Une jeune femme assise sur une voiture rouge

Doom spending : dépenser son argent comme si demain n'existait pas

Foutu pour foutu, ils claquent toute leur thune en « jolies choses ».

De toute façon, ils ne pourront jamais économiser suffisamment pour acheter une maison. C'est le constat qui les conduit à dépenser sans compter en restaurants pour chiens et voyages au bout du monde. Pour les adeptes du doom spending, pas question de se laisser tenter par le no buy, le fait de tirer une croix sur les achats pour une période donnée. Au contraire. On flambe tout, et maintenant.

C'est quoi le doom spending ?

« Lorsque les gens ne se font pas d'illusions quant à l'idée de pouvoir s’offrir les produits caractéristiques du passage à l'âge adulte, comme une maison, ils optent pour dépenser leur argent pour de "jolies choses" afin de traverser une période financière difficile », explique The Independent. Le néologisme doom spending n'est pas évident à traduire : doom en tant que nom signifie à la fois mort, fin tragique, perte, ou condamné (doomed) en tant qu'adjectif. En français, l'expression pourrait donc donner quelque chose comme « les dépenses stimulées par la fin du monde », « les dépenses apocalyptiques », le fait de dépenser son argent sur fond de fin du monde, d'effondrement écologique et de catastrophes géopolitiques. À ce titre, le doom spending est le cousin du doomscrolling, la consommation compulsive et boulimique d'informations anxiogènes.

Dans une vidéo devenue virale sur TikTok, Maria Melchor (@firstgenliving) précise : « Quand des personnes plus âgées me demandent comment les jeunes font pour se payer les jolies choses qu'eux-mêmes n'oseraient pas s'acheter, je réponds que c'est parce que les jeunes ne peuvent pas s'offrir autre chose. Devenir propriétaire ou fonder une famille est tellement hors de notre portée que nous dédions l'argent qui pourrait servir à un acompte ou aux enfants pour obtenir les choses qui nous donneraient ne serait-ce qu'un semblant de la vie d'adulte qu'on nous a promis. Lorsqu'une maison coûte plus d'un million de dollars, et qu'un couple plus âgé pourra sans doute surenchérir, nous renonçons à nos dernières illusions sur l'accession à la propriété. » Avec l'ombre d'un sourire, elle précise : « À la place, nous allons utiliser cet argent pour offrir à nos chiens la vie de petit chiot la plus riche possible. »

Le dernier brunch en attendant la fin du monde

Des propos qui résonnent au sein de la GenZ : « L’avenir n’est pas garanti, il s’effondre sous nos yeux. Profiter de ce que nous avons tant que nous le pouvons est la bonne manière de faire les choses », écrit un internaute. « Ma mère me demande quand je vais arrêter de voyager et acheter une maison. Je n'ai pas les moyens d'acheter une maison mais je peux prendre des vacances », observe un autre. « Si le doom spending c'est dépenser plus de 50$ en produits de base comme le shampoing et le dentifrice, alors oui, je fais du doom spending », commente Spooky Jules sur TikTok. Là, Nia brosse aussi un portrait vitriolé des États-Unis, et du monde en général : des études onéreuses, des taux d’intérêt immobiliers « partis dans la stratosphère », et pas de système de santé universel. « N'oublions pas aussi le fait que notre planète devient invivable à cause des choix faits en notre nom par de grosses entreprises qui n'ont pas l'air de penser qu'un air et une eau propres sont un droit élémentaire. » Avant de conclure : « Donc ouais. En attendant je vais aller bruncher avec mes amis et m'acheter un petit truc mignon si j'en ai envie, parce que quoi d'autre puis-je attendre de cette vie ? »

Dans Hungry : Avocado Toast, Instagram Influencers, and Our Search for Connection and Meaning écrit en 2020, l'essayiste américaine Eve Turow-Paul analyse les dépenses pharamineuses des millennials liées à la nourriture : latte à 5 euros, livraison de burger à domicile, et bien sûr, brunch composé de bols açaï et de coûteux toasts à l'avocat. Pour elle, ces achats semi compulsifs ne sont ni incompréhensibles ni déraisonnables. (N'en déplaise au milliardaire australien Tim Gurner.) Elle rappelle qu'en Corée du Sud, la notion de « fuck it expenses » a émergé il y a quelques années déjà pour catégoriser les dépenses dites coupables, qui pour la chercheuse recouvre autre chose. « Peut-être qu'une machine sous vide aide à gagner du temps pour préparer le dîner et procure un sentiment de contrôle. Peut-être que quelqu'un voit passer des matcha latte partout dans le flux de ses réseaux sociaux et qu'il souhaite s'associer à ceux qui postent ce type de contenu ; tout à coup, un café au lait n'est plus seulement une boisson, mais la clé pour intégrer un groupe social. Peut-être que certains aspirent à une plus grande connexion aux autres et à la Terre, et voient dans la culture alimentaire mexicaine indigène un moyen d'explorer ces thèmes », explique-t-elle dans une interview donnée à L'ADN.

Pessimisme ambiant et bonnes affaires

Selon une étude réalisée en 2022 par McKinsey, un quart de la génération Z doute de pouvoir prendre sa retraite, et moins de la moitié pense qu’ils seront un jour propriétaires. Et le phénomène se traduit par un accroissement des achats. D'après un sondage mené par Credit Karma, plus de 25% des Américains feraient face à l'angoisse causée par la récession économique et la hausse des prix en dépensant plus. Et, près d'un tiers d'entre eux se sont endettés davantage au cours des six derniers mois dans un contexte d'augmentation des dépenses. En ligne uniquement, les consommateurs américains ont dépensé un montant record de 9,8 milliards de dollars lors du Black Friday, rapporte la BBC. Les consommateurs ont dépensé 12,4 milliards de dollars supplémentaires (9,77 milliards de livres sterling) lors du Cyber ​​​​Monday (le lundi qui suit le Black Friday), une augmentation de 9,6 % par rapport à l'année dernière. Une consommation débridée qui laisse pantois les analystes.

Pour certains internautes, le doom spending est aussi artificiellement entretenu par les marques désireuses de stimuler leurs ventes en incitant les jeunes à s'offrir expériences farfelues et objets précieux. D'après The Economist, les jeunes sont plus susceptibles d’acquérir les produits qu'ils ont vus sur les réseaux et d'utiliser les options de paiements échelonnés. « C'est en partie vrai, mais nous devons également reconnaître que nous avons un problème générationnel de consumérisme endémique », a noté un utilisateur. Un autre écrit : « Il n’y a pas d’avenir dans lequel investir, alors nous passons notre présent à consommer… Nous sommes plus commercialisables que jamais. »

Le doom spending : la gueule de bois des dépenses yolo

En 2022, après la pandémie, les confinements, les privations, certains défendaient le « yolo spending » : les dépenses motivées par le célèbre mantra anglophone « you only live once » (on ne vit qu'une fois), qui invitent à faire rimer la maxime carpe diem avec un hédonisme consumériste. Il s'agissait de dépenser à tout va, et dans une joyeuse effervescence, pour « investir » dans des « expériences » : brunch hors de prix, saut à l'élastique, plongée sur la Grande Barrière de corail. En arrière-plan déjà : l'idée que le monde disparaîtra peut-être demain et qu'il faut en profiter avant qu'il ne soit trop tard. On parlait aussi de revenge spending, les dépenses permettant de prendre sa revanche, de rattraper le temps perdu, en sautant dans un avion pour l'Islande, ou en se ruant dans la boutique Zara (Hermès pour les plus insolents) à la première levée du confinement. Le modus operandi était le même, mais l'ambiance plus rose. Moins de deux ans plus tard, l'euphorie semble avoir tourné à l'aigre. Les dépenses sont toujours là, mais on dépense avec l'énergie du désespoir. Les dépenses yolo ont la gueule de bois, mais ouf, elles se soignent avec deux semaines à Bali.

Laure Coromines

Laure Coromines

Je parle des choses que les gens font sur Internet et dans la vraie vie. Fan de mumblecore movies, de jolies montagnes et de lolcats.

Discutez en temps réel, anonymement et en privé, avec une autre personne inspirée par cet article.

Viens on en parle !
commentaires

Participer à la conversation

  1. Avatar Anonyme dit :

    C'est un peu débile de comparer une augmentation de depense du black friday / cyber monday sans tenir compte de l'inflation galopante. Faut revoir vos calculs!!

  2. Avatar Anonyme dit :

    un peu dommage car une fois la retraite arrivée, si c'est 1000 euros en poche et que les loyers sont de 600, il ne reste plus grand chose pour vivre... surtout qu'on ne présage rien de bon pour le pouvoir d'achat en ce moment ni à l'avenir en terme de politiques économiques et que si on est locataire, on est soumis à plein de fluctuations. Très mauvais plan alors qu'avec un minimum d'investissement en bourse au bout de 30 ans, meme en mettant que quelques centaines d'euros par an, on peut se constituer un capital pour acheter un chez-soi (pas partout j'entends).

Laisser un commentaire