Ils annulent à la dernière minute leur date Tinder par peur de se faire contaminer, flippent à l'idée de faire la conversation, et frôlent la syncope au moment de s'extraire de leur plaid pour aller boire un latte avec leur match Bumble.
Depuis quelques mois, l'idée d'un rendez-vous galant ennuie à mourir, voire révulse, ces célibataires jadis habitués des applications de rencontre. Après plus d’un an de confinement et de vie sociale agonisante, c'est le FODA, pour fear of dating again (la peur de faire de nouveau des rencontres amoureuses) qui les frappe. Ils nous racontent.
« Qu’est-ce que je fous ici ? »
Le premier confinement, Adèle*, 20 ans, étudiante dans la mode, l’a passé à chatter sur Tinder, pour passer le temps et déconnecter d’un quotidien entre quatre murs. Quand l’été arrive, elle enchaine les dates et les swipes, accoudée à un comptoir avec ses copines, pouffant à l’idée de récolter plus de numéro qu'elles. « J’avais le sentiment de revivre, de manière légère et libre, sans me prendre la tête, de renouer avec le monde », se souvient-elle. Un confinement plus tard, une fois la frénésie de l’été passée, Adèle a supprimé toutes ses applications pour quelques mois d’hibernation. « C’est simple, de septembre à mars, j’étais dans un cocon. » Alors qu'une copine lui raconte qu’elle n'a couché avec personne depuis un an et n’a aucune intention que cela change, Adèle réalise dans un fou rire que c'est pareil pour elle. « L’idée même de me retrouver nue avec un mec me révulse, cela me semble lunaire ! » En interview, sa voix monte dans les aigus comme elle martèle les mots qui semblent lui faire particulièrement horreur : « Je ne me vois pas du tout rencontrer un homme, être NUE, chez LUI, dans son LIT ! Mais qu’est-ce-que ce qui se passe ? »
En cause : perte des habitudes et repli sur soi, qui touchent beaucoup de gens depuis le début de la pandémie.
La semaine dernière, avec l’annonce de la réouverture prochaine des terrasses, la jeune fille tente une timide incursion sur Tinder. Force est de constater que le cœur n’y est pas, elle n'a de cesse de scroller à gauche. Jusqu’à ce qu'elle tombe sur Tom*, Franco-Américain de 25 ans. Sur le papier, l’homme de ses rêves. Adèle se fait violence pour le retrouver devant son restaurant mexicain préféré, et arrive même en retard à force d’enfiler les tenues devant sa glace. « Et bien, c’était horrible, l'angoisse ! Il était beau, doué, sympa, le soleil brillait sur les quais de Seine… Mais on n’avait rien à se dire, c’était ultra gênant. On a parlé vaguement du Covid et du vaccin… C’était très impersonnel, très conversation Uber, bref, chiant à pleurer. J’avais la sensation de passer un entretien d’embauche. Cela n’a duré qu’une heure, et tout du long je n’arrêtais pas de me dire : mais qu’est-ce que je fous là ? » Quand ils se séparent après un au revoir maladroit, c’est avec soulagement.
Ce malaise des rencontres amoureuses, Charlotte*, 33 ans, consultante qui annule rendez-vous sur rendez-vous, le connait bien. Comme elle a pris l’habitude de télétravailler à mi-temps dans le sud-ouest chez sa mère, elle redoute d’attraper le virus et de la contaminer. Calfeutrée seule chez elle depuis des mois, les gestes de la vie de tous les jours lui semblent de plus en plus fatigants. « C’est déjà galère d’aller en date, mais là vu le contexte, c’est carrément sous-sexy ! », affirme Charlotte qui ne supporte plus de mettre les pieds au bureau et de voir du monde.
Et ce n’est pas son rendez-vous avec Arthur* qui l’a fait changer d’avis. Son profil était plutôt convaincant, mais c’est la douche froide durant la rencontre. « J’ai pris le RER pour le retrouver à Meudon pour une balade sous la neige… On marchait côte à côte, du coup je ne le voyais que de profil, et avec son masque. Quand il l’a retiré au bout de deux heures, je me suis rendue compte qu’il ne ressemblait pas du tout à sa photo… » Déjà refroidie, Charlotte déchante au fil des jours alors qu’Arthur, qui cumule les galères, s’épanche de plus en plus : « Il me racontait tout, comme si j’étais un vieux pote de collège : son chômage, ses problèmes de fric, ses soucis gastriques… Je comprends, on est tous un peu à bout en ce moment, mais franchement, je n'avais pas envie de porter ça ! »
The Walking Dates, ou la terreur de devoir aller aux toilettes
En plus de la peur des variants et de la flemme de s’extraire de ses leggings en pilou, il faut composer avec la nouvelle topographie de la ville. « Il n’y a nulle part où aller, rien à faire », déplore Alex*, 27 ans, qui vit à Berlin chez ses parents. Avec son dernier date, il tourne en rond en ville jusqu’à ce qu’une pluie torrentielle les contraigne à trouver refuge dans la galerie marchande souterraine de la gare… « Ça sentait le kebab et la saucisse grillée, bref, rien de très romantique, raconte le jeune homme. Comme on ne peut pas aller boire un verre, on aimerait bien pouvoir se poser sur un canapé au chaud et se faire un thé, faire pipi quand on a besoin... Sauf qu’inviter quelqu’un directement chez soi, cela peut faire flipper et mettre mal à l’aise. »
On ne sait plus faire la conversation
Pas de restaurants, pas de bars : c'est l’occasion de mitonner sur-mesure des rendez-vous originaux, un peu plus aventureux, hors des sentiers battus du traditionnel dîner-cocktail. Le résultat ? Des rencontres parfois éreintantes... « Devoir faire la conversation, cela me rebute. Du coup, l’idée d’être coincé deux heures dans un train en partance pour une session pique-nique ou escalade dans la forêt du coin avec quelqu’un avec qui le courant ne passe pas me terrifie », avoue Alex.
Pour Joanna*, Lyonnaise polyamoureuse de 25 ans, c'est aussi l’exercice de la conversation, un peu empruntée et pas très naturelle, qui la tétanise. « Je suis devenue allergique au small talk. Moi qui étais très sociable, fêtarde, et à l’aise avec le fait d’échanger des banalités, je ne supporte plus de devoir rester à un niveau de conversation artificiel et superficiel… Je pense que les confinements m’ont rendue plus introvertie et m'ont donné l'envie d'aller direct à l'essentiel. J'ai tout de suite envie de parler de trucs profonds et intimes, et ce n'est pas forcément possible lors d'un premier rendez-vous. »
Aller à l’essentiel, oui, mais pour Soan*, 34 ans, chef de projet IT dans une startup parisienne, encore faut-il avoir le courage et l’énergie d’aller à la rencontre de l’autre. « Et ce n’est pas mon cas. Je ne me sens plus moi-même, je me sens rouillé, dans ma coquille. Lors de mon dernier rendez-vous, j’étais gauche, empoté, embarrassé. Je ne savais pas quoi faire de mes mains, comme si j’avais perdu l’habitude de m’en servir. Tout me posait question, je me demandais comment on allait se saluer, et si on pouvait se faire la bise avec le masque… » Le confinement a laissé des traces chez le jeune homme, qui n’a plus l’impression de savoir gérer les rapports humains. « Donc l’idée de me remettre à dater… », soupire Soan en levant les yeux au ciel..., « non merci ! »
Tinder, le nouveau Zoom
Si faire des rencontres semble aussi drainant aux célibataires d’aujourd’hui, c’est que le contexte impose de passer par les applications de rencontre. « Et franchement, passer du temps devant un écran, cela me sort par les yeux », rapporte Joanna, devenue phobique des conversations échangées par ordinateurs interposés. « En fait, les premiers messages sur les app de rencontre ressemblent beaucoup à ceux que l’on échange avec des collègues avec qui on ne peut approfondir sa relation faute d’aller partager une bière après le bureau. Les éléments de langages sont les mêmes – Salut, ça va, tu fais quoi dans ton équipe ou dans la vie ? Au secours… »
Entre le télétravail et les loisirs de plus en plus réduits à Netflix et Candy Crush, jouer du clavier est devenu synonyme de punition. « Tinder m’apparait comme un énième outil professionnel où je suis contraint de me montrer, précise Soan. Je crains presque de finir avec des problèmes musculaires à force de cliquer d'une main et de swiper de l’autre… »
Ce n'est pas dater qui nous manque le plus
Vivre des scènes idylliques tirées de romcom ne les fait plus rêver. Plutôt que de « rencontrer quelqu’un » ou de passer une nuit torride avec un musicien brésilien, Adèle préfèrerait éplucher le net à la recherche d’un brunch ridiculement hors de prix et partir en week-end à la campagne avec ses meilleures amies.
« Le Covid m’a fait changer de perspective sur le dating et les mecs en général, analyse Louise. Je me sens complètement désintéressée, comme quand j’étais en 6ème, que mes copines commençaient à lorgner en direction des beaux gosses de la classe, et que je n’avais pas pris le train en marche. Aujourd'hui, je constate parfois qu’il y a des mecs mignons autour de moi, mais je m’en fous, je n’ai pas envie de leur parler. Encore moins de les toucher ! » Jusqu'à quand ?
*Les prénoms ont été changés
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