L'artiste multidisciplinaire Rocio Berenguer revient au Théâtre de la Ville avec une performance percutante sur un monde où l’humain et la nature pourraient se réconcilier et vivre en harmonie. Rencontre.
Les créations de Rocio Berenguer sont toujours denses et percutantes. Une discussion avec elle ne l’est pas moins. Passionnée de philosophie et de nouvelles technologies, traversée par un tourbillon de questionnements, Rocio Berenguer a un débit de paroles qui mériterait de se faire flasher sur l’autoroute.
Metteuse en scène, auteure, actrice, et chorégraphe, elle a créé sa compagnie il y a dix ans avec pour projet de créer des fictions prospectives. Les premières années, elles étaient souvent dystopiques ou critiques, mais elle a voulu proposer des imaginaires, des mondes ou des réalités dans lesquels il fait bon vivre. Et ce défi s'avère bien plus compliqué. « C’est difficile de raconter des histoires qui tiennent un fil dramatique, avec une tension, sur quelque chose de positif. Il y a plein de pièges, notamment celui de créer des lieux trop utopiques ou de défendre des propos naïfs. »
Elle aime la multidisciplinarité et les formes hybrides : l'idée de « bâtardise » la fascine, peut être parce qu'elle est souvent associée à « l'impureté ». « La simple idée de pureté me semble dangereuse à tous les niveaux, que ce soit dans une discipline ou dans l’art », déclare-t-elle en frissonnant à demi-mot. Elle n’hésite pas à embrasser la marginalité et le mélange, s'identifiant elle-même à une "mauvaise herbe", comme on le lui a déjà dit. « Un jour, un chercheur m’a dit que je n’étais pas transdisciplinaire mais indisciplinée. Je crois effectivement que l'art ne peut qu'être indiscipliné. Si c'était une discipline, il se réduirait à une technique ». Monter sur scène revient à se livrer totalement à un « ensemble fragile », non reproductible, qui n’existe que dans un temps donné, uniquement grâce à la présence physique du public. Elle voit dans le spectacle vivant un espace où se mêlent spiritualité, mysticisme et politique, créant une fragilité qu'elle aime autant qu'elle déteste.
Dans THEBADWEEDS, son nouveau projet, les spectateurs assistent à un concert ponctué de monologues, sorte de manifeste pour l’écologie et plaidoyer pour la tolérance. À la manière des Bad Seeds (le groupe de rock composé de musiciens venant de tous les pays, dont l'australien Nick Cave, NDLR), THEBADWEEDS est un groupe de musique d’êtres-plantes, une transespèce, dont les textes ont été écrits par Rocio Berenguer elle-même. Tout est parti d'un costume de camouflage « plante » trouvé dans un surplus militaire à Montréal. L’objet lui est apparu aussi surréaliste que puissant. Alors qu’elle cherchait une manière de raconter un récit écologique qui mettrait en scène la nature non seulement dans sa beauté et sa noblesse, mais aussi dans sa violence, la réponse lui semblait être là.
Mettre sur scène un groupe de plantes qui rappe sur des créations inédites, c’est à la fois une façon de se faire entendre mais aussi un besoin d’exister : « Pourquoi se met-on seul en scène ? Pourquoi fournir des efforts monstrueux pour se faire entendre, pour dire autre chose, pour formaliser un discours, pour être visible, pour avoir un impact dans le monde... ? THEBADWEEDS veulent être aimées pas tant par narcissisme mais par besoin de survie. »
Comme n'importe quel groupe contemporain, THEBADWEEDS a son compte Instagram et chaque représentation est diffusée en direct sur une application. Mais dans cette époque de surcommunication qu'elle embrasse, l’artiste joue avec l’idée de camouflage, comme jeu et comme démarche révolutionnaire. Elle ne nie pas son obsession pour les réseaux sociaux qu’elle envisage à travers le concept deleuzien de "rhizome". Ils sont cette démultiplication qui ressemble aux racines d'une plante et cette sorte de « désordre qui se crée en dehors de notre ordre hiérarchique ». Un camouflage qui se montre en quelque sorte... comme les musiciens de THEBADWEEDS.
THEBADWEEDS seront sur scène du 4 au 6 mai 2023, au Théâtre de la Ville, places disponibles ici.
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