panneaux publicitaires et messages militants pour le climat

« Loi Evin climat » : faut-il interdire la publicité pour changer de système ?

© Tanya Stovold & Olivier Ploux via Protest by Design / Fond : Getty Images

Réguler la publicité pour limiter la consommation de produits et de services polluants, beaucoup sont d’accord. L’interdire complètement ? C’est une autre histoire. Dans les deux cas et sans arbitrage politique, ONG et publicitaires ne réussiront pas à trouver de terrain d’entente.

Une « loi Evin » pour le climat, c’est ce que demandent les ONG Greenpeace, le Réseau Action Climat et Résistance à l’agression publicitaire (R.A.P) dans un nouveau rapport publié en juin 2020. C’est aussi ce qu’ont préconisé les 150 membres de la Convention citoyenne pour le climat le 21 juin dernier. Des signaux forts qui interrogent la responsabilité de la publicité face à la crise climatique

Dénormaliser la surconsommation 

S’inspirant de la loi Evin de 1991 qui régule la publicité pour le tabac et l’alcool, le rapport entend s’attaquer aux « biens et services climaticides » . Il demande l’interdiction de toute promotion ou publicité en faveur des énergies fossiles et des transports (aérien, routier, maritime), à l’exclusion des transports publics. Une revendication qui aurait l’effet d’un coup de massue pour l’industrie, largement dépendante de ces secteurs. En 2019, les investissements publicitaires des marchés automobile, aérien et pétrolier en France atteignaient 5,1 milliards d’euros, estiment les trois ONG, dont 4,3 milliards d’euros rien que pour le secteur automobile. 

Et c’est sans compter « tous les autres grands secteurs émetteurs de gaz à effet de serre, comme l’industrie textile ou la restauration rapide, qui mériteraient eux aussi d’être encadrés par une loi Evin… », commente Khaled Gaiji, chargé de mobilisation de R.A.P et co-auteur du rapport. Dès 2019, l’association qui lutte contre les effets néfastes de la publicité affirmait vouloir étendre cette proposition de loi à toutes les industries à très fort impact environnemental. Pour elle, c’est par la pub que doit passer la lutte contre la surconsommation, n’en déplaise à L'Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP) que bon nombre de militants accusent de laxisme vis-à-vis des marques. 

Comme on a dénormalisé l’idée que fumer des cigarettes était “cool”, on doit aujourd’hui ringardiser le fait de surconsommer ou de polluer.

« Nous ne sommes pas contre la pub, mais pour la sobriété publicitaire, modère cependant Khaled Gaiji. Comme on a dénormalisé l’idée que fumer des cigarettes était “cool”, on doit aujourd’hui ringardiser le fait de surconsommer ou de polluer. Bien sûr qu’il faut changer de modes de production et de paradigme économique, mais passer par le signal de la pub est un premier pas vers la déconsommation. Il n’y a que comme ça que l’on contraint les entreprises et les consommateurs à changer. »  

Et la loi penche de plus en plus en faveur des militants. Au même titre que la protection de la santé publique, la protection de l’environnement est aujourd’hui érigée en objectif constitutionnel. Un contexte favorable à la mise en place de ce type de loi, estiment les ONG. Pourtant, et si l’ARPP a récemment durci ses recommandations publicitaires au profit de l’environnement et de l’économie circulaire, « c’est loin d’être suffisant, poursuit Khaled Gaiji. Surtout quand les derniers bilans sur le changement climatique dressent des constats beaucoup plus graves que ce que l’on pensait. »

ONG et publicitaires : un consensus impossible ?

Certes, ça ne va pas assez vite, mais on parle de transformer une économie et cela ne se fait pas en un jour.

Conscients de l’urgence climatique, les professionnels de la communication estiment pourtant s’engager à hauteur de leurs possibilités. Stéphane Martin, Directeur général de l’ARPP va jusqu’à déplorer un « manque de réalisme » et une forme « d'autoritarisme » de la part des militants, sans réelle possibilité d’échange. « En lisant ces rapports, on a le sentiment qu’il ne s’est rien passé. Et la loi sur l’économie circulaire ? Sur l’orientation des mobilités ? Sur le recyclage ? Et les 17 ODD de l’ONU ? L’accord de Paris ? Le Green deal européen ? Cela donne l’impression que la profession ne fait rien alors qu’elle est profondément légaliste et engagée. En matière de réglementation publicitaire, le premier texte de l’ARPP encadrant les arguments écologiques date de 1990, le second de 2003 et le dernier du mois d’avril. Certes, ça ne va pas assez vite, mais on parle de transformer une économie et cela ne se fait pas en un jour. »

Gildas Bonnel, en charge de la commission du développement durable de L'AACC (Association des Agences-Conseils en Communication) s’estime aussi embarrassé par la façon dont le problème est posé, même s’il se définit comme un « communicant engagé ». « Aujourd’hui, deux visions politiques se distinguent. On a d’une part ceux qui font confiance à l’intelligence des consommateurs et aux évolutions du marché comme le passage des protéines animales aux protéines végétales ou la production de véhicules moins énergivores. Et puis il y a ceux, plus radicaux, qui se disent que ce n’est pas le problème, qu’il faut interdire ou taxer. Le problème, c’est que quand on brusque, ça ne fonctionne pas. On l’a bien vu avec la taxe carbone et la colère des Français ! »

Par ailleurs, « limiter ou interdire la publicité pour les secteurs qui contribuent le plus au réchauffement, c’est oublier que les consommateurs cherchent et trouvent l’information ailleurs, notamment sur le net », complète Caroline Darmon, directrice RSE de Publicis Groupe. 

Bref, le tout ressemble à une « guerre » de positions, doublée d’une course contre la montre. Alors que les uns se réfèrent aux discours alarmants du GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat) et plus généralement de la communauté scientifique, les autres s’en remettent au cadre législatif qu’ils estiment déjà suffisamment coercitif pour les entreprises et la publicité. Quant à l’efficacité effective de la loi Evin sur la consommation (de tabac et d’alcool en l'occurrence), les communicants demandent à voir. 

Interdire la publicité aurait un impact sur la consommation

Peu de recherches ont été réalisées sur le sujet, mais il existerait un lien de causalité entre les politiques publiques et la baisse de consommation d’un produit. En 2018, une étude faisait état d’une hausse de 6,79 % du niveau global de consommation entre 1976 et 2006 due à la publicité, rapportent les ONG. 

Selon une enquête réalisée dans 51 pays en 2008, une interdiction générale de la publicité pour le tabac a mené à une baisse de 6,7 % de sa consommation par habitant. Dans les pays en développement, les interdictions « limitées » réduisent la consommation de tabac par habitant de 13,6 %, tandis que les interdictions générales entraînent une réduction de 23,5 %.

De quoi démontrer que « les politiques d’interdiction fonctionnent mieux que les messages de dissuasion, commente Khaled Gaiji. Mais au-delà des chiffres, l’action de la loi Evin s’attaque surtout à la perception culturelle positive de ces produits. Il pourrait en être de même pour les produits polluants. Or, l’ARPP n’a pas de pouvoir de sanction suffisamment dissuasif et n’a pas prouvé son efficacité. »

On ne peut pas avoir un jury qui soit à la fois juge et partie.

Vers un organe de régulation publicitaire plus neutre ?  

Pour les ONG, c’est principalement le principe « d’autorégulation » et le manque de « neutralité » des organismes contrôlant les campagnes qui doit être remis en cause. Selon le rapport, elle ne serait qu’un moyen « d’afficher une bonne foi de façade tout en continuant à engranger des profits au détriment de la santé de la population et de l’environnement ». Créé en 2008 par l’ARPP, le jury de déontologie publicitaire (JDP) applique une politique de « name and shame » (atteinte à la réputation d’une marque via des publications publiques) pour sanctionner les entreprises qui ne respectent par ses recommandations, notamment en matière de greenwashing. « Seulement, les rapports sont publiés trop tard et surviennent généralement quand les campagnes sont terminées, regrette Khaled Gaiji, et d’ajouter : on ne peut pas avoir un jury qui soit à la fois juge et partie. »

Nommés pour une période de trois ans, les membres du JDP ne doivent pourtant avoir aucun lien d’intérêt avec les publicitaires ou avec les plaignants. « Le jury est impartial et ses membres ne sont pas des professionnels de la communication, assure Stéphane Martin. Par ailleurs, aucun pays d’Europe n’a de recommandations aussi restrictives que les nôtres. À chaque plainte,  une décision est prise, qu’elle plaise ou non. Alors oui il y a des sorties de route de la part des marques, mais ce qui compte, c’est qu’il n’y ait pas de récidive. » En matière de greenwashing, la dernière campagne épinglée par le jury concerne une publicité pour une marque de lave-linge, qui n’avait pas hésité à mettre en scène son produit, gourmand en eau, au beau milieu d’une cascade naturelle. 

« La pub respecte les réglementations en vigueur, poursuit Stéphane Martin. Si demain, les compagnies aériennes ne sont plus autorisées à assurer leurs vols intérieurs par souci d’écologie, et bien la pub s’adaptera ! » Un avis que partage Caroline Darmon.  « Quand on sait que le plastique à usage unique est une catastrophe pour l’environnement, on légifère pour l’interdire. Idem pour les véhicules thermiques qui seront retirés de la vente en 2040. Les entreprises subissent ainsi une double pression pour changer : celle de la loi et celle des consommateurs/citoyens. »

Qui définit ce qui doit être interdit ou non en publicité ? Qui va discriminer les produits ?

Des zones floues à lever  

Il y a au moins une chose sur laquelle ONG et publicitaires tombent d’accord : le flou artistique qui entoure la mise en place d’une telle loi. Le texte de 1991 interdit la promotion de la consommation de tabac, mais il autorise toutefois la promotion de l’alcool dans certains contextes. En matière de pollution et de surconsommation, c’est un autre débat. « À partir de combien de voitures, d’écrans, de paires de chaussures suis-je considéré comme quelqu’un qui surconsomme ? », questionne Gildas Bonnel. « Qui définit ce qui doit être interdit ou non en publicité ? Qui va discriminer les produits ?  », demande à son tour Stéphane Martin. 

Pour Khaled Gaiji, un bon point de départ serait de prendre en compte le  « score CO2 » de chaque produit ou service. Mais là encore, quels secteurs doivent être contraints à une interdiction formelle de publicité, lesquels doivent simplement être encadrés ? De même, comment parvient-on à une définition commune des enjeux environnementaux ? « Je ne suis pas contre l’idée d’une publicité plus responsable, mais encore une fois, qui définit ce qu’est une pub éthique ? Ce qu’est la surconsommation ou l’économie circulaire ? »

Enfin, est-ce que cette « loi Evin » doit aussi encadrer l’empreinte écologique directe des activités publicitaires, elles-même voraces en énergie ? Là encore, tout le monde est d’accord : c’est aux pouvoirs publics de trancher, et le plus tôt sera le mieux. 

Margaux Dussert

Diplômée en marketing et publicité à l’ISCOM après une Hypokhâgne, Margaux Dussert a rejoint L’ADN en 2017. Elle est en charge des sujets liés à la culture et la créativité.
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