Niels Juul, le producteur historique des films de Martin Scorsese, se tourne vers les NFTs pour financer le prochain film du réalisateur culte d’Hollywood. Que doit-on comprendre de cette annonce et quelles sont les conséquences sur l’industrie et son financement ?
Pour lui, le modèle de financement des films hollywoodiens relève de l’ « antiquité ». Alors pour financer A Wing and a Prayer, le prochain film de Martin Scorsese, le producteur Niels Juul a décidé de prendre l’industrie de vitesse en misant sur les NFTs. Le producteur espère lever entre 8 millions et 10 millions de dollars grâce à la vente de 10 000 tokens via sa société de production NFT Studios. Il s’est associé avec le fonds d’investissement spécialisé NFT Investments qui lui assure une mise de départ d’un million de dollars. Mais pour le reste, c’est entre les mains des fans et des investisseurs institutionnels que repose le financement du film.
Le recours à ces actifs numériques pour financer un film n’est pas un phénomène nouveau. En 2015, le réalisateur indépendant Adam Benzine avait émis 10 NFT pour publiciser Claude Lanzmann : Spectres of the Shoah, un récit documentaire sur le travail du cinéaste Claude Lanzmann. Mais ce qui change avec Scorsese, c’est l’échelle. Si Hollywood s’y met, l’industrie toute entière va-t-elle basculer ?
Nouveaux modes de financements décentralisés
Avec ce move, le producteur Niels Juul joue un coup de billard à trois bandes. D’une part, il fait l’impasse sur les intermédiaires que sont les studios de production cinématographiques : les « majors » comme MGM, Warner Bros Pictures, Columbia, 20th Century Fox Films Corporation… Autant de noms prestigieux qui apparaissent habituellement au générique de chaque film sorti des studios d’Hollywood. Cette fois-ci, la mise ne sera pas raflée uniquement pas ces mastodontes qui étaient il y a peu des acteurs indispensables, véritables gatekeepers d’une industrie très centralisée. Les NFTs émis par NFT Studios pour financer le prochain Scorsese seront ouverts à la vente auprès des particuliers et des institutionnels, ouvrant ainsi la voie à un financement collectif et décentralisé. Grâce à ce système, chaque investisseur devient l’un des co-producteurs du film. La promesse du producteur étant que chacun puisse bénéficier des profits générés au box-office, d’une partie des droits de license mais aussi de contreparties comme une place garantie à l’avant-première ou la rencontre avec une partie du casting. En s’inscrivant dans cette logique de financement décentralisé, le producteur Niels Juul mise sur une économie en passe de bousculer les pratiques, les usages et les acteurs de toute une industrie. Une décision tactique du point de vue économique qui se révèle également habile du point de vue stratégique.
Le conso’trading au sommet de la hype de l’économie numérique
Aujourd’hui les NFTs sont partout. La hype est telle que le simple mot suffit à générer de l’engouement et à faire affluer le cash. Il semblerait donc que le producteur Niels Juul ait choisi de surfer sur la vague de ce que nous appelons le « conso’trading ». De quoi s’agit-il ? De la suite logique du « consom'acteur » : le consommateur n'est plus là seulement pour acheter mais pour « trader », pour investir. Je ne veux pas seulement acheter ma place de cinéma, mais je veux miser sur le succès du film de Scorsese et prendre ma part de bénéfice en cas de succès. Dans ce modèle, les clients d'une marque, les fans d'un artiste ou les membres d'une communauté sont le plus grand patrimoine financier des créateurs. À ce titre donc, ils méritent d'être associés à la réussite des projets. Dans cette économie participative, la valeur créée par la communauté est partagée de manière plus juste, entre tous les investisseurs qui décident d’acheter des tokens ou les fameux NFTs. Ce que cherche le producteur Niels Juul c’est donc l’engagement d’une communauté autour de l’œuvre du cinéaste Scorsese. Un engagement qui a aussi valeur d’investissement financier, puisqu’il s’appuie sur l’achat de tokens pour lesquels les investisseurs sont en droit d’espérer un retour sur investissement.
Quelle est la différence avec un crowdfunding plus classique ?
C’est là que la question se corse. La différence entre l’achat d’un NFT pour financer un film et un crowdfunding plus classique, dans lequel on obtient une contrepartie symbolique ou matérielle, n’est pas claire à établir. Certes, la perspective d’un retour sur investissement peut motiver l’achat d’un token. Surtout si la valeur de celui-ci est indexée sur la popularité du film au box-office. Mais on peut considérer que les contreparties associées au modèle de financement participatif plus traditionnel font aussi office de ROI. Par ailleurs, dans le cas des NFTs la prise de risque est plus forte, du fait de la volatilité du cours de ces actifs numériques par rapport à celui des devises traditionnelles. En clair, si le film de Scorsese fait un bide, votre NFT ne vaudra pas grand chose et vous risquez de perdre votre mise si vous choisissez de le revendre contre des euros. D’autant que les prix à l’achat connaissent des envolées fulgurantes, difficilement explicables autrement que par l’effet de hype autour de ces technologies.
Comme le résume Adam Benzine, dans un entretien accordé à la plateforme de distribution indépendante britannique BFI : « Il est très compliqué d’évaluer ce qu’est un prix raisonnable lorsque des gens sont prêts à payer 69 millions de dollars pour un jpeg ou 590 000 dollars pour acquérir le GIF d’une biscotte volante à tête de chat, avec des arc-en-ciels qui sortent des fesses » – [soit une référence au mème Nyan Cat – ou Pop Tart Cat – qui a fait l’objet d’une vente record via NFTs, ndlr].
Écran de fumée ou changement de paradigme ?
Comme pour tous les phénomènes récents qui se déroulent sous nos yeux, il est difficile de déterminer si l’engouement relève d’un effet d’opportunité – stimulé par la hype pour les nouveaux actifs de la nouvelle économie numérique, NFTs et DAO – ou si, au contraire, cette annonce signale une véritable changement de paradigme pour l’industrie de la production cinématographique. Dans un cas comme dans l’autre, ça peut marcher. La hype – couplée au nom prestigieux du cinéaste – peut permettre à Niels Juul d’attirer suffisamment d’investisseurs pour parvenir à boucler le financement de sa super production hollywoodienne. Et si le film obtient le succès escompté, cela pourrait rapporter gros aux dits investisseurs. Mais surtout en attirer d’autres, pour d’autres films, ce qui représenterait alors un véritable changement de paradigme pour l’industrie. Cet effet boule de neige illustre la logique de prophétie auto-réalisatrice propre aux marchés financiers. Une caractéristique qui rappelle évidemment la finance traditionnelle.
Mais l’inverse pourrait aussi se produire, et la valeur du token chuter, pour X ou Y raisons. Certaines pourraient être exogènes, l'aggravation brutale de la pandémie mondiale empêchant le tournage est un exemple parlant. Mais d'autres pourraient être endogènes, liées notamment à l'enjeu écologique et énergétique associé au minage de ces tokens. Une question qui commence à prendre de l'ampleur. Comme le rappelle James Ball, journaliste britannique spécialiste des technologies : « miser sur les NFTs est plus proche du pari de casino que de l’investissement ». Vu la vitesse à laquelle évolue cette économie, les prochains mois seront riches en rebondissements. Pour le plus grand bonheur de certains visionnaires, ou au désespoir des autres.
le film ne sera pas "le prochain scorcese" ... son réalisateur n'a pas encore été annoncé
Bonjour,
Comment on achète ces NFT émis par NFT Studios ?
Merci.
GS