
En ligne, tirer une croix sur l'autoérotisme est pour les vrais mâles le signe de la puissance et du dépassement de soi.
« Rien ne me fait peur. Plus rien ne me fait mal », déclare iamLucid, youtubeur au regard légèrement illuminé. Torse nu en plein mois de janvier dans un jardin du Michigan, il affirme à ses abonnés qu'accepter l'inconfort permet de reprendre le contrôle sur sa vie. Pour cela, il prend des douches froides tous les jours et ne se masturbe plus devant des contenus pornographiques depuis près d'un an. À ses yeux, la masturbation est : « la chose la plus bêta », « la plus faible qu'un homme puisse faire. » Dans le lexique masculiniste, il faut comprendre par « hommes bêta » les hommes étant au plus bas dans l'échelle de la masculinité. Le jeune iamLucid n'est pas le seul à tenir ce type de propos. Sa vidéo fait partie d'une communauté florissante visant à arrêter la masturbation. Bienvenue chez les NoFap.
Les NoFap : non à « la sexualité du désespoir »
« Plus de deux décennies d’utilisation croissante d’Internet ont fait naître des craintes quant aux impacts sociaux et psychologiques d’un accès presque illimité à la pornographie », souligne NPR. En réponse, certaines communautés s’agrègent autour de l’abstinence. Sur les réseaux, les adeptes du mouvement, en grande majorité masculin, ont un cri de ralliement : NoFap. Il s'agit d'un terme anglophone argotique désignant le rejet de la masturbation et de toute stimulation sexuelle. Née dans les années 2000 sur les forums dédiés au bodybuilding et à la musculation, l'expression a rapidement été popularisée sur 4chan, où elle est régulièrement accolée au néologisme « fapstronaut » (fap + astronaut), pour évoquer les champions de l’abstinence. Aujourd'hui, le terme recouvre diverses affirmations selon lesquelles renoncer à la masturbation conférerait des bénéfices sociaux et sanitaires.
Si de rares défenseurs du NoFap mettent en avant des raisons religieuses, la plupart présentent leurs conseils comme un levier scientifique d'auto-amélioration, comme c'est parfois le cas chez les looksmaxxers. Sur Reddit, le forum r/NoFap invite à se désintoxiquer de la pornographie. Une ambition aussi portée par une entreprise du même nom, qui propose, moyennant finance, l'accès à son propre forum et à des groupes de soutien. La société recommande à ceux qui pensent être accros au porno de ne pas se masturber pendant 90 jours, durant lesquels le cerveau est supposé redémarrer comme un ordinateur. Cela permettrait de développer des « superpouvoirs » : plus de confiance en soi et un fort intérêt de la part des femmes. Il faut aussi compter avec les multiples gourous survoltés, coachs en développement personnels et autres charlatans proposant traitements et soins psychologiques.
Sur TikTok, le #nofap approche les 3 milliards de vues. Parmi les vidéos populaires, celle de Sea2, qui entend « aider les gens à surmonter leur addiction à la pornographie. » Plutôt sain dans l'absolu, sauf que les prémisses semblent un peu bancales : « Pourquoi est-ce que c'est [le porno] une mauvaise chose ? Est-ce que vous regarderiez du porno devant un enfant ? (...) Non ? Alors vous avez votre réponse. »
Les médecins en PLS...
Publiée en 2022, une étude révèle que la « rétention de sperme » et les hashtags associés étaient le sujet de santé masculine le plus populaire sur TikTok et Instagram. Contrairement à toutes les autres thématiques étudiées en rapport avec la santé des hommes, aucun des contenus circulant en ligne ne provenait de médecins. Ainsi, de nombreux chercheurs et sexologues craignent que les communautés en ligne exacerbent les problèmes de santé mentale et entraînent vers des groupes extrémistes. En ligne, les masculinistes et leurs envies de virilité survitaminées ne sont jamais bien loin. « J'ai des théories en ligne expliquant que la rétention de sperme peut augmenter votre taux de testostérone, guérir la dysfonction érectile, vous rendre plus viril, vous rendre plus fort, guérir la dépression, vous rendre plus performant, éclaircir votre peau. Et il n'y a aucune preuve médicale que cela fasse l'une de ces choses », a déclaré l'urologue Ashley Winter à NPR.
... et les hommes en crise
Parmi les instigateurs de la mouvance NoFap : Gary Wilson, ancien massothérapeute dans l'Oregon décédé en 2021, qui dirigeait le site Web appelé yourbrainonporn.com. Alors qu'il n'était ni médecin ni chercheur, rappelle NPR, il donne une conférence TEDx devenue virale dans laquelle il explique que la pornographie est dangereuse pour le cerveau des hommes : « Avec la pornographie sur Internet, un homme peut voir plus de filles sexy en 10 minutes que ses ancêtres n'auraient pu en voir en plusieurs vies. Le problème est qu'il a un cerveau de chasseur-cueilleur. »
Mené fin 2022, un sondage montre que quatre Américains sur 10 estiment que la société est devenue trop « douce et féminine ». La même année, l'ancien animateur de Fox News, Tucker Carlson, a réalisé une émission spéciale intitulée « La fin des hommes » (The end of men), argumentant que : « le déclin de la masculinité, de la virilité, de la santé physique, ensemble, menacent de condamner notre civilisation ». Émission souvent citée parmi les pratiquants du NoFap flirtant volontiers avec la manosphère. En 2016, Alexander Rhodes, fondateur de la société NoFap, a d'ailleurs fait une apparition dans un talk-show animé par Gavin McInnes, cofondateur du magazine Vice dans les années 1990. Celui qu'on a longtemps qualifié de « parrain » de la mouvance hipster fondera quelques mois plus tard le groupe nationaliste et suprémaciste Proud Boys.
L'addiction à la pornographie
Rappelons que la notion d’addiction à la pornographie ne fait pas l'unanimité. Aux États-Unis, le diagnostic n'existe pas. Une catégorie appelée « hypersexualité », qui comprenait une sous-section relative à la pornographie, a été examinée et rejetée par les psychiatres compilant le célèbre DSM (pour Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders), ouvrage de référence en psychiatrie censé répertorier l’ensemble des troubles psychiques. Selon un responsable de l'American Psychiatric Association, la condition proposée n'a pas été approuvée parce que l'éventail des comportements sexuels normaux est si large qu'il est difficile de définir ce qui se situe en dehors de cet éventail. À l’échelle internationale, l’OMS a approuvé une condition appelée « trouble du comportement sexuel compulsif », rappelant que le syndrome ne peut être diagnostiqué sur la base de jugements moraux.
Honteux, en quelques articles on réalise vite quelle influence a Tiktok sur le cerveau des jeunes (j'ai 30 piges pas 80) et là on est quand même en train de faire l'apologie de "l'échelle du masculinisme" mais quelle honte en fait j'suis un mec et j'ai honte face a autant de sexisme que font les féministes ? Trop occupées sur onlyfan, étouffées par leur hypocrisie ?
"Rappelons que la notion d’addiction à la pornographie ne fait pas l'unanimité. Aux États-Unis, ce diagnostic n'existe pas."
Rappelons également que les États-Unis ne doivent pas être considérés comme une référence universelle sur ce sujet. Consacrer une simple ligne en fin d'article à l'OMS, qui reconnaît qu'il pourrait effectivement y avoir un problème, donne malheureusement une image nécrosée de votre média.