Un montage photo avec nyan cat, des cryptokitties, des pièces d'Ethereum et le tweet de Jack Dorsey

La folie des NFT : c’est quoi, et pourquoi certains dépensent des millions pour en avoir ?

© Entrée plat dussert Entertainment Inc.

Artistes, collectionneurs et experts de la blockchain n’ont que ce sigle à la bouche : NFT. Basés sur un principe similaire aux cryptomonnaies, ces « jetons non fongibles », qui permettent de certifier l'authenticité d'objets de collection virtuels, explosent et brassent des millions. Éclairage avec des pionniers français du crypto-art, le collectif OBVIOUS.

Imaginez pouvoir acheter, posséder, voire revendre le premier tweet de votre grand-mère ou votre GIF de chat favori. C’est désormais possible avec les NFT, ces « jetons non fongibles »  qui rendent infalsifiables des œuvres ou objets de collection numériques. Absurde aux yeux de certains, célébré par les artistes et les collectionneurs qui y voient une nouvelle source de revenus, le marché basé sur la blockchain explose. 

Un truc de geek ? Plus vraiment. Surtout depuis que la célèbre maison de vente Christie’s annonçait, le 25 février, mettre aux enchères une première création 100% numérique sous forme de NFT. Une consécration pour l’artiste 3D Beeple, dont l'œuvre a été vendue à près de 70 millions de dollars sur la plateforme, le 11 mars. Mais comment expliquer que des utilisateurs soient prêts à payer des millions pour acheter ces jetons virtuels ? Artistes, marques et créateurs peuvent-ils en bénéficier ? Réponses avec Pierre Fautrel et Hugo Caselles-Dupré, crypto-artistes autodidactes, anciens chouchous de Christie’s et membres du collectif français OBVIOUS.

 
 
 
 
 
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La blockchain permettait déjà de certifier des œuvres d'art. Qu'apportent ces NFT dont tout le monde parle ? En quoi sont-ils différents des cryptomonnaies ? 

OBVIOUS :  Les NFT, comme les cryptomonnaies, sont des transactions stockées sur la blockchain. Mais la différence, c'est qu'un NFT, un « non fungible token », n'est pas fongible, contrairement aux crypto-monnaies. Un bitcoin sera toujours égal à un autre bitcoin, on peut les échanger entre eux, ils ont tous la même valeur. C'est la même chose pour les dollars : c'est ce qu'on appelle la propriété fongible de la monnaie. Les créateurs de NFT ont voulu faire exactement l'inverse : une transaction stockée sur la blockchain qui soit non fongible, donc complètement unique. L'idée, c'est de pouvoir s'en servir comme d'un certificat d'authenticité associé à un objet digital ou physique. Si je fais un dessin, je peux créer un NFT qui représente le certificat d'authenticité de mon dessin. Donc si quelqu'un possède le NFT, il possède vraiment mon dessin. C'est donc très pratique pour tous les objets digitaux : images png, GIFs, vidéos... Parce qu'il devient possible de devenir propriétaire de ces créations digitales. C'est un moyen de créer de la rareté pour des éléments numériques. 

C'est le même fonctionnement que des objets de collection physique finalement... 

Pierre Fautrel :  Oui c'est un peu ça. La différence c'est que comme le certificat est inscrit sur la blockchain, n'importe qui peut vérifier le propriétaire du NFT. 

Hugo Caselles-Dupré :  La valeur est encore plus forte qu'un certificat d'authenticité classique. Car un certificat physique ne peut être identifié que par les personnes qui l'ont édité et des professionnels. Dans le cas des NFT, tous les maillons de la chaîne – collectionneurs, artistes, galeries, public... – peuvent vérifier ce certificat. 

 
 
 
 
 
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Comment expliquer cette soudaine frénésie autour des NFT ? 

H.C-D. : Les premières idées de certificats d'authenticité liés à la blockchain sont apparues dès 2014. Mais ce n'est qu'en 2017 que les premiers projets artistiques basés sur des NFT sont nés. CryptoPunk par exemple, une collection de dessins de personnages pixellisés s'est vendue par ce biais. Plus tard, des plateformes où les artistes pouvaient vendre leurs NFT se sont lancées comme SupeRare en 2018. Nous faisions partie des premiers artistes à en être. Pendant deux ans, la tendance a progressé assez lentement. En fait, c'est la très récente explosion du bitcoin et des cryptomonnaies en général qui a redonné un nouveau souffle aux NFT, car les mises aux enchères se font souvent en Ether (une crypto-monnaie issue de la blockchain Ethereum dont la valeur a fortement augmenté dernièrement, ndlr). Cela a attiré l'attention des médias et créé l'engouement. 

C'est ce qu'il s'est passé pour l’entrée aux enchères de l'artiste numérique Beeple chez Christie's. En quelques jours le prix de ses œuvres est passé d’une centaine à des millions de dollars. Ce qui a vraiment permis de faire monter la tendance, ce sont les grosses sommes, les ventes records... l'argent finalement. Ceux qui achètent sont généralement des propriétaires d'Ether, ils font alors monter le prix des enchères. Certains collectionneurs essaient de recentrer la chose autour de l'art, de repérer ce qu'il y a d'intéressant, car pour le moment les discussions tournent surtout autour de l’aspect financier et de la spéculation.

 
 
 
 
 
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P.F. :  C'est aussi la plateforme Nifty Gateway qui a fait exploser la tendance. Elle a été créée par les frères Winklevoss – ils ont été écartés par Zuckerberg lors de la création de Facebook puis se sont enrichis grâce aux cryptos. Sur Nifty, les œuvres se vendent par "drop", par lot limité de 150 exemplaires. Ils ont fait beaucoup de pub et réussi à séduire des artistes en vue comme Beeple, mais aussi des rappeurs. Ils ont récemment réalisé des ventes à plusieurs millions de dollars. 

La pandémie a-t-elle aussi accéléré la tendance en suscitant l’intérêt des artistes ?

P.F. :  Oui, l'autre facteur de cette explosion, c'est le contexte sanitaire. Le monde de l'art est à l'arrêt. Il n'y a plus d’événements, peu d'expositions depuis un an. Les artistes voient donc les NFT comme quelque chose à se mettre sous la dent. C'est aussi le cas des musiciens. Gramatik (DJ et producteur slovène qui a lancé sa propre devise numérique en 2017, ndlr) a vendu pour 1,5 million de NFT au mois de février. Il a commenté la vente en affirmant que cette rentrée d'argent allait lui permettre de sauver son activité, malgré l’arrêt des concerts. La période actuelle a accéléré les choses, c'est certain. Des artistes connus comme Obey commencent aussi à se lancer. Damian Hirst (l’un des artistes les mieux cotés au monde, ndlr) a indiqué qu'il acceptait désormais les cryptomonnaies... C'est un gros signal. 

 
 
 
 
 
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Que se passe-t-il si le prix de l'Ether s'effondre ? 

H.C-D. :  Les œuvres perdent de la valeur… Une fois qu'un artiste reçoit les Ethers pour une vente, c'est à lui de choisir : soit il les convertit en dollars, soit il attend et prend le risque que le cours redescende. Il faut jouer avec cette volatilité.

Les artistes deviennent des traders en quelque sorte... 

P.F. :  En ce qui nous concerne, nous ne faisons pas d'achat-revente. Pour nous, les NFT sont un medium qui nous permet d'atteindre un nouveau public, car les personnes qui collectionnent ces objets numériques ne sont pas des collectionneurs d'art classiques. Pour les artistes, cette explosion est très positive car elle leur permet de toucher de nouvelles communautés et de trouver de nouvelles sources de financement. L'autre avantage, c’est qu’elle permet en plus de toucher les droits de suite (lorsqu'une œuvre est revendue par un premier acheteur, ndlr) de manière automatique. 

Que représentent les ventes de NFT pour vous aujourd’hui ? Est-ce encore une source de revenus minoritaire ?  

P.F. :  Au début, on s'est surtout lancés par curiosité. C'était bien avant la vente aux enchères de Beeple et tout l'engouement autour de ce mouvement. On a d'abord commencé à télécharger des croquis et certaines œuvres. Aujourd'hui, on commence vraiment à conceptualiser des œuvres numériques complètes, comme la série de photos Energy of the Earth que nous venons de sortir. Pour toute une génération d'artistes de moins de vingt ans, les NFT sont un moyen de vivre. 

H.C-D. :  La difficulté, c'est de faire le tri entre les œuvres. Comme tout le monde peut se lancer, il y a une importante quantité de créations dont la qualité est inégale. Il y a un gros travail curatorial à faire. C'est pour cela qu'il y a des musées de crypto-art qui commencent à apparaître. Comme celui de Pablo Rodriguez-Fraile (Museum of Crypto Art ou MoCA), l'un des plus gros collectionneurs de crypto-art. Lui est à l'origine un investisseur en cryptomonnaies et a commencé à collectionner des NFT au tout début. Il sait maintenant reconnaître ce qui est de qualité. 

Qui sont les collectionneurs de NFT justement ?

H.C-D. :  Les principaux collectionneurs sont des personnes qui ont investi dans les cryptomonnaies au tout début. Ils ont parfois un côté crypto-anarchiste (sorte de réactualisation de l’anarchisme à l’ère du numérique, ndlr). Ils n'avaient, jusqu'alors, pas accès à l'art contemporain, car ce ne sont pas forcément des personnes qui fréquentent les galeries. Aujourd'hui ils sont au cœur du boom des NFT. 

Que font les collectionneurs de ces œuvres numériques ? 

P.F. :  Généralement les collectionneurs ont une page sur les différentes plateformes de crypto-art. Ils y affichent les œuvres qu'ils possèdent. Mais il faut comprendre qu'il est possible de faire un clic droit et d'enregistrer sur son ordinateur toutes les images d'une collection de NFT. Vous pourrez conserver et regarder ces images, mais elles n'auront pas de valeur, car elles ne seront pas associées à un certificat d'authenticité. Certains collectionneurs essaient de pousser le concept des expositions virtuelles en élaborant des musées en réalité virtuelle par exemple.

Le grand public est en revanche exclu de toute cette nouvelle vague artistique, car il n'a pas forcément les compétences techniques, ni même l'idée qu’elle existe... Comment sortir cet art de sa niche ?  

P.F. :  Il n’est pas si compliqué de se créer un compte sur ces plateformes et d'investir finalement. Mais ce qui est certain, c'est que le concept est encore difficile à expliquer. Pour beaucoup, cela paraît absurde de dépenser des millions pour une image Jpeg que l’on peut enregistrer en un clic. Une partie du public n'est pas encore prête et ça prendra sans doute du temps. Le Bitcoin a eu besoin d’au moins 10 ans pour convaincre !

Les NFT sont déjà sujets aux controverses, certains pointant du doigt leur coût énergétique énorme... 

H.C-D. :  Effectivement. Pour valider une transaction sur la blockchain, il faut que des ordinateurs réalisent des calculs. Et ces calculs consomment beaucoup d'électricité. Plus les cryptos prennent de l'ampleur, plus ces calculs sont importants et plus ils consomment de l’énergie. Télécharger de l’art sur la blockchain est plus ou moins équivalent à la consommation énergétique d'un pays. C'est donc une super mauvaise nouvelle pour l'environnement, ce qui inquiète énormément d'artistes, car beaucoup sont engagés. Actuellement, des plateformes sont en train de développer un nouveau protocole permettant de limiter la consommation énergétique des NFT, en changeant la manière dont sont validées les transactions. 

Le sport, la mode… d’autres secteurs s'intéressent aussi aux NFT.

P.F. : Oui, Nike et Louis Vuitton ont annoncé des lancements de NFT. Dans le sport, il y a aussi des initiatives avec la NBA. Toutes les industries et communautés qui souhaitent capitaliser sur leur propriété intellectuelle (et qui ont du mal à la monétiser) s’intéressent aux NFT. Ça concerne donc énormément de secteurs. Si demain, la NASA lance le NFT d’un atterrissage sur Mars, ça marchera sans doute ! Idem si la Ligue 1 met le premier but de Zidane sous NFT. Jack Dorsey, cofondateur de Twitter, a bien vendu son tout premier tweet sous cette forme... 

À tout monétiser, est-ce qu’on ne s'éloigne pas (encore plus) des premiers idéaux d'Internet où tout était censé être gratuit, partagé par tous... 

P.F. :  Cela fait un moment qu'on s'est éloigné de cela. Par ailleurs, posséder un NFT ne signifie pas qu'on empiète sur la liberté des autres. Quand on devient propriétaire d'une œuvre, d'un tweet ou d'un extrait de match de basket, les autres peuvent continuer d'en profiter. La plupart des gens se ficheront que quelqu'un possède un NFT. Par contre, cela permet à ceux qui les possèdent et à ceux qui s'y intéressent de spéculer. Finalement, ça ne change rien. Et c'est d'ailleurs l'une des critiques : les NFT ne servent à rien. Sauf que pour beaucoup d'artistes, c'est une manière de vivre et une société qui fait vivre ses artistes, c’est forcément positif ! 

H.C-D. :  Cela permet aussi de légitimer certains artistes – graphistes, designers 3D… – qui jusqu'ici n'étaient pas considérés comme tels. Beeple, à la base, est un artiste numérique qui crée des œuvres sur Photoshop et les poste sur Instagram. Il a deux millions d'abonnés, mais il n’a jamais vraiment monétisé son art. Il n'était pas exposé à la FIAC ! 

Mais les artistes sont, d’une certaine manière, dépendants du cours des cryptomonnaies.

H.C-D. :  Oui c'est risqué. C'est pour cela que nous avons fait le choix de ne pas conserver l’intégralité de l’argent de nos ventes numériques en Ether : on en a converti une partie pour pouvoir se rémunérer. Nous sommes davantage responsables de notre gestion de l’argent, comme dans une entreprise. Il faut faire attention au cours de la monnaie utilisée par certains acheteurs.

Et les galeries d'art, elles s’y mettent ? 

P.F. :  Pour le moment, le marché est surtout porté par les galeries numériques émergentes. Les grandes galeries n'ont pas encore fait d'annonce, mais on pense que la vente de Beeple chez Christie’s devrait changer la donne !

commentaires

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  1. Avatar Sorare dit :

    Réflexions intéressantes, on parle essentiellement d'art mais comme vous l'évoquez, le sport s'y intéresse. Mais pas depuis peu. Je prends exemple de Sorare qui existe depuis déjà quelques années et qui édite des cartes de joueurs de foot NFT avec des licences officielles, où les clubs touchent un pourcentage sur chaque vente. La carte Panini 2.0 est née. https://sorarefrance.com/

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