
C'est la neuroscience qui le dit : l'art, notre cortex orbitofrontal médian adore ça. De quoi ouvrir des voies thérapeutiques inédites. Ordonnances muséales, nouveaux lieux de médiation culturelle… Et si l'expérience esthétique s'imposait comme un pilier de la santé publique ?
De l’art sur ordonnance ? Cette idée inédite a été lancée au Canada en 2018, avec les premières « prescriptions muséales » au monde. L'Association des médecins francophones du Canada, en collaboration avec le Musée des Beaux-Arts de Montréal, met alors sur pied ce projet original qui a permis à des milliers de patients de bénéficier d'une visite au musée, octroyée sur ordonnance, en complément de leurs traitements conventionnels.
Après des expérimentations dans les années 1990-2000, notamment via le programme Meet Me du MoMA destiné aux patients atteints d'Alzheimer, l’initiative canadienne fait de la « muséothérapie » une pratique à part entière, où le musée se transforme en un lieu de soin et de mieux-être. Dès 2016, Nathalie Bondil, alors directrice du musée et considérée comme une pionnière sur la question, défendait l’idée « qu’au XXIe siècle la culture sera pour la santé ce que le sport a été au XXe siècle : l’expérience culturelle contribuera au mieux-être, comme la pratique du sport à notre forme physique ». Bondil, aujourd’hui directrice du musée et des expositions de l’Institut du monde arabe à Paris, enseigne la muséothérapie à l’École du Louvre. Quant à l’architecte et scénographe française Adeline Rispal, elle introduisait dès 2018 l’idée d’un Caring Museum, où le musée devient « un lieu de pratique de la rencontre avec soi au travers des œuvres, associé à un lieu de pratique collective de l'art pour tous à tout moment ».
Des bienfaits reconnus par l’OMS
En 2019, un rapport de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) s’attelle à explorer les effets bénéfiques de l'art sur la santé. Après avoir analysé plus de 900 études internationales, le Bureau régional pour l'Europe de l'institution est catégorique : il confirme la façon dont différentes formes d'arts – littérature, culture, arts de la scène, arts visuels, arts en ligne – peuvent promouvoir la santé.
Du diabète à l'obésité, du stade gestatif à la fin de vie, de la petite enfance jusqu'aux personnes âgées, les arts font montre de leurs effets positifs : améliorer le sommeil des enfants avec des histoires au coucher, la prise de décisions des adolescents avec une formation théâtrale, les fonctions cognitives chez les personnes atteintes de démence grâce à la musique, les fonctions motrices chez les patients atteints de Parkinson grâce à la danse… Les exemples de l’étude sont légion, tout en évitant de présenter ces méthodes comme la panacée universelle. Christopher Bailey, responsable des arts et de la santé à l'OMS, faisant part de sa propre expérience de la maladie, explique : « Les arts n'ont pas pour but de guérir – ils ne guérissent pas le cancer. Mais les arts peuvent soigner. »
Dans les soins de santé, les activités artistiques viennent compléter les traitements classiques, diminuant les effets secondaires des traitements contre le cancer ou réduisant l'anxiété. L'OMS note que ces interventions peuvent même « être plus rentables que des traitements biomédicaux plus conventionnels » avec, en prime, un risque faible d'effets négatifs. Autant de raisons pour l'organisation internationale de recommander aux décideurs l'intégration de l'art dans les politiques de santé, et d'encourager ces protocoles d'un genre nouveau – entrant de plain-pied dans la prescription sociale ( « social prescribing » ), approche nouvelle qui oriente les individus vers des activités et des ressources non médicales, à mi-chemin entre les soins cliniques et les services sociaux.
De l'art-thérapie à la muséothérapie, un mouvement mondial
À la différence de l’art-thérapie, une approche plus connue dans laquelle elle s’inscrit toutefois, la muséothérapie ne nécessite aucun talent particulier, autrement que celui de la « réception ». Elle explore les effets de la contemplation, de la déambulation, de la rencontre avec les œuvres, et de l'expérience de la beauté. Ce qui est nouveau, c’est de considérer désormais que l’art soigne par sa présence – et non plus par sa seule pratique.
Depuis l'expérience montréalaise, les initiatives se multiplient – avec une accélération depuis la pandémie, qui a permis à chacun de ressentir dans sa chair à quoi ressemblait la vie lorsqu'on se coupe de culture. La muséothérapie connaît son « moment de bouillonnement » , comme le reconnaît au micro de France Culture Leslie Labbé, auteure d'un mémoire sur la question, tandis que les univers du soin et de la culture se rapprochent partout dans le monde.
En Europe, Bruxelles a été la première à lancer les prescriptions muséales en 2022, sur le modèle canadien. La même année, Montpellier a vu naître le projet Art sur ordonnance, fruit d'une collaboration entre le centre d'art contemporain et le Département d'Urgences et Post Urgences Psychiatriques du CHU. À Paris, le projet Bulle d'Art réunit Paris Musées, le Fonds d'art contemporain – Paris Collections et l'Assistance Publique – Hôpitaux de Paris, pour offrir des méditations guidées devant des œuvres d’art. Avec « Louvre-Lens-Thérapie » , le Louvre-Lens offre gratuitement à dix participants par session « un moment d'introspection avec des œuvres d'art ». À Paris, le Palais de Tokyo innove avec le Hamo, espace unique de médiation culturelle, avec un soin particulier accordé à la santé mentale et aux publics neuroatypiques. 2023 voit la signature d'une convention entre le CHU de Lille et le Palais des Beaux-Arts, encourageant les prescriptions muséales. Dans le domaine académique, l'université Claude Bernard de Lyon lance le diplôme universitaire en « prescriptions culturelles : arts et santé », marquant ainsi une reconnaissance institutionnelle de ce champ d'étude.
Dans les salles de gym ou les prisons
Outre-Atlantique, les universités américaines embrassent le mouvement. Stanford et Rutgers-Newark ont intégré l’art dans leurs initiatives de santé mentale pour les étudiants. L'Aspen Institute et Johns Hopkins vont plus loin avec NeuroArts Blueprint, initiative qui vise à créer les « neuroarts », nouveau champ d'études transdisciplinaires combinant science, arts et technologie. Dans le secteur privé, des prestataires de santé comme Charlie Health ou Headlight proposent des « thérapies expérientielles » incluant théâtre, musique et poésie.
Ce pouvoir réparateur de l'art est exploré par une foule d'acteurs, des écoles aux zones de conflits, en passant par la wellness, avec l’américain Alchemy Springs qui introduit des galeries dans ses spas, ou les prisons. Un exemple nous vient du Royaume-Uni, où la prison HMP Grendon propose 5 jours de thérapie par semaine à ses détenus. Cette unité, unique dans le pays à disposer d'une galerie d'art, a accueilli en résidence Dean Kelland. Ce dernier a créé des œuvres collaboratives avec les détenus, explorant les thèmes de l'identité et de la masculinité, tout en les accompagnant dans leurs propres projets artistiques. The Guardian souligne l'impact de cette approche : la prison affiche un taux de récidive 20 à 25 % inférieur aux établissements conventionnels pour les détenus qui suivent au moins 18 mois de thérapie.
Une « faculté de beauté » grâce au mOFC
S'il ne se résume pas à la dimension esthétique, l'art – comme la nature – peut déclencher des réactions corporelles intenses... Pensez donc au fameux « syndrome de Stendhal » ! Au début des années 2000, le neurobiologiste Semir Zeki, spécialiste du cerveau visuel des primates à l'University College de Londres, théorisait un nouveau champ d'études : la neuroesthétique. Cette discipline se propose de comprendre les fondements neurobiologiques de l'expérience esthétique, grâce à l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle.
Les travaux de Semir Zeki ont permis d'identifier une zone cérébrale spécifique, qui s'active de manière constante lors de l'expérience du beau : le cortex orbitofrontal médian (mOFC). L’étude de 2011, Toward A Brain-Based Theory of Beauty, a démontré que cette région cérébrale réagit de manière similaire aux stimuli visuels et musicaux jugés beaux, suggérant un mécanisme neuronal commun pour l'appréciation esthétique – indépendamment de la modalité sensorielle. Notre cerveau serait bel et bien « câblé » pour apprécier la beauté. Une prédisposition qui fait de l'art non pas un luxe, mais bel et bien une nécessité biologique, inscrite dans l’évolution. Et bien que l'art puisse procurer des bienfaits similaires à ceux de la pleine conscience, tels que la réduction du stress, la diminution du cortisol ou l'activation du système nerveux parasympathique, son influence va au-delà. Autrement dit, les bienfaits de l’art sur le cerveau ne se résument pas à la relaxation induite par le moment.
Des effets sur la longévité
Et il pourrait même avoir des effets sur la longévité. Une étude longitudinale (The art of life and death: 14 year follow-up analyses of associations between arts engagement and mortality in the English Longitudinal Study of Ageing, 2019) menée sur plus de 6700 adultes britanniques, âgés de 50 ans et plus, a montré que ceux qui s'engagent régulièrement dans des activités artistiques avaient 31 % de chances de moins de mourir sur une période de 14 ans, tous facteurs confondus. Les participants qui assistaient à des évènements culturels une ou deux fois par an avaient un risque de mortalité réduit de 14 % par rapport à ceux qui n'y participaient jamais. Ceux qui participaient à ces activités plus fréquemment avaient un risque de mortalité réduit de 31 %. Dans le Financial Times, Susan Magsamen, directrice de l'International Arts + Mind Lab à la Johns Hopkins University School of Medicine, et co-auteure de Your Brain on Art: How the Arts Transform Us explique : « Comme nous avons appris sur la nutrition, le sommeil, l'exercice, la pleine conscience, nous étudions maintenant comment les arts et les expériences esthétiques sont essentiels à la condition humaine. »
Ainsi, pour les « neuroesthéticiens », nous avons tout intérêt à nous reconnecter à l’art, en nous y exposant ou en le pratiquant – quel que soit notre niveau. Sur CNN, Bianca Bosker, auteure de Get the Picture: A Mind-Bending Journey among the Inspired Artists and Obsessive Art Friends Who Taught Me How to See, est catégorique : « Vous n'avez pas besoin d'une quelconque licence pour vous engager dans l'art. L'art est un choix. Celui de lutter contre la complaisance, de se forger une vie plus riche, plus inconfortable, plus époustouflante, plus incertaine et, en fin de compte, plus belle ».
Wahou, un article qui va rester dans les annales des pires articles de l'histoire. Confondre "art" et "esthétique" c'est vraiment ne rien comprendre à l'art. L'art n'est pas une "expérience esthétique". C'est une expérience sensorielle. Un tableau peut paraitre magnifique à une personne et horrible à une autre. Laissons les esthètes se noyer sur instagram et vivons l'art comme bon nous semble.
Bonjour, je parle de l’expérience subjective du beau. Libre à vous de ne pas la considérer comme une dimension de l’art. Au plaisir, Carolina
artiste peintre depuis 50 ans, je vous suis ABSOLUMENT. J'anime des stages de créativité depuis 25 ans et ai fait l'expérience de l'impact incroyable de l'art sur l'esprit!
Bravo et merci pour cet article
marie Desaulles