
Tout comme nos vestiaires, nos intérieurs sont devenus le prolongement de notre personnalité. Et les entreprises l'ont bien compris. Petit tour des tendances 2024 qui rythment le marché de la maison.
Et pour le salon, on part plutôt sur une ambiance Quiet Luxury ou Mob wife ? Les tendances mode qui cartonnent sur les réseaux se déclinent à présent dans leur version maison. Tout comme nos vestiaires, nos intérieurs sont devenus le prolongement de notre personnalité, un moyen de nous singulariser. C’est sans doute la raison pour laquelle certaines marques de prêt-à-porter cherchent à creuser la veine déco, pour continuer leur croissance dans un secteur pourtant en proie à de graves difficultés : défaillances retentissantes (Camaïeu, Minelli, Kookaï, etc.), un chiffre d’affaires en retrait de 3,5 % et 4 000 emplois supprimés en 2023, selon l’Alliance du Commerce.
Sézane, Ba&sh ou Sessùn ont ainsi lancé leur gamme dédiée aux intérieurs, avec l’idée de faire de leur identité un lifestyle total – et plus prosaïquement, cranter au niveau supérieur, à savoir « le plafond de verre des 300 millions d’euros de chiffre d’affaires, auquel se heurtent la plupart des marques de mode », selon le président de la Fédération française de prêt-à-porter féminin Yann Rivoallan, au journal Le Monde. Avec Sézane Maison, Casa Ba&sh ou Sessùn Alma, il ne s’agit évidemment pas de se laisser aller au fléau que constitue la fast déco. Ces marques dites du « luxe accessible » misent au contraire sur les séries courtes, artisanales, éphémères.
Montée en gamme sous la pression de l’ultra-fast fashion
Mais le mouvement concerne aussi des marques et enseignes traditionnellement plus accessibles, qui doivent se réinventer sous la pression des acteurs de l’ultra-fast fashion, comme Shein ou Temu, à la fois dans le prêt-à-porter mais aussi dans l'univers de la maison. L’arrivée de Marta Ortega à la tête d’Inditex, la maison mère de Zara, en 2022 en est un bon exemple : la dirigeante cherche à faire monter en gamme le groupe fondé par son père : collaborations avec Narciso Rodriguez ou Steven Meisel, partenariat avec le New York City Ballet… et pour Zara Home, une collection avec le designer star Vincent van Duysen, qui affiche un canapé à 6 000 euros.
Dans le cas de La Redoute, embrasser le marché de l’ameublement et de la décoration aura été, avec une transformation numérique menée tambour battant, l’un des piliers du redressement du groupe en 2017, souvent cité en cas d’école. L’entreprise, aujourd’hui propriété des Galeries Lafayette, affiche plus d’un milliard d’euros de chiffre d’affaires en 2022, dont 70 % sont désormais constitués par le pôle maison – contre seulement 25 % il y a dix ans. Une stratégie dont son directeur général ne compte pas se détourner : « Nous faisons le choix stratégique de nous concentrer sur la maison-décoration, en capitalisant sur nos deux marques La Redoute Intérieurs et AMPM », déclarait Philippe Berlan dans un communiqué, fin 2023 – avec une « activité historique de prêt-à-porter […] moins centrale dans la stratégie moyen terme » du groupe. Au micro de France Info, le dirigeant trouve même que la maison est un marché « plus résilient » que la mode. Celui-ci n'en demeure pas moins affecté par le contexte économique et les mutations de la société, comme dans le cas de Maisons du Monde, en proie à de grosses difficultés. L'enseigne d'ameublement et de décoration vient d'annoncer un plan de restructuration.
En termes de stratégie, la durabilité s’impose aussi aux entreprises du secteur – ou en tout cas, le fait d'avoir un positionnement et un discours lisibles sur le sujet. La Redoute Intérieurs, la marque la plus accessible de l’offre, revendique ainsi plus de 30 % de son offre Made in Europe ou Made in France. Après quinze ans d’existence, le pure player français Tikamoon lui, ouvre ses premiers points de vente physiques pour l’aider à devenir « la référence du mobilier durable ».
Un arbre coupé toutes les deux secondes
Depuis plus longtemps encore, IKEA joue avec un art consommé de cette carte écolo pour promouvoir ses meubles accessibles auprès des familles, notamment grâce à sa certification FSC (Forest Stewardship Council), censée garantir un approvisionnement responsable en bois, un écolabel pourtant controversé…
Un récent documentaire diffusé sur Arte dévoile ainsi la face sombre de l’entreprise suédoise, bien loin des idéaux « sociodémocrates » (accessibilité, inclusivité, responsabilité sociale et environnementale…) que revendique la marque au logo jaune et bleu. Dans « IKEA, le seigneur des forêts », Xavier Deleu et Marianne Kerfriden révèlent ce qu’il en coûte vraiment de vendre, entre autres, une bibliothèque Billy toutes les cinq secondes : 20 millions de mètres cubes de bois par an, soit un arbre coupé toutes les deux secondes. À lui seul, le géant suédois, qu’il faudrait plutôt qualifier d’ogre de l’économie globalisée, dévore 1 % des réserves mondiales de bois…
Mais la maison, c’est aussi une affaire d’équipement(s). Si le marché de l’électroménager avait explosé à la faveur des années Covid (coucou la machine à pain, coucou le robot cuiseur, coucou la machine à café automatique avec broyeur intégré), 2022 a sonné l’heure du rééquilibrage avec une performance légèrement en retrait par rapport à 2021 (- 2,1 %). Le secteur demeure toutefois bien au-dessus de 2019, année de référence (+ 12,3 %), avec un chiffre d’affaires de 9,7 milliards d’euros selon une étude GFK Market Intelligence, relayée par Les Echos.
L’airfryer, c’est in ; le fer à repasser, c’est out
Parmi les hits identifiés par le cabinet, les airfryers. Ces friteuses sans huile, pile dans la tendance du manger sain, se sont vendues à plus d’un million d’exemplaires – soit trois fois plus qu’en 2021. Certains se servent même de leur airfryer en remplacement du four, car l'appareil chaufferait deux fois plus vite et consommerait deux fois moins d’énergie que ce dernier. Le gros électroménager est lui à la peine, essuyant un retrait de 7 % en volume et de 3,6 % en valeur, et atterrissant à 5,8 milliards d’euros. Et les meubles de cuisine voient leurs ventes baisser d’environ 7 %. En cause, le retournement du marché immobilier et les déménagements en baisse.
Autre flop signifiant, celui des fers à repasser et des centrales vapeur, avec une baisse respective de 3,3 % et 6,9 % en 2022. BFM remarque que c’est bien tout le secteur du soin du linge qui décline depuis plusieurs années. Pour Frédéric Godart, un docteur en sociologie de la mode interrogé par la chaîne info, plusieurs raisons l’expliquent : des normes vestimentaires qui s’assouplissent, un casual wear qui s’impose largement dans la société, de nouveaux textiles qui supportent de ne pas être repassés…
Mais aussi, une discussion de plus en plus audible sur la répartition des charges ménagères, qui demeure encore largement inégalitaire : selon une étude Ifop de 2022, 57 % des femmes en couple en font plus que leur conjoint. Et pour 69 % d’entre elles, leur conjoint ne touche jamais un fer à repasser (contre 76 % en 2005, toutefois). Le phénomène est loin d’être seulement français : au Royaume-Uni, ce sont 30 % des 18-34 ans qui ne veulent plus s’enquiquiner avec la corvée de repassage. Toutefois, comme la nature et le capitalisme ont horreur du vide, il se pourrait bien que le défroisseur vienne à remplacer le combo de l’enfer table + fer à repasser : le taux d’équipement de ce pistolet vapeur qui s’utilise à la verticale est passé de 3 à 10 % en trois ans, selon le magazine spécialisé dans la distribution LSA.
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