
Elles sont blondes, souvent enceintes et adorent les leggings. Pour occuper leurs journées, elles filment des vidéos TikTok en direct de leur cuisine immaculée ou de leur SUV surdimensionné.
Bienvenue dans le monde des Utah moms, ces mères au foyer à la longue chevelure ondulée qui aiment partager leur quotidien, entre courses au supermarché et commandes de boissons Starbucks compliquées passées en direct de leur bagnole. De loin, l'un des personas du Web les plus fascinants, entre exhibition décomplexée de leurs enfants sur les réseaux, repli sur la sphère familiale et durcissement idéologique.
Qui est la Utah mom ?
Comme l'indique son surnom, la Utah mom habite l'Utah, état montagneux situé à l'ouest des États-Unis. On la reconnaîtra à son allure : ongles manucurés, tenues sportives parfaitement coupées (elle fait beaucoup de yoga et transporte de nombreux packs d'eau de leur garage à leur gigantesque frigo avec distributeur de glaçons intégré), extensions capillaires et fond de teint matifiant. Ensuite à ses accessoires : le dernier iPhone, une voiture qui pollue plus que le Costa Rica, et une maison qui fait la taille d'un département et comporte plus de pièces que l'aile Nord du château de Versailles. Enfin, à son entourage : deux ou trois jeunes enfants, un mari très musclé à casquette et maillot de basket, et quelques copines qui lui ressemblent trait pour trait. Le week-end, elles tourbillonnent dans de longues robes à fleurs et improvisent des chorégraphies sur la pelouse du country club local ou de l'association de préservation du patrimoine historique.
En semaine, les Utah moms se maquillent soigneusement et partagent des instants complices avec leurs enfants rieurs entre deux deux séances d'étirements. Elles grimpent parfois sur la table de la cuisine (complètement beige) pour twerker sur Rihanna, mais traînent le plus souvent en leggings dans leur maison vide (leur mari est riche, elles n'ont pas besoin de travailler), déballent des montagnes de colis Amazon, bouclent leurs cheveux, boivent des décalitres de dirty sodas sucrés et pétillants, et pestent contre le port du masque en temps de pandémie. Le week-end, elles emmènent leur petite fille à des concours de beauté, font les magasins et célèbrent (parfois au rosé) la vie des pionniers de 1847 lors de barbecues avec les voisins. Un mode de vie que beaucoup d’internautes leur envie, si l’on en croit les commentaires : « j’aimerais trop que cela soit ma vie », « moi aussi je veux arrêter de travailler pour passer ma journée dans cette maison », et « puis-je déménager dans l’Utah svp ? » Sur TikTok, le #utahmom compte plus d’1,5 milliards de vues, généralement associées aux hashtags #pregnancy (grossesse), #momlife (vie de maman), #momsoftiktok (mamans de TikTok) ou encore #youngmoms (jeune maman).
Bienvenue en terre mormone
Sur le papier, les Utah moms pourraient ne pas différer des mères au foyer issues de n'importe quelle banlieue américaine cossue et majoritairement blanche. Rappelons toutefois que l’Utah se situe en plein cœur du Corridor Mormon, qui s'étend de l'Idaho à l'Arizona. Dans la région, une grande majorité de la population appartient à l'Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours, aussi appelée LDS en anglais (pour Latter-day Saints), que l’on connaît sous le nom d’Église Mormone. Salt Lake City, la capitale de l’Utah, est le siège mondial de l’Église, à laquelle se rattachent selon les sources entre 60 et 80% des habitants de l'état. Parmi les valeurs défendues par l’Église : tradition, répartition genrée des rôles, fertilité et soumission à l’époux. Des valeurs qui passent mieux lorsqu’elles sont portées sur les réseaux par des femmes qui paraissent ultra épanouies lorsqu’elles remplissent le frigo de produits congelés en écoutant Beyoncé. En 2020, la chaîne Bravo a lancé l'édition basée à Salt Lake City de son émission de télé-réalité The Real Housewives, qui depuis 2006 met en scène dans différentes villes des États-Unis de riches Américaines désœuvrées. Si les participantes n’étaient pas des pratiquantes modèles (l'une d'entre elles a été excommuniée), l’émission avait toutefois permis une plongée dans un univers relativement fermé, où la religion joue un rôle central et où la place des femmes soulève de nombreuses questions.
En 2020, The New York Times se penchait sur le cas d'une croisade un peu singulière. À l'époque, certaines femmes mormones demandent à l’Église d'ajuster les « vêtements du temple » pour les rendre plus confortables. Reliques du 19ème siècle et symboles de dévotion, « les vêtements du temple » sont des sous-vêtements sacrés fabriqués à partir de tissus grossiers supposés rappeler l'époque des pionniers. Vendus par l’Église dans le monde entier à des prix peu élevés, ces sous-vêtements censés être portés jours et nuits sont particulièrement inconfortables pour les femmes, provocant infections et plaques urticantes. Dans l'Utah, la recommandation n'est pourtant pas prise à la légère. « La plupart des membres actifs de l’Église, y compris les jeunes, prennent au sérieux l’exhortation de les porter aussi souvent que possible, souligne le média américain. D'après un sondage réalisé en 2016, seulement 14 % des membres de l'Église estiment acceptable de retirer les vêtements. Un phénomène qui peut sembler anodin mais témoigne du profond entremêlement de l’Église et de la vie intime sur le territoire. Au sein de cet État fortement imprégné de religion, difficile de ne pas voir les Utah moms comme les influenceuses cool qui, après avoir troqué leurs sous-vêtements en toile épaisse contre des leggings léopard, promeuvent toujours à demi-mot le mode de vie rigoriste des Saints des Derniers Jours de Salt Lake City.
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