En matière d’intelligence artificielle, le techno-optimisme des années 2010 a laissé place à un discours plus mesuré, plus réfléchi et plus critique. Et c’est en partie grâce à une nouvelle génération de chercheuses. Voici une sélection de quelques-unes de ces figures montantes et de leurs idées.
Joy Buolamwini, justicière des algos
Lorsque cette informaticienne commence à développer un miroir « inspirant » en 2015 dans le cadre d’un cours au MIT, elle se rend compte que le logiciel de reconnaissance faciale qu’elle utilise ne fonctionne pas avec son visage. Au bout de quelques essais, elle arrive à la conclusion que c’est parce que sa peau est noire et qu’elle est une femme. Or, les images qui servent à entraîner ces logiciels sont majoritairement celles d’hommes blancs. Ce constat marque le début de sa croisade contre les biais algorithmiques. Elle est notamment parvenue à démontrer l’existence de biais racistes et sexistes dans les technologies de Microsoft, IBM et Amazon.
À voir : le documentaire Netflix Coded Bias, le site du mouvement Algorithmic Justice League créé par Joy Buolamwini.
Janelle Shane, observatrice de l’absurde
L’intelligence artificielle peut être un sujet amusant. Si vous n’y croyez pas, vous devriez jeter un œil au blog et compte Twitter de Janelle Shane. Cette chercheuse et autrice s’amuse des incohérences des algorithmes générateurs de texte. On trouve parmi ses expérimentations des sessions de flirt gênantes entre chatbots (avec des déclarations de type « je t’aime, ce n’est pas grave si tu es un chien en trench » ), des générateurs de mascottes, recettes vintage, idées de dessins... C’est un petit plaisir pour les amateurs d’humour absurde et un moyen de relativiser les capacités (souvent survendues) des robots.
À lire : You Look like a thing and I love you
Nataliya Kosminya connecte corps et machine
Dans la catégorie « interface cerveaux-machines », il y a les implants cérébraux Neuralinks d’Elon Musk (récemment testés sur des porcs), et il y a aussi les recherches de Nataliya Kosminya. Cette scientifique ukrainienne moins en vue que le milliardaire californien est pourtant très admirée par ses pairs, explique Le Monde dans un portrait de septembre 2020. La chercheuse a notamment développé une paire de lunettes capable de décrypter en temps réel l’activité cérébrale d’un conducteur et de l’alerter, par une vibration, s’il s’assoupit au volant. Elle plaide pour des technologies non invasives, à l’inverse d’Elon Musk. Consciente des enjeux majeurs soulevés par son domaine de recherche, elle réclame un débat autour de ce qu’elle nomme « l’internet des corps ».
Kate Crawford, géographe de l'I.A.
Pour Kate Crawford, l’omniprésence des discours autour de l’éthique de l’intelligence artificielle masque un sujet plus important : l’impact environnemental et social de ces technologies à grande échelle. Son ouvrage Atlas of AI, fruit d'une investigation de cinq ans, tente de corriger cette erreur et ancre les algorithmes dans le monde physique. « C’est une industrie extractive » en ressources naturelles comme en travail humain et en données, explique-t-elle. Son enquête la mène notamment dans une mine d'extraction de lithium dans le Nevada. Quand elle ne voyage pas sur les traces de l'IA, Kate Crawford dézingue sur son compte Twitter les articles de presse un peu trop survendeurs sur les intelligences artificielles.
À lire : Atlas of A.I.
Kate Darling bouscule les points de vue
Il faut arrêter de comparer les robots aux humains et de faire en sorte qu’ils nous ressemblent. C’est le mantra de la chercheuse au MIT Kate Darling, spécialiste des relations entre hommes et machines. L’autrice du livre The New Breed estime que nous devrions plutôt les considérer comme des animaux. « Les animaux et les robots ne sont pas identiques, mais cette analogie permet de nous éloigner de la comparaison homme-robot. Cela nous ouvre l'esprit à d'autres possibilités – voir les robots comme partenaires par exemple », explique-t-elle dans une interview au Guardian.
À lire : The New Breed
Timnit Gebru, symbole de la révolte
En décembre 2020 son nom fait la une des journaux. La chercheuse spécialiste des questions d’éthique liées à l’intelligence artificielle annonce sur Twitter son départ forcé de chez Google, créant une polémique en interne. Ce licenciement intervient après que la chercheuse s’est plainte du fait que l’entreprise « réduise au silence les voix marginalisées ». Son départ serait aussi lié à la censure de l’un de ses articles par Google. Celui-ci portait sur les systèmes de langage naturel, c'est-à-dire les algorithmes qui génèrent du texte. Pour la chercheuse, ceux-ci doivent éviter de s’appuyer sur des bases de données trop importantes afin d’être plus facilement contrôlables. Pas franchement la stratégie de Google en la matière.
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