
Et si le point commun entre Pether Thiel, Steve Bannon, Elon Musk et Marc Andreessen était un livre de science-fiction de 1967 qui avait prédit le futur dystopique dans lequel nous vivons ?
Dérèglement climatique qui s’aggrave d’année en année, montée en force d’un solutionnisme technologique pas forcément efficace, bataille autour des ressources naturelles et notamment des terres rares et de l’eau ou bien encore désordre sociétal amplifié par les réseaux sociaux… Il est difficile aujourd’hui de ne pas avoir cette impression de vivre dans une dystopie cyberpunk digne de Blade Runner. Si les signaux d’alarme sont tous au rouge, rien ne semble vraiment infléchir la course technologique que nous impose la Silicon Valley. Peu importe qu’elles soient extrêmement gourmandes en énergie, les technologies basées sur l’intelligence artificielle ou la blockchain se développent sans régulation véritable en dehors de l’Europe. Et si ce sentiment de subir une accélération n’était pas une vague impression, mais bien le résultat d’une idéologie extraite d’un livre de science-fiction ayant pris un tournant sombre ? C’est la thèse que développe l’essai vidéo de la chaîne YouTube Philion, intitulé La philosophie dystopique dons vous n’avez jamais entendu parler et qui parle d’accélérationnisme.
De la science-fiction à la philosophie
« L'accélérationnisme - c'est une simple doctrine de partage. Il propose que nous, du Ciel, donnions à ceux qui habitent en bas, nos connaissances, nos pouvoirs et notre substance. Cet acte de charité serait dirigé dans le but d'élever leur condition d'existence à un niveau supérieur. Niveau, semblable à celui que nous occupons nous-mêmes. Alors tout homme serait comme un dieu, voyez-vous ».
Lord of light
Ce texte est tiré de Lord of light, un livre de science-fiction signé par Roger Zelazny. Si cet ouvrage est tombé dans les limbes pendant les décennies qui ont suivi sa parution en 1967, cette période peace and love, l’idée qu’elle contient a continué à faire son chemin. En effet, l’accélérationnisme prône une accélération radicale du processus d’évolution technologique et du capitalisme dans le but de changer la société et d’émanciper les individus.
Les lumières sombres de la Silicon Valley
On la trouve aujourd’hui chez ceux qui estiment que l’avènement de l’IA va permettre l’installation d’un revenu universel qui libérera les individus du travail. Mais au cours des années 2000, plusieurs personnalités de la Silicon Valley vont s’emparer du concept jusqu'à le tordre pour en faire une dystopie contemporaine. Elle imprègne les discours de personnalités bien connues comme Peter Thiel, cofondateur de Paypal et Palentir (et premier investisseur de Facebook), Steve Bannon, Chief Strategist à la Maison-Blanche sous Trump, ou bien Marc Andreessen, l’inventeur de Netscape et le cofondateur du fonds d’investissement Andreessen Horowitz qui a notamment participé aux lancements de Facebook et Twitter. La question reste posée pour Elon Musk même si plusieurs de ses déclarations semblent aller dans ce sens.

Tous s’inspirent du philosophe Nick Land, un professeur de l’université britannique de Warwick qui a réimaginé l'accélérationnisme sous le terme de « dark enlightenment » que l’on pourrait traduire par « les lumières sombres ». Ce dernier a créé en 1995 le cybernetic culture research Unit, un think tank couvrant les sujets du futurisme, de la numérologie, du mysticisme et de la science-fiction pour arriver à la création du concept d’hyperstition, un mot qui désigne un système de prophéties autoréalisatrices basées sur la technologie. Concrètement, cette école de pensée estime que la plupart des problèmes humains seront réglés par la technologie et qu’il faut donc accélérer au maximum cet avènement.
Sortir de l’âge sombre en appuyant sur le champignon
Cette philosophie va être reprise par le blogueur Curtis Guy Yarvin, un penseur néoréactionnaire influent. Peu connu en Europe, c’est à lui que l’on doit l’utilisation du concept de red pill (pilule rouge) issu du film Matrix. Cet objet qui symbolisait l’accès à la vérité (ainsi que les hormones féminines que prennent les femmes trans) a été détourné par l'alt-right pour devenir une arme de conversion aux idées d’extrême droite. Curtis Yarvin a inspiré une partie très mystique de l’alt-right qui estime que nous vivons dans le kali yuga, le quatrième et actuel « âge sombre » selon la cosmogonie hindoue. D’après les traditions védiques, il s’agit d’une période extrêmement matérialiste, pleine de confusions, de guerres et de fausses croyances. À l’inverse du traditionalisme, l’accélérationnisme serait donc un moyen d’en finir avec cet âge sombre en utilisant le capitalisme à outrance et la technologie.
L’avenir que visent les tenants des « lumières sombres » n’est pourtant pas très glorieux. La société devrait retrouver un système de caste basé sur le sexe, la couleur de peau, la culture, le quotient intellectuel et certains comportements dérivés du masculinisme comme le fait d’être un homme « alpha » ou « beta ». Si cette branche idéologique vous paraît un peu trop proche des idéaux nazis, pas de problème, il en existe une autre. Nick Land a, quant à lui, fondé une autre branche intitulée Landian accélérationnisme selon laquelle il faut pousser l’intelligence artificielle au maximum pour que les robots puissent prendre le pouvoir et détruire l’humanité. Pensez-y la prochaine fois que vous utiliserez ChatGPT.
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