
Vous n’avez pas pu échapper aux discours de ces évangélistes extatiques qui nous expliquent que la blockchain - promis, juré, craché - c’est LA nouvelle révolution qui va tout changer. En attendant, la technologie rappelle plus l'Internet des années 90 avec ses start-up éphémères et pas mal de soucis techniques.
Clairement, il flotte autour des chaînes de blocs une atmosphère comparable à celle de la grande époque des « dot com ». Comme à la fin des années 1990, on entend l’enthousiasme des uns et on constate surtout les pertes des autres. Pour s’en convaincre, il suffit de jeter un œil sur le site DeadCoins qui liste les centaines de boîtes mortes-nées, les arnaques pures et simples et les montages financiers frauduleux. En 2017, le cabinet Statis avait estimé que 80 % des ICO (des demandes de financement réalisées en crypto-monnaie pour monter un projet de start-up) étaient des cyberarnaques.
À cela s’ajoute le cours du bitcoin. Après avoir atteint des sommets absurdes non loin des 20 000 dollars, il a dévissé à 4 000. Un effet yoyo qui n’empêche pas la crypto-monnaie d’être utilisée à 46 % dans des activités illégales (Source : Business school de l’université de Sydney). Pour Primavera de Filippi, chercheuse au Cersa (CNRS) et spécialiste de la blockchain, ce petit côté Far West ne devrait pas nous alerter. « 90 % des start-up actuelles n’ont aucun avenir, prévient-elle. Ces boîtes ont levé plusieurs millions de dollars, mais la plupart ne sont que des prototypes à peine fonctionnels. En revanche, la technologie reste prometteuse car elle permet de partager de la valeur de pair à pair, sans passer par un organisme central. »
La blockchain : le sésame pour sortir de la dominance des GAFAM ?
Ok, le monde de la blockchain serait donc à ses prémices, mais quelles sont ses promesses ? Pour Clément Jeanneau, cofondateur de l’entreprise de conseil Blockchain Partner, cette technologie excite les entrepreneurs parce qu’elle pourrait bien renverser des géants comme Facebook ou Google. « Les gens qui veulent innover sur le web se sentent pris au piège, explique-t-il. Les dix applications les plus téléchargées appartiennent toutes aux GAFAM. Ces entreprises ont une position monopolistique qui capte toute la valeur. La blockchain offre l’opportunité de changer les choses. » Comment ? En proposant des services à l’opposé de ceux imposés par les géants de la tech : ils protégeraient les données de leurs utilisateurs et leur redistribueraient l’argent généré. C’est le cas d’applications comme Uport, Blockauth ou Nekti qui veulent mettre en place un système d’identification authentifié.
Plutôt que d’utiliser Google ou Facebook Connect qui aspirent vos data, ces projets vous laisseraient gérer plusieurs identités numériques afin de vous donner la main sur ce que vous voulez partager et à quel prix. Dans la même logique, le navigateur Brave vous permettrait de garder secrètes certaines de vos données et d’en vendre d’autres contre des « Basic Attention Token », une monnaie virtuelle échangeable contre d’autres crypto-monnaies. Enfin le réseau social Steemit envisage de redistribuer ses revenus publicitaires à ses utilisateurs. Ainsi, à chaque fois qu’ils postent un texte, ce dernier est soumis au vote de la communauté. Plus le succès est grand, plus les auteurs gagnent de tokens pouvant monter jusqu’à l’équivalent de plusieurs milliers de dollars.
Une technologie encore immature
Le seul problème reste que la blockchain n’est pas du tout au point. Pour émerger à grande échelle, elle va devoir évoluer, aussi bien en termes d’expérience utilisateur que de performance. « Au début des années 90, personne n’était sur Internet car c’était compliqué à utiliser et la bande passante était trop limitée, raconte Primavera de Filippi. C’est un peu la même chose pour les registres distribués. On dit souvent que le grand public n’est pas assez mûr pour ces applications mais c’est l’inverse. La plupart des applications blockchain sont mal fichues et ne supportent pas une utilisation massive. CriptoKitties, (la fameuse application d’échanges de chats virtuels), la seule qui ait connu le succès et l’afflux d’utilisateurs, a fortement ralenti la plateforme Ethereum sur laquelle elle est hébergée. »
Ce ralentissement, on le doit à l’architecture même de la blockchain. Chaque transaction est sécurisée et vérifiée par l’ensemble des chaînes de blocs. Ce protocole est extrêmement coûteux en énergie, très polluant, mais, en plus, il est inefficace. Il ne peut traiter que 25 opérations à la seconde quand Visa – entre autres exemples – en traite 20 000. En bref, il va falloir encore patienter avant de voir arriver cette fameuse révolution.
Cet article est paru dans la revue 17 de L'ADN consacrée aux tendances 2019. Pour vous procurer ce numéro, il suffit de cliquer ici.
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