L’intelligence artificielle serait un risque existentiel majeur, s'alarment les dirigeants des sociétés qui développent ces mêmes IA. Mais d’où vient cette idée apocalyptique ?
« La réduction du risque d'extinction dû à l'IA devrait être une priorité mondiale, au même titre que d'autres risques à l'échelle sociétale tels que les pandémies et la guerre nucléaire. » Voici la très courte lettre publiée le 30 mai et signée par 350 personnes dont des chercheurs et même des dirigeants de sociétés comme Google, OpenAI (ChatGPT), Anthropic en pointe sur l’intelligence artificielle. De quoi remettre, une nouvelle fois, l’idée de l'avènement d’une IA potentiellement destructrice au cœur du débat médiatique. Sauf que cette idée n’est pas anodine, nous explique l’historien et philosophe Émile P.Torres. Elle appartient à un courant de pensée mêlant des idées transhumanistes et longtermistes qu’il nomme TESCREAL. Ce groupement idéologique est, à ses yeux, omniprésent et dangereux. Explications avec un ancien adepte de cette philosophie, devenu l'une de ses voix critiques les plus virulentes et documentées.
Vous mettez en avant, aux côtés de Timnit Gebru, chercheuse spécialiste de l’éthique de l’IA, le terme de TESCREAL pour désigner un ensemble d’idéologies. Que signifie-t-il et pourquoi utiliser ce terme ?
E. P. T. : Depuis quelque temps, j’essaie de retracer la constellation idéologique derrière l’intelligence artificielle. Il y a sept idéologies principales, elles sont nommées par des mots très longs qui se finissent tous en -isme. Donc le terme TESCREAL est un moyen de simplifier les débats autour de ces idéologies. Il s’agit de l’acronyme de Transhumanisme (améliorer l’être humain grâce aux sciences, Ndlr), Extropianisme (forme de transhumanisme qui met l’accent sur la technologie), Singularitarisme (croyance en l'avènement d’une IA surpuissante), Cosmisme (désir de coloniser l’espace), Rationalisme (préférer la raison à la foi), Altruisme Efficace (optimiser ses bonnes actions selon leur efficacité) et Longtermisme (penser l’avenir à très très long terme). Ces idéologies forment un tout, bien qu’elles soient distinctes. Un courant de pensée en a amené un autre. Le transhumanisme, apparu dans les années 1980, est la colonne vertébrale de ces idéologies. L’extropianisme, le singularisme, et le cosmisme sont trois versions du transhumanisme. Les fondateurs du rationalisme sont des singularistes. Le philosophe suédois Nick Bostrom est un bon exemple du croisement de ces idéologies. Il est un transhumaniste, il a participé à la création du mouvement de l’extropianisme, il a écrit sur le singularisme. Il est cité parmi les rationalistes, et il est considéré comme l’un des pères du longtermisme. Les leaders de la tech ont souvent des liens avec ces différents courants de pensée.
On les associe effectivement souvent à ces idéologies. Mais s’en proclament-ils ouvertement ?
E. P. T. : Elon Musk assez clairement. Il a par exemple tweeté à propos du longtermisme disant qu’il s’agissait d’un courant « très proche » de sa manière de penser. Sur Twitter il a également parlé de « maximiser le bonheur civilisationnel net dans la durée », un concept très propre au longtermisme, qui estime que le bonheur de l’humanité doit se mesurer sur les milliards d’années à venir. En subventionnant Neuralink, Elon Musk s’inscrit aussi dans le transhumanisme.
Sam Altman, le PDG d’OpenAI (créateur de ChatGPT, Ndlr) n’a jamais dit « je suis longtermiste » ou « je suis singulariste ». Mais le fait d’être préoccupé par l’avènement d’une intelligence artificielle générale, est propre au singularisme et au long-termisme qui identifie cela comme un risque existentiel dont il faut se prémunir. Il a par exemple dit que les « galaxies » pouvaient être en danger à cause d’une intelligence artificielle générale non maîtrisée. Sam Altman vient par ailleurs de donner 300 millions de dollars à Retro Biosciences, une entreprise qui espère étendre notre espérance de vie, ce qui est une approche résolument transhumaniste. Peter Thiel ne s’est jamais proclamé altruiste efficace, mais il a donné une conférence lors d’un congrès du mouvement à Stanford. Les preuves sont suffisamment nombreuses pour les lier à ces idéologies, sans l’ombre d’un doute.
Depuis combien de temps ces idéologies imprègnent-elles la Silicon Valley ?
E. P. T. : L'influence de ces idéologies est omniprésente dans la Silicon Valley depuis deux décennies environ. Partout où vous regardez, il y a des traces et des exemples évidents de ces idées embrassées et promues par des individus. À l’instar du futurologue Ray Kurzweil, ou du blogueur et cofondateur du Machine Intelligence Research Institute (MIRI), Eliezer Yudkowsky. Cette idéologie est aussi bien établie à l’université d’Oxford, d’où viennent de nombreux philosophes qui ont pensé le longtermisme notamment Nick Bostrom, Toby Orb et William MacAskill.
Dans les années 2010, le transhumanisme, et ces différences branches, ainsi que l’altruisme efficace et le rationalisme étaient surtout influents dans l’industrie de la tech. En 2015, ces idées sont en partie parvenues jusqu’au grand public, un an après la sortie du livre de Nick Bostrom Super Intelligence. (Il y décrit ce qui se passerait dans le cas où une IA surpasserait largement les capacités intellectuelles des êtres humains, Ndlr). C’est à cette période que le concept d’”AI Safety” (sûreté des IA), et l’idée que des intelligences supérieures allaient détruire l’humanité est devenue mainstream.
Récemment, il y a eu une résurgence très forte de ces idées…
E. P. T.: L’an dernier, ces idéologies ont connu un fort regain d’intérêt avec la sortie du livre What We Owe The Future, du philosophe et éthicien écossais William MacAskill. Ce livre a récolté énormément d’attention, parce qu’il a bénéficié d’une promotion phénoménale. L’un des salariés d’une agence de communication qui en avait la charge m’a fait savoir, preuves à l’appui, que le budget promotionnel du livre était de 10 millions de dollars. C’est un montant insensé. Une grande partie de cet argent venait de Dustin Moskovitz, cofondateur de Facebook. Et je soupçonne qu’une partie importante venait de Sam Bankman-Fried (ex-patron de la plateforme crypto FTX, dont les escroqueries ont été révélées fin 2022). Le livre a été recensé dans le New York Times, le Guardian, Time Magazine… En tant qu’historien de ce phénomène en quelque sorte, je situerais à cette date l’entrée du longtermisme et du mouvement TESCREAL dans la culture mainstream. Ensuite le développement de l’intelligence artificielle l’a médiatisé davantage. Il y a eu la lettre ouverte demandant un moratoire sur l’IA publiée en mars, celle-ci a été publiée sur le site de l'organisation longtermiste Future of Life Institute. Elle a été suivie d’une tribune d'Eliezer Yudkwowsky dans Time Magazine. (Il y estime que le développement de l'IA doit être arrêté à l'échelle mondiale. Il appelle si nécessaire à des frappes aériennes sur les centres de données étrangers, Ndlr).
Qu’en est-il de la lettre s’inquiétant de l’extinction de l’humanité causée par l’IA, signée notamment par des cadres d’OpenAI, Google DeepMind ou Anthropic, rendue publique le 30 mai ?
E. P. T. : Elle a été publiée sur le site de l’organisation Center of AI Safety, qui est une organisation longtermiste également. En règle générale, tout ce qui concerne l’AI Safety (ou « sûreté de l'IA ») est considéré comme relevant du TESCREALisme, car cette idée a émergé des travaux de principaux penseurs de ce mouvement. La sûreté de l'IA vise à réduire les "risques existentiels" posés par l'intelligence artificielle générale (AGI). Le Center of AI Safety de l'IA écrit notamment ceci : « Lorsque l'IA deviendra plus avancée, elle pourrait finalement poser des risques catastrophiques ou existentiels. Il existe de nombreuses manières dont les systèmes d'IA pourraient poser ou contribuer à des risques à grande échelle. »
Il faut distinguer ce concept des travaux de chercheurs qui travaillent sur « l'éthique de l'IA ». Ce camp est constitué de personnes préoccupées, par exemple, par les implications en matière de justice sociale de l'IA, et comprend des personnes comme les chercheuses Timnit Gebru, Emily Bender, etc.
Vous dites que ces idées sont omniprésentes dans la Silicon Valley : les ingénieurs et autres salariés de la tech croient-ils en ces idées de futur lointain et grandiose comme leurs dirigeants ?
E. P. T. : Malheureusement, il n’y a pas de sondage à ce sujet. Mais d’après mon expérience, les personnes travaillant dans le secteur de la tech, et particulièrement celui de l’intelligence artificielle, sont influencées par ces idées. Elles apparaissent en toile de fond de n’importe quelle conversation. Le fait qu’il faille radicalement améliorer l’humanité est admis. Devenir immortel, connecter son cerveau à un ordinateur, penser que l’intelligence artificielle va être résolument révolutionnaire… sont des envies et pensées plutôt couramment partagées. Les personnes qui s’engagent dans des entreprises comme OpenAI, DeepMind, et Anthropic, le font pour développer une intelligence artificielle générale, poussées par leurs croyances au transhumanisme et au longtermisme.
Pourquoi l’intelligence artificielle est-elle si essentielle dans ces courants de pensée ?
E. P. T.: Je vous conseille de lire le blog d’Holden Karnofsky, fervent défenseur de l’altruisme efficace à ce sujet, qui reprend d’ailleurs des idées déjà énoncées par Ray Kurzweil, dans son livre The Age of Spiritual Machine. L’idée qu’il défend c’est qu’une fois que nous aurons développé une intelligence artificielle générale, nous obtiendrons tout de suite une « superintelligence » car le système, de lui-même, essaiera de devenir le plus intelligent possible. Et cette superintelligence pourrait permettre de résoudre toutes sortes de problèmes. Donc pour guérir le cancer par exemple, les personnes qui croient en cette idée vont préférer développer une superintelligence plutôt que d’aborder directement le sujet du cancer. Idem pour le changement climatique : nous pouvons déléguer cette tâche à une superintelligence. L’idée est aussi qu’une fois qu’on aura atteint cette intelligence artificielle générale, il n’y aura pas de retour en arrière. Donc à leurs yeux, le futur de l’humanité tout entière, et celui de l’univers même, dépend de la manière dont va être conçue l’intelligence artificielle générale. C’est cette idée qui a initié la création d’OpenAI, DeepMind et d’autres… Les défenseurs de cette idée ont une vision très binaire de l’intelligence artificielle. Soit elle nous conduira vers une utopie merveilleuse, soit, si elle est mal conçue, à l’annihilation de l’humanité.
Vous êtes très critique de ces courants de pensée. Pourquoi pensez-vous qu’ils sont si dangereux ?
E. P. T. : Il s’agit d’une vision techno utopiste du monde. Son but ultime est de transformer l’organisme des humains pour en faire des post-humains immortels, superintelligents, très rationnels, et d’étendre l’humanité dans l’univers pour créer la plus grande et durable civilisation possible. Dans la vision longtermiste, plus vous avancez dans le temps, plus les humains et post-humains ont de la valeur. Si nous nous déployons dans l’espace et dans le temps, alors le futur sera extraordinaire. Je vois deux problèmes majeurs à cette vision des choses. D’une part, cela minimise les problèmes actuels. 1,3 milliard de personnes vivent dans la pauvreté, mais l’échelle du nombre vertigineux d’humains, 10^58 estimés par Nick Bostrom dans ce futur lointain, ce n’est rien. Le changement climatique, quant à lui, n'est pas considéré comme un risque majeur. De nombreux longtermistes estiment que cela ne détruira pas l’humanité. Car même si un milliard d’humains survivent, c’est amplement suffisant pour construire le futur.
Et le deuxième problème majeur ?
E. P. T. : Cette idéologie s’inscrit dans une longue tradition d’utopies qui imaginent des paradis futurs et désirables. Et ces idéaux ont souvent justifié des actions extrêmes. Dans certains cas, des actions violentes et génocidaires. Échouer à réaliser l’utopie devient plus problématique que de venir à bout d’un million de personnes qui freinent sa réalisation. À mes yeux, le mouvement TESCREAL regroupe tous les ingrédients pour inciter à réaliser de telles actions au nom d’une idéologie. Et cela devient assez concret quand Eliezer Yudkwowsky écrit qu’il faut se préparer à d’éventuelles frappes nucléaires pour pouvoir arrêter le développement de l’IA afin qu’elle soit conçue de la bonne façon. Sur Twitter, quelqu’un a récemment lancé une conversation se demandant combien de personnes pouvaient être tuées dans le cas d’une guerre nucléaire afin d’éviter une apocalypse liée à l’intelligence artificielle. Eliezer Yudkwowsky a répondu ceci : " Il devrait y avoir suffisamment de survivants sur Terre, en contact étroit pour former une population reproductrice viable, avec de la marge, et un accès à une source de nourriture durable. Tant que cela est possible, il y a encore une chance d'atteindre les étoiles un jour. " C'est une excellente encapsulation de combien cette idéologie peut être délirante et potentiellement dangereuse.
Avant d’adopter un point de vue très critique, vous avez vous-même fait partie de cette communauté longtermiste, pourquoi avez-vous adhéré à ces idées ?
E. P. T.: Il y a quelque chose de résolument séduisant dans cette pensée. Parce que ce mouvement TESCREAL répond à la question : quel futur pour l’humanité ? Et le futur proposé est de coloniser l’espace, de créer de grandes simulations où nous pourrons vivre heureux et en bonne santé. Imaginez à quel point ça serait cool de partir en vacances dans une autre galaxie ? Je me suis laissé séduire parce que j’avais un attrait pour les théories permettant de penser les grands problèmes du monde, la pensée quantitative. Je n’aime pas trop associer des philosophies à des religions pour les discréditer. Mais dans le cas du TESCREALisme, cela se révèle très pertinent. Au XXème siècle, le transhumanisme a été pensé pour remplacer la religion. L’un des premiers livres sur le sujet s’intitulait Religion without Revelation. Ray Kurzweil parle du singularisme comme d’une religion séculière. Ce groupement de pensées coche toutes les cases de la religion : l’utopie, l’accès à l’immortalité, la transcendance de l’être humain… Il a même son propre dieu : l’intelligence artificielle générale (AGI). Certains membres du mouvement pensent à la résurrection : Nick Bostrom s’est rapproché de l’entreprise Alcor pour se faire cryogéniser. J’ai grandi dans une famille très religieuse, j’ai perdu ma foi et j’ai découvert le transhumanisme et le longtermisme comme une porte de sortie. C’est très attirant : vous avez toutes les promesses de la religion, sans pouvoir surnaturel, juste grâce à l’ingénierie humaine.
Qu’est-ce qui vous a fait changer d’avis ?
E. P. T. : Le parallèle entre cette utopie et d’autres que j’évoquais précédemment, et donc le fait qu’elle puisse justifier certains actes violents. C’est aussi en réalisant que cette idéologie est portée par une partie très étroite de l’humanité : des hommes blancs issus de l’élite. Ce mouvement ne s’interroge pas sur le futur souhaité par d’autres populations : les peuples indigènes par exemple. Il ne considère pas le monde sauvage, dans son livre William Mc Askill estime même que sa destruction pourrait être bénéfique puisque de nombreux animaux sont en souffrance. Ce mouvement ne s’interroge pas non plus sur l’expansion de certaines religions comme l’Islam, ni le déclin de l’athéisme. Or, si vous réfléchissez au futur de l’humanité, c’est probablement des paramètres que vous devriez prendre en compte. C’est finalement une vision très pauvre du monde.
Par ailleurs les transhumanistes sont des eugénistes, même s’ils tiennent à se distinguer des eugénistes traditionnels en employant le terme “eugénistes libéraux”. Ils ont des attitudes très discriminatoires. Ils s’inquiètent du “dysgénisme”, soit l’opposé de l’eugénisme qui causerait une baisse de l’intelligence moyenne. À ce titre, Nick Bostrom a utilisé le mot en N, disant que les Noirs étaient moins intelligents que les Blancs dans un échange de mails que j’ai récemment découvert… Plus je me familiarise avec ce mouvement, plus je me rends compte à quel point il est toxique, dangereux et affreux et omniprésent.
À lire : un article scientifique à venir sur le mouvement TESCREAL co-écrit par Émile P.Torres et Timnit Gebru.
Et tout cela dans le flux d'une SF assez ringarde et vieillotte rêvant de toute-puissance, sur-mesure pour des esprits immatures comme ces messieurs multi-milliardaires.
L'I.A est un outil de progrès à la base, comme fut le feu ou tout autres developpement et il y a bien des manières de les utilisés à des fin bien differentes...., quand on voit la situation de la planète et l'irresponsabilté des "élites...", cela peut laisser place à l'inquiétude, à mon avis deux problèmes viendront mettre un terme à tout cela et bien avant, les scientifiues et ce qu'il leur reste de moyens de communication previenne depuis 53ans...(prise de conscience) que la polution et la surpopulation (les deux étant etroitement liès) viendront bout de l'humanité dans ce siècle, quelles mesures, je devrais dire mesurettes sont proposées par nos élites mondiales...? sont il aveugles ou ignorants je ne crois pas, quelque chose nous echappe, quoi ? mystère ?! un texte affiché au nations unis écris par un "sauvage" le chef indien sioux sitting bull dit:Et en voici le texte complet… n’en zappez surtout pas la fin !
L’homme blanc ne comprend pas nos mœurs. Une parcelle de terre ressemble pour lui à la suivante, car c’est un étranger qui arrive dans la nuit et prend à la terre ce dont il a besoin. La terre n’est pas son frère, mais son ennemi, et lorsqu’il l’a conquise, il va plus loin. Il abandonne la tombe de ses aïeux, et cela ne le tracasse pas. Il enlève la terre à ses enfants et cela ne le tracasse pas. La tombe de ses aïeux et le patrimoine de ses enfants tombent dans l’oubli. Il traite sa mère, la terre, et son frère, le ciel, comme des choses à acheter, piller, vendre comme les moutons ou les perles brillantes. Son appétit dévorera la terre et ne laissera derrière lui qu’un désert.
Nos mœurs sont différentes des vôtres. La vue de vos villes fait mal aux yeux de l’homme rouge. Mais peut-être est-ce parce que l’homme rouge est un sauvage et ne comprend pas. Il n’y a pas d’endroit paisible dans les villes de l’homme blanc. Pas d’endroit pour entendre les feuilles se dérouler au printemps ou le froissement des ailes d’un insecte. Mais peut-être est-ce parce que je suis un sauvage et ne comprends pas. Le vacarme semble seulement insulter les oreilles. Et quel intérêt y a-t-il à vivre si l’homme ne peut entendre le cri solitaire de l’engoulevent ou les palabres des grenouilles autour d’un étang la nuit? L’Indien préfère le son doux du vent s’élançant au-dessus de la face d’un étang, et l’odeur du vent lui-même, lavé par la pluie de midi ou parfumé par le pin pignon.
L’air est précieux à l’homme rouge, car toutes choses partagent le même souffle; la bête, l’arbre, l’homme, ils partagent tous le même souffle. L’homme blanc ne semble pas remarquer l’air qu’il respire. Comme un homme qui met plusieurs jours à expirer, il est insensible à la puanteur. Mais si nous vous vendons notre terre, vous devez vous rappeler que l’air nous est précieux, que l’air partage son esprit avec tout ce qu’il fait vivre. Le vent qui a donné à notre grand-père son esprit avec tout ce qu’il fait vivre. Le vent qui a donné à notre grand-père son premier souffle a aussi reçu son dernier soupir. Et si nous vous vendons notre terre, vous devez la garder à part et la tenir pour sacrée, comme un endroit ou même l’homme blanc peut aller goûter le vent adouci par les fleurs des prés.
Comment pouvez-vous acheter ou vendre le ciel, la chaleur de la terre? L’idée nous paraît étrange. Si nous ne possédons pas la fraîcheur de l’air et le miroitement de l’eau, comment est-ce que vous pouvez les acheter?
Chaque parcelle de cette terre est sacrée pour notre peuple. Chaque aiguille de pin luisant, chaque rive sableuse, chaque lambeau de brume dans les bois sombres, chaque clairière et chaque bourdonnement d’insecte est sacré dans le souvenir et l’expérience de notre peuple. La sève qui coule dans les arbres transporte les souvenirs de l’homme rouge.
Les morts des hommes blancs oublient le pays de leur naissance lorsqu’ils vont se promener parmi les étoiles. Nos morts n’oublient jamais cette terre magnifique, car elle est la mère de l’homme rouge. Nous sommes une partie de la terre, et elle fait partie de nous. Les fleurs parfumées sont nos sœurs; le cerf, le cheval, le grand aigle, ce sont nos frères. Les crêtes rocheuses, les sucs dans les prés, la chaleur du poney, et l’homme; tous appartiennent à la même famille.
Aussi lorsque le Grand Chef à Washington envoie dire qu’il veut acheter notre terre, demande-t-il beaucoup de nous. Le Grand Chef envoie dire qu’il nous réservera un endroit de façon que nous puissions vivre confortablement entre nous. il sera notre père et nous serons ses enfants. Nous considérerons donc votre offre d’acheter notre terre. Mais ce ne sera pas facile. Car cette terre nous est sacrée.
Cette eau scintillante qui coule dans les ruisseaux et les rivières n’est pas seulement de l’eau mais le sang de nos ancêtres. Si nous vous vendons de la terre, vous devez vous rappeler qu’elle est sacrée et que chaque reflet spectral dans l’eau claire des lacs parle d’événements et de souvenirs de la vie de mon peuple. Le murmure de l’eau est la voix du père de mon père.
Les rivières sont nos frères, elles étanchent notre soif. Les rivières portent nos canoës et nourrissent nos enfants. Si nous vous vendons notre terre, vous devez désormais vous rappeler, et l’enseigner à vos enfants, que les rivières sont nos frères et les vôtres, et vous devez désormais montrer pour les rivières la tendresse que vous montreriez pour un frère.
Nous considérerons donc votre offre d’acheter notre terre. Mais si nous décidons de l’accepter, j’y mettrai une condition: l’homme blanc devra traiter les bêtes de cette terre comme ses frères.
Nous sommes sauvages et nous ne connaissons pas d’autre façon de vivre. Nous avons vu un millier de bisons pourrissant sur la prairie, abandonnés par l’homme blanc qui les avait abattus d’un train qui passait. Nous sommes des sauvages mais nous ne comprenons pas comment le cheval de fer fumant peut être plus important que le bison que nous ne tuons que pour subsister.
Qu’est-ce que l’homme sans les bêtes ? Si toutes les bêtes disparaissaient, l’homme mourrait d’une grande solitude de l’esprit. Car ce qui arrive aux bêtes, arrive bientôt à l’homme. Toutes choses se tiennent.
Vous devez apprendre à vos enfants que le sol qu’ils foulent est fait des cendres Pour qu’ils respectent la terre, dites à vos enfants qu’elle est enrichie par les vies de notre peuple. Enseignez à vos enfants ce que nous avons enseigné aux nôtres, que la terre est notre mère. Tout ce qui arrive à la terre, arrive aux fils de la terre. Si les hommes crachent sur le sol, ils crachent sur eux-mêmes. S’ils salissent la terre ils se salissent eux-mêmes.
Nous savons au moins ceci: la terre n’appartient pas à l’homme, l’homme appartient à la terre. Cela, nous le savons. Toutes choses se tiennent comme le sang qui unit une même famille. Toutes choses se tiennent.
Tout ce qui arrive à la terre, arrive aux fils de la terre. Ce n’est pas l’homme qui a tissé la trame de la vie: il en est seulement un fil. Tout ce qu’il fait à la trame, il le fait à lui-même.
Même l’homme blanc, dont le Dieu se promène et parle avec lui comme deux amis ensemble, ne peut être dispensé de la destinée commune. Après tout, nous sommes peut-être frères. Nous verrons bien. II y a une chose que nous savons, et que l’homme blanc découvrira peut-être un jour, c’est que notre Dieu est le même Dieu. Il se peut que vous pensiez maintenant le posséder comme vous voulez posséder notre terre, mais vous ne pouvez pas. Il est le Dieu de l’homme, et sa pitié est égale pour l’homme rouge et le blanc. Cette terre lui est précieuse, et nuire à la terre, c’est accabler de mépris son créateur. Les blancs aussi disparaîtront; peut-être plus tôt que toutes les autres tribus. Contaminez votre lit, et vous suffoquerez une nuit dans vos propres détritus.
Mais en mourant vous brillerez avec éclat, ardents de la force du Dieu qui vous a amenés jusqu’à cette terre et qui pour quelque dessein particulier vous a fait dominer cette terre et l’homme rouge. Cette destinée est un mystère pour nous, car nous ne comprenons pas lorsque les bisons sont tous massacrés, les chevaux sauvages domptés, les coins secrets de la forêt chargés du fumet de beaucoup d’hommes et la vue des collines en pleines fleurs ternies par des fils qui parlent. Où est le bison? Disparu. Où est l’aigle? Disparu. Où sont les animaux ? Disparus. Où est la beauté de la terre ? Disparue.
Votre esprit de rapacité vous fera disparaître. Notre esprit nous rendra faible en apparence. Mais un jour l’idée du respect de la terre renaîtra car la fin de la vie est le début de la survivance."
Il n'existe que deux choses infinies, l'univers et la bêtise humaine... mais pour l'univers, je n'ai pas de certitude absolue. de Albert Einstein
oui c'est très long, mais bon , avec une quelque impportance...! une piqure de rappel !
pour la peine vous pouve vous détendre sur mon site : https://jlo.dictionnairedesartistescotes.com/index.php
Très beau texte effectivement ! Merci pour ce partage.