Une masque avec un masque chirurgical

Antivax : le Covid-19 n'a rien inventé

© Edrece Stansberry via Unsplash

Inutile, contre-nature ou carrément dangereux… le vaccin concentre les peurs et les critiques. Et ça fait des siècles que ça dure. Retour sur l'origine d'un mouvement sociétal plus que jamais d'actualité.

58%. C’est la proportion de Français et Françaises qui ne souhaitent pas se faire vacciner contre le Covid-19 d’après un sondage Odoxa-Backbone consulting pour franceinfo et Le Figaro publié le 3 janvier. Un nouveau chiffre qui enfonce encore un peu plus le clou de l’anti-vaccinisme dans l’Hexagone. En novembre 2020, une étude Ipsos révélait que seulement 54% des Français et Françaises étaient prêts à se faire vacciner dans la première année de mise en circulation des vaccins anti-Covid. Plaçant ainsi la France en tête des pays les plus antivax. Alors que certains s’émeuvent de tels chiffres dans « le pays de Pasteur », il est bon de regarder un peu dans le rétro et de remettre le mouvement anti-vaccin dans une perspective historique.

Sorti en 2019 alors que la vaccination obligatoire agitait le débat, l’ouvrage Antivax de l’historien Laurent-Henri Vignaud et de la virologue et immunologue Françoise Salvadori prend une saveur nouvelle à l’heure du début laborieux de la campagne de vaccination anti-Covid française. Et nous éclaire sur la situation actuelle. 

Qui dit vaccin, dit anti-vaccin

Aujourd’hui, ils complotent sur WhatsApp, s’échangent des remèdes alternatifs sur Facebook et expriment leurs doutes sur Twitter. Mais les réfractaires à la vaccination n’ont attendu ni les réseaux sociaux, ni le Covid-19 pour émerger. Il y a toujours eu des antivax – même avant l’existence des vaccins à proprement parler.

Avant Pasteur et Jenner, inventeur de la vaccine, les Occidentaux découvrent au début du XVIII siècle un procédé venu d’Orient : l’inoculation. Ancêtre du vaccin moderne, la pratique consiste à transmettre une version atténuée artisanalement de la variole à un sujet sain grâce à du pus séché. On passe d’une médecine curative à une médecine préventive. Au mieux, l’idée suscite le doute et l’incompréhension. Au pire, la peur. « Dès qu’il y a eu vaccin, il y a eu anti-vaccin », synthétise Laurent-Henri Vignaud. Un débat loin d’être inutile ou infondé comme le souligne l’historien. Le risque zéro n’existe toujours pas, mais avant qu’on ait les connaissances actuelles en immunologie, de vrais accidents vaccinaux ont eu lieu et ont nourri les arguments puis les fantasmes des anti-vaccins. « Chez les antivax, le rôle de lanceur d’alerte s’est toujours associé à un contre-discours qui contient beaucoup d’erreurs, rappelle l'historien. C'est ce qui a rendu tout débat serein impossible. »

Une histoire de technophobie

L’amélioration des connaissances scientifiques et des techniques de vaccination ne font pas disparaître les antivax. La vaccinophobie est une technophobie et c’est bien le cœur du sujet. Pas étonnant donc que l’on retrouve les antivax dans un « écosystème des anti » – aujourd’hui, anti-5G, anti-compteur Linky….

« L’un des piliers de la doctrine antivax est l’a priori naturaliste qui veut que rien ne fait mieux les choses que la nature », explique Laurent-Henri Vignaud. Appliquée à la vaccination, cette doctrine considère les maladies comme partie intégrante de la vie avec lesquelles il faut vivre. Et le vaccin ne fait que perturber la nature. Dès les débuts de la pratique, on trouve donc des discours qui assimilent le vaccin à une pollution chimique du corps. « La vaccination est pourtant l’un des médicaments les plus naturels dans la mesure où on utilise du vivant pour soigner du vivant », ironise l’historien. Aujourd’hui, la lutte contre le Covid-19 marque les premières utilisations de vaccins à ARN messager. Une nouvelle technologie qui ne manque pas de susciter sa levée de boucliers technophobes.

Quatre grands arguments qui traversent les époques

L’histoire des mouvements antivax nous montre que les vaccinophobes ne manquent pas d’arguments, qui sont recyclés voire upcyclés à travers les époques. Dans leur ouvrage, Laurent-Henri Vignaud et Françoise Salvadori distinguent quatre grands fondements idéologiques du mouvement.

L’argument naturaliste

« Laissez-faire la nature qui sait très bien ce qu’elle fait », c’est le mot d’ordre de ces antivax. On y prône une autre conception de la santé et de la maladie et surtout une opposition totale aux effets secondaires des médicaments. Alors que l’urgence climatique – et cette pandémie – nous imposent de questionner la place de l’humain dans le vivant, de redécouvrir l’écologie et d'adopter une autre approche de l’environnement, l’argument naturaliste trouve facilement un écho dans l’air du temps.

L’antivaccinisme religieux

Proche de l’argument naturaliste, l’explication religieuse invoque plutôt le destin et la volonté de Dieu pour justifier les maladies. Mais l’antivaccinisme ne peut être relié à une religion ou courant religieux spécifique. L’Arabie Saoudite et l’Iran font par exemple partie des nations avec la meilleure couverture vaccinale au monde. Les arguments antivax se retrouvent dans toutes les religions mais de façon minoritaire, précisent les auteurs de l’ouvrage.

L’argument alterscientifique

À l’origine du débat sur la vaccination, différentes théories et conceptions de la médecine s’opposent dans les cercles scientifiques. Pour les uns la vaccination est une révolution, pour les autres elle serait absolument inutile. Mais ni les découvertes scientifiques – qui valident la théorie microbienne – ni l’éradication de la variole ne suffisent à convaincre ces défenseurs d’une autre science.

L’argument politique et le Big Pharma

Les vaccins ne sont pas qu’une affaire de médecine, mais aussi de politique et d’économie. Les politiques vaccinales obligatoires, symboles d’intrusion de l’État dans la vie de famille, engendrent un antivaccinisme plus populaire et alimentent la défiance envers l’État et le pouvoir. La question du profit économique n’est pas bien loin et est présente dès le début du XVIIIe. Pasteur et son Institut devront y faire face. Aujourd’hui, le terme Big Pharma résume à lui seul l’argument.

Ces quatre ingrédients de base du cocktail de l’antivaccinisme sont invariants. En revanche, chaque époque possède son propre dosage, avec ses obsessions et ses chevaux de bataille. « Aujourd’hui, le rejet total de la vaccination ne concerne qu’une toute petite minorité d’antivax. En revanche, l’antivaccinisme contemporain dominant insiste sur la fabrication du vaccin : qui fabrique ? pourquoi ? qui profite ? », explique Laurent-Henri Vignaud.

Des vaccins victimes de leur succès

Pasteur comme Pfizer font donc face aux réfractaires à la vaccination. C’est parce que les vaccins souffrent d’un terrible défaut : leur efficacité. S’ils fonctionnent trop bien, on finit par les juger inutiles et c’est un peu plus d’eau qui alimente le moulin des antivax. « Il est compliqué de mesurer le bénéfice du vaccin à l’échelle individuelle. On ne peut bien l’appréhender qu’à l’échelle collective », rappelle Laurent-Henri Vignaud. Et le problème c’est que plus on vaccine, plus l’appréciation du danger épidémique faiblit. « À notre époque, les gens ne sont plus habitués à vivre avec le danger épidémique, entre autres à cause des vaccins. D’une certaine façon, le Covid remet les pendules à l’heure. » Mais à l’ère des réseaux sociaux, cette pandémie donne également un nouveau souffle au mouvement antivax.

Toujours plus vite, toujours plus fort

La lecture d’Antivax nous fait découvrir une galerie de personnages antivax français hauts-en-couleur. « Mais jusqu’aux années 1990, il n’y a pas plus d’antivax en France qu’ailleurs », nous assure Laurent-Henri Vignaud. Puis au milieu des années 90, la machine s’emballe et la France figure en tête des pays les plus opposés à la vaccination. La controverse sur le vaccin de l’hépatite B, puis celle du vaccin H1N1 à la fin des années 2000, achèvent de transformer la vaccination en un sujet de débat grand public, faisant progresser la notion de démocratie sanitaire. On bascule dans un sujet de communication. À l'ère des réseaux sociaux et de la montée du complotisme, la campagne de vaccination contre le Covid-19 doit faire face à de nouveaux défis tout en composant avec l'histoire du mouvement antivax. 

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