tenu de l'hyper prédominance des biais qui ont – jusqu'à aujourd'hui – construit de profondes croyances de par le monde sur les bienfaits du plastique, conduisant nos sociétés à une addiction à sa consommation sans limite, une chose est certaine : il n'y a pas d'IA de confiance pour la lutte contre la pollution plastique. Il ne faut donc s'y fier ni pour la connaissance des faits quant à sa nuisance, ni pour les solutions à imaginer pour repenser un modèle de société qui permettrait de réduire notre dépendance au plastique.

Les nations du monde se réuniront à nouveau au Canada en avril 2024 pour progresser vers l'achèvement du traité mondial sur la pollution plastique. Si nous souhaitons qu’il subsiste un optimisme quant à la possibilité de saisir cette opportunité unique de mettre fin à la pollution plastique, il est crucial que les données qui servent à entraîner les IAs susceptibles d'être utilisées pour guider les décisions qui seront prises, incluent toutes les informations connues à l'heure actuelle concernant la toxicité de la matière plastique et la dangerosité du recyclage mécanique comme chimique. Comme avec cet outil développé avec l’IA pour aider à la lutte contre la pollution plastique, un traité visant à éradiquer la menace persistante de cette pollution, qui serait fondé sur des informations biaisées sur ses causes et ses effets, conduirait, à de fausses solutions qui in fine seront plus préjudiciables que l'absence totale d'accord.

À nos dirigeants politiques de se saisir pleinement de la responsabilité si importante qui leur incombe, pour nous tous, et pour les générations futures.    

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