Le journalisme en peine de proximité

« Aujourd’hui le journalisme ne suggère plus, il réagit »

© Thought Catalog via Unplash


Alors que l’intérêt pour l’actualité décroît et que la défiance vis-à-vis des médias, elle, n’en finit pas de grandir, la presse traditionnelle comme les pureplayers tentent d’inverser la vapeur et de recréer de la proximité. Si ces efforts sont louables, le chemin vers la confiance reste, semble-t-il, encore long. Paul Douard, rédacteur en chef de Vice France nous livre son analyse.

Les médias restent tributaires d’une représentation négative qui leur colle à la peau : celle d’un microcosme parisien complètement déconnecté du quotidien des Français. Êtes-vous d’accord avec ce diagnostic ? Et si oui, pourquoi ?

Je partage le constat, le problème reste l’entre-soi. Aujourd’hui encore, la quasi-majorité des journalistes sont formés aux mêmes endroits, dans les mêmes écoles de journalisme. Le manque de diversité des profils et des parcours dans le monde des médias contribue à une certaine homogénéité des angles et des sujets abordés. Néanmoins, la situation est en train de changer dans les rédactions : de nombreux médias constatent qu’il est intéressant, voire nécessaire d'intégrer des profils variés à leurs équipes de journalistes. Chez Vice, c’est le cas depuis longtemps. Nous avons toujours intégré une diversité de profils au sein de notre rédaction car nous avons besoin d’autres regards, couplés à la rigueur des écoles de journalisme. J’ai également toujours mis un point d'honneur à collaborer avec des profils installés aux quatre coins de la France. C’est ce qui fait, je pense, la différence. 

Comment peut-on être plus proche des lecteurs ?

Il faut prendre le temps. Ne pas sauter sur les sujets chauds pour mieux les analyser et prendre de la hauteur. Être juste, et ne pas forcément être à l’écoute des réseaux sociaux et ne pas toujours y tirer ses sujets car cela peut avoir tendance à lasser les lecteurs qui ont l'impression que l’information se fait sans eux. Dès lors que l'actualité se construit entre Twitter et les rédactions, une majeure partie de la population qui n'y est pas ou peu, peut avoir un sentiment d'exclusion, à tort ou à raison, se disant oubliée. Ce qui amène fatalement à une perte de confiance. Ce qui est réellement important c’est la composition des équipes. Une rédaction composée de profils variés contribue à rendre compte de la complexité de la société. Je suis convaincue que c’est la diversité de ces profils qui nous permet de nous faire l’écho de la société et de rendre compte des préoccupations de nos lecteurs. 

Est-ce que le paysage journalistique n’est pas devenu trop lassant et monotone ?

Je ne dirai pas lassant, ce qui peut lasser c’est le flux croissant d’informations. Le temps long qui permet de créer une pause et de prendre du recul sur un sujet est en disparaît au profit de l'immédiateté de la news. Ces dernières années nous avons aussi assister à l'émergence de médias exclusivement diffusés sur les réseaux sociaux contribuant aussi à une certaine saturation. Il faut toutefois reconnaître que l'émergence de ces médias a également contribué à la diversification du paysage journalistique en rendant visible des voix alternatives jusqu'ici absentes du monde des médias. 

A l’ère du débat, le reportage est-il mort ?

Si à l’origine, le débat est censé émaner du reportage, je constate qu’il se passe actuellement l’inverse. Le journalisme a switché : il intervient en réaction là où avant il faisait émerger des sujets de société. Par exemple, beaucoup de médias commencent par identifier des débats qui naissent des réseaux sociaux pour ensuite décider de creuser le sujet. Aujourd'hui, le journalisme ne suggère plus, il réagit, c’est dommage. Ce renversement peut créer de la frustration voire une certaine défiance chez les lecteurs.

Peut-on alors retrouver de la proximité par le ton d’écriture et la ligne éditoriale ?

Nous misons justement sur un journalisme incarné et immersif qui se construit aussi par ce contre-pied du journalisme de l’information en continu. Nous laissons beaucoup de place aux témoignages. Le métier de journalisme est là pour filtrer et restituer l’information de la manière la plus honnête possible. C’est comme cela que le lecteur peut se reconnaître. Nous aimons aussi laisser nos plumes s’exprimer. Cela donne de la personnalité à nos enquêtes, les rendant aussi vivantes que pointues. 

Comment peut-on mieux écouter la société aujourd’hui ?

Comme je le disais précédemment il est très important de travailler avec des journalistes installés partout en France afin de se faire l'écho de la société dans toute sa diversité. De ce point de vue là, je pense notamment que la PQR a un rôle central à jouer, qui plus est dans un paysage médiatique de plus en plus centralisé.

Vincent Thobel

Après des débuts en radio, Vincent Thobel se dirige vers la presse écrite où il dépeint la société de la Russie au Moyen-Orient en tant qu’indépendant puis pour le magazine NEON. Il met ensuite cap vers le lifestyle et la gastronomie pour Rue89 et L’Express avant de devenir chef de projet éditorial pour le Groupe Figaro. Il rejoint L’ADN en 2019.
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  1. Avatar clarke dit :

    La diversité géographique ne suffit pas mais la diversité politique, sociologique en lien avec la liberté éditoriale des journalistes pour composer des redactions.Les journalistes devraient d'abord être des témoins or il ont pris fait et cause pour l idéologie de leur actionnaire privé ou public qui représentent le 1% des français. Dès lors la société dont nous parle ces journalistes composée d un excès de fait divers et de sujet de société empêche de voir la réalité des 99% des autres français.Rien d' étonnant que les grands médias perdent autant d audience en corrolaire des politiques dont les français se sont détournés.

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