Wall-e et son modèle 3D

IArnaque : cette startup prétend automatiser la création de modèles 3D en utilisant le travail de designers mal payés

Des humains qui œuvrent en secret pour prétendre que les robots savent faire leur travail à leur place. C’est l'histoire absurde de l’entreprise Kaedim, révélée par le média 404

« Générer des modèles 3D en quelques minutes, comme par magie. » La promesse inscrite sur le site de l’entreprise Kaedim (avant d’être récemment supprimée), s'avère être un coup d'esbroufe. Comme tant d’autres, cette startup californienne assure automatiser, grâce à la puissance de l’intelligence artificielle, un travail normalement fastidieux. Ici : créer à partir d’un dessin un personnage ou un objet en 3 dimensions. Un procédé utilisé notamment par les studios de jeux vidéo. Sauf que la « magie » promise par l’entreprise était surtout rendue possible par le travail d’humains mal payés. C’est ce que raconte le média américain 404 dans une enquête publiée le 6 septembre. 

Plusieurs sources anonymes et internes témoignent auprès du média, indiquant que l’IA de Kaedim est de très mauvaise qualité. Si mauvaise, que l’entreprise engage des designers free-lance pour faire son travail, sans le dire clairement. Konstantina Psoma, la PDG de l’entreprise, qui figure dans la liste des 30 innovateurs de moins de 30 ans de Forbes, nie et avance que les designers étaient embauchés pour faire du “contrôle qualité”. Les sources contactées par 404 avancent pourtant n’avoir jamais contrôlé quoi que ce soit, mais bien produit un modèle à partir du dessin d’un client. 

Selon le média, l’entreprise embauche des designers à travers le monde pour assurer une production 24h/24. Ses offres d’emploi pour des designers free-lance capables de produire vite des modèles 3D avaient déjà alerté des utilisateurs quant à la nature prétendument automatique du service de Kaedim. Une source anonyme précise que les designers sont payés entre 1 dollar et 4 dollars par modèle, avec un bonus s’ils acceptent la mission rapidement. L’entreprise, elle, facture son service à ses clients 150 dollars par mois pour 10 modèles. D’après la description de 404, la jeune pousse ressemble davantage à un Uber des designers qu’à une entreprise d’intelligence artificielle. 

Fake it til you make it, épisode 3972 

Suite à la parution de l’article, Kaedim a mis à jour sa page web. Celle-ci met nettement moins en avant la contribution de l’intelligence artificielle et davantage son « équipe d’artistes » qui améliore les productions de l’IA. Mais la jeune pousse promet toujours l’automatisation complète en 2024. En bref : l’entreprise nous refait un énième remake du Fake it til you make it (fais semblant avant d’y arriver), mantra chéri de la Silicon Valley. Ce même adage avait conduit Elizabeth Holmes, entrepreneuse portée aux nues avant d’être condamnée à 11 ans de prison pour avoir vendu un test sanguin bidon. 

Car l’histoire de Kaedim n’est pas une exception. Elle illustre au contraire une attitude systémique dans le secteur de l’intelligence artificielle (et de la tech en général), qui consiste à survendre la capacité d’automatisation des logiciels. Peu d’entreprises assument le travail humain nécessaire pour entraîner les programmes informatiques qui produisent du texte ou des images. En janvier 2023, le Times révélait qu’OpenAI embauchait un sous-traitant kenyan dont les salariés, traumatisés, devaient filtrer les contenus problématiques produits par ChatGPT contre 2 dollars de l’heure en moyenne. 

Paradoxalement, ces entreprises mettent toujours en avant le même argument : vouloir accélérer un procédé normalement long et nécessitant un savoir-faire. Mais elle le remplace par un autre procédé, lui aussi fastidieux, mais bien moins payé. 

Marine Protais

À la rubrique "Tech à suivre" de L'ADN depuis 2019. J'écris sur notre rapport ambigu au numérique, les bizarreries produites par les intelligences artificielles et les biotechnologies.
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