Le t-shirt et le sweat cornichons de Bad addiction boutique sur TikTok

La folie du sweat cornichon : ou comment TikTok crée des stars de l'e-commerce

© Bad Addiction Boutique

Avec sa fonctionnalité « Shop » déployée aux États-Unis et au Royaume-Uni, la plateforme chinoise transforme de petits commerçants en mini Amazon. 

« J’ai besoin de ce vêtement dans ma vie. »   « Est-ce que c'est possible de payer plus pour le recevoir plus vite ? » « J’ai absolument besoin de ceci en taille enfant. » Vous êtes en train de lire les mots d’utilisateurs TikTok commentant un sweat-shirt à l’effigie de cornichons. La chose s’est vendue à plus de 30 000 exemplaires (44 dollars l’unité) en plein été. De quoi générer 1,3 million de dollars de revenus à sa créatrice Jessica Slone.

Ce n’est pas la première fois que TikTok propulse de manière insensée un produit ou une tendance – une recette de pâtes à la féta en 2021, une robe noire moulante inspirée de la série Euphoria fin 2022, sans parler de la grande pénurie des sandales « Boston Clogg » de Birkenstock à l'automne de la même année… 

« Peut-on collectivement cesser de publier au sujet de cette m**** de sweat pickles ? »

La différence avec le pull cornichon, c’est son canal de vente. Il n’est pas distribué par un géant de l’e-commerce comme Amazon ou Shein, mais par une petite vendeuse via TikTok Shop. Cette fonctionnalité, déployée aux États-Unis et au Royaume-Uni il y a quelques mois, permet de vendre en direct des articles sur la plateforme chinoise. En Europe, le déploiement a été retardé (faute de maturité sur le liveshopping) mais pourrait se faire dans les prochains mois estime Bloomberg.

Le principe de TikTok Shop est simple. Les utilisateurs n’ont qu’à cliquer sur un lien en regardant une vidéo pour acheter le produit présenté, sans jamais sortir du réseau social, qui prend une commission autour de 5%. C’est ainsi que Jessica Slone a mis en vente le fameux pull via sa chaîne TikTok « Bad Addictions Boutique », autoproclamé « Boutique for hot mess anxious moms » (un magasin pour les mamans désordonnées et anxieuses). Quelques semaines après sa mise en vente début 2023 et de nombreux posts sponsorisés, des clientes (souvent des femmes), se filmaient déballant le paquet contenant leur butin avec moult expressions faciales. Au point de provoquer l'agacement de certains utilisateurs. « Peut-on collectivement cesser de publier au sujet de cette m**** de sweat pickles ? », se lamente Mark Boutilier, un créateur de contenu spécialiste de la mode vintage, dans une vidéo vue plus de 70 000 fois. Qu'importe, pour Jessica Slone les haters sont bons pour le business. Elles les affichent sur de multiples vidéos TikTok d'elle faisant la moue, et portant inlassablement ce même pull cornichon.

Le design du sweat n’a effectivement rien de très original. Une forme on ne peut plus basique, un gris triste sur lequel est imprimée une série de 12 pots de cornichons au look un peu vintage. Today America note que des versions très similaires se vendaient déjà il y a quelques mois, sur Etsy notamment. Mais c’est Jessica Slone qui l’a rendu extrêmement populaire. L'entrepreneure a su tirer profit de l’amour de TikTok pour les cornichons. Car oui, sachez-le, les vidéos de créateurs clamant leur goût pour ce condiment sont légion sur le réseau social. On compte plus de 5 milliards de vues derrière le hashtag « pickles ». Certains se filment en en dégustant de très épicés, d’autres en partageant leur recette maison… 

Le « tourbillon de la viralité »

Au-delà de cette passion cornichon, l’histoire de Jessica est aussi symptomatique d’une nouvelle manière de faire commerce. À savoir : lancer son business via les réseaux et espérer un jour obtenir ce moment de viralité que seul TikTok sait créer, en réussissant à capter au bon moment l’une des nombreuses tendances poussées par la plateforme. Et en croisant les doigts très fort pour que la magie de l’algorithme de recommandation fasse effet. 

TikTok a réussi par le passé à créer des célébrités chez les créateurs de contenu en une vidéo, à l’instar de Bella Poarch ou de Khaby Lame. Et la plateforme fait donc exactement la même chose pour les petits commerçants. « Parfois ça me semble trop beau pour être vrai », commente auprès de Today America Jessica Slone à propos de son succès soudain. « Le tourbillon de la viralité a introduit dans ma vie un mélange de réconfort et d’exigence. »

3 000 exemplaires pour un fanzine de couture

Comme le note Kate Lindsay, autrice de la newsletter Embedded, on aurait pu s’attendre à ce que TikTok Shop transforme la plateforme en « Amazon sous acide », privilégiant surtout les produits cheapos, potentiellement dévastateurs pour la planète, vendus via dropshipping. Mais contre toute attente, ce sont aussi de petits artisans et créateurs qui en profitent. À l’instar de Tanner Bowens. Un couturier spécialiste du DIY (do-it-yourself, fais-le toi-même) devenu viral – lui aussi – grâce à la nouvelle fonctionnalité de TikTok. Son fanzine papier, baptisé « Comment développer un cerveau de couturier » vendu en exclusivité sur l’application, a collecté plus d'un million de vues en 4 jours. Il s’est vendu à 3 000 exemplaires en 30 jours. C’est le maximum qu’il aurait pu vendre, sachant que les nouveaux business sur TikTok sont plafonnés à 100 produits en vente chaque jour. Auparavant, le jeune homme ne vendait qu’une cinquantaine de fanzines sur son e-shop. 

@tannerfrostbowen

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Aller vite et être sympa

Dans Embedded, l’entrepreneur/maker explique que cette expérience a « changé sa vie ». Le couturier a, en effet, quitté son job pour se consacrer à la vente de tutos et à la production de contenus. Un changement qui n’est pas sans contrainte. Tanner est désormais soumis aux règles de la plateforme chinoise. Il a notamment l’obligation d’envoyer le produit dans les 3 jours suivant la vente. « Il ne faut pas seulement que le produit soit déposé en boîte aux lettres, il faut qu’il soit en cours de livraison », précise-t-il. TikTok ne s’est peut-être pas transformé en Amazon, mais n’hésite pas à faire peser les exigences du géant de la livraison sur les entrepreneurs. 

En plus d’aller presque aussi vite qu’un géant de l’e-commerce, il est indispensable pour ces vendeurs indépendants d’incarner un personnage apprécié des utilisateurs. En dessous des vidéos de Jessica Slone comme celles de Tanner Bowens, on peut lire des utilisateurs mentionner à quel point ils les trouvent sympathiques, ou se réjouissent de leur réussite. « Il ne suffit pas que quelqu'un pense que le produit est cool pour qu'il l'achète. Il faut qu'il pense que c’est important et unique, mais aussi qu'il aime la personne et qu'il pense qu'elle a une bonne énergie », souligne Tanner. 

Marine Protais

À la rubrique "Tech à suivre" de L'ADN depuis 2019. J'écris sur notre rapport ambigu au numérique, les bizarreries produites par les intelligences artificielles et les biotechnologies.
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