Léa Sadoun

Économie et climat : « Il existe des solutions pour agir tout de suite, avec le cadre dont on dispose déjà »

© Jean-Yves Dogo

Croissance infinie, hyperperformance, ultra-fast consommation… l'économie reste drivée par la finance. Mais pour Eva Sadoun, autrice de l'essai Une économie à nous, des alternatives existent. Et elles sont déjà là.

Croissance infinie, hyperperformance, pleins pouvoirs aux actionnaires... le monde de la finance reste bien ancré dans le monde d'avant. Dans son livre Une économie à nous qui vient de paraître, Eva Sadoun propose une autre vision. À 31 ans, elle a co-fondé deux entreprises dans le domaine des Fintech à impact : LITA.co et Rift. Elle est également présidente du mouvement Impact France qui se veut être une alternative au Medef. Selon elle, il existe des leviers pour remettre de la justice sociale et climatique dans notre économie. Reste à les mettre en œuvre. Interview.

À qui est destiné votre essai, Une économie à nous ?

Eva Sadoun :  C'est un essai qui veut s'inscrire dans le cadre des élections présidentielles et de la présidence française du Conseil de l'Union européenne. Avec la crise sanitaire, la crise économique qui va en découler ainsi que la transition écologique qui s'impose à nous, nous sommes à un stade où nous nous devons de reconstruire l'économie. Malheureusement, personne n'y comprend rien ! Non seulement l'économie et la finance ne sont pas expliquées aux citoyens mais elles sont tout à fait absentes du débat présidentiel. C'est un drame, car l'économie est le sujet central qui structure les inégalités aujourd'hui.

Vous regrettez particulièrement ce déficit d'éducation...

E. S. :  En effet, je pense que l'enseignement de l'économie est trop étroit. D'un côté, il y a les apprentissages très pragmatiques dans les BTS notamment qui forment à la comptabilité, au commerce international. De l'autre, à Sciences Po ou dans les écoles de commerce, on enseigne une économie très axée sur la performance. La responsabilité sociale et environnementale des entreprises est rarement prise en compte. Au sortir de ces cursus, les futurs dirigeants d'entreprise et décideurs politiques ont des connaissances très partielles de l'économie et de l'impact des entreprises. On produit un discours dominant qui glorifie essentiellement la liberté d'entreprendre.

Cela a des incidences directes sur la manière dont les dirigeants actuels interagissent avec l'État et les citoyens. Ils ont l'impression que les contraintes de l'un ou les demandes des autres leur font perdre en souveraineté et contraignent leurs décisions. Cette représentation négative empêche l'émergence de nouvelles formes de collaborations. En tant que dirigeante d'entreprise, je le constate moi-même. Par exemple, si vous voulez partager les résultats entre dirigeant et salariés, cela reste une usine à gaz à mettre en place. Il existe de nombreux freins opérationnels et légaux quand on veut développer des projets qui ont un impact social et écologique positif, et à l'autre bout du spectre, aucune fiscalité ne s'applique quand deux fonds d'investissement se vendent les parts d'une entreprise.

Vous pointez un manque cruel de diversité dans les grandes fonctions économiques. Votre essai rappelle le besoin d'une réappropriation de l'économie en incarnant un leadership plus diversifié. Comment faire ?

E. S. :  Je crois qu'il faut se rendre compte des rapports de domination au sein des entreprises et changer les règles du jeu. Il est urgent de sortir de l'économie de la violence : il y a une violence globale envers les salariés quand on voit les délocalisations et les plans sociaux de ces trente dernières années mais il y a aussi une violence dans le leadership. Il faut être un requin pour évoluer dans ces mondes-là. Enfin, il y a une violence envers le vivant puisque l'économie aujourd'hui détruit sans payer.

Pour changer de paradigme et inventer un nouveau leadership, je pense qu'il faut revoir la production des élites et donner la place aux femmes ainsi qu'à toutes les personnes minorisées. Je crois que plus il y aura de personnes concernées dans les sphères de décisions, plus les impacts de l'activité économique et financière sur nos vies à tous seront pris en compte.

Concrètement, quels sont les outils utilisés aujourd'hui pour permettre de partager le pouvoir économique et influer sur les décisions qui nous concernent tous ?

E. S. :  Ce que je veux montrer avec ce livre c'est qu'il existe des solutions pour agir tout de suite, avec le cadre dont on dispose déjà. Le format de lobby d'intérêt général fonctionne bien par exemple. C'est ce que nous faisons notamment avec le mouvement Impact France qui regroupe plus de 7 500 entreprises porteuses d'une vision différente de l'économie. Plus ces initiatives seront nombreuses, plus leurs voix pourront s'imposer dans les grandes négociations et œuvrer à la transition écologique et sociale. 

Je parle également de l'actionnariat « activiste » comme outil de partage du pouvoir. Ces actionnaires engagés vont faire entendre leur volonté d'impact positif dans les assemblées pour changer les choses de l'intérieur. Ce sont des actions qui restent encore minoritaires, mais elles remportent déjà de petites victoires : des mastodontes comme Total ont commencé à mettre la question écologique sur la table grâce à ce type d'initiatives. 

On peut citer les collectifs de salariés également qui s'activent pour la transformation de leur boîte ou des projets comme la Convention citoyenne pour le climat dont on doit s'inspirer. Accorder plus de place à ces mouvements-là peut permettre à ce que notre économie travaille à être plus juste.

À lire : Eva Sadoun, Une Économie à nous, Actes Sud. 2 février 2022

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