Un homme dissimulé derrière un smartphone sur YouTube

Les secrets des empires médiatiques de YouTube

© Rachit Tank via Unsplash

Tout le monde connaît les gros youtubeurs, mais peu de gens comprennent les mécaniques derrière les véritables empires médiatiques de la plateforme. Pourtant, leurs chiffres donnent le vertige – aussi bien en termes de nombre de vues que d'abonnés. À leurs rênes, des individus pas forcément toujours très bien identifiés et qui font tout pour rester très très discrets.

Quand on pense empire médiatique on pense généralement aux grands groupes télévisuels ou aux congloméras de titres de presse. Cependant, un nouveau type d’acteur est apparu depuis quelques années. Ils sont généralement basés exclusivement sur YouTube, cumulent des millions de followers et des milliards de vues et peuvent gagner plusieurs centaines de milliers d’euros chaque mois. Leur secret ? Un contenu de basse qualité, créé à la va-vite ou plagié, et une très bonne connaissance de l‘algorithme de la plateforme.

YouTube : ils font des milliards de vues, les médias classiques les détestent

Vous avez sans doute entendu leur nom quelque part. En France, il s’agit de Lama Fâché ou bien du Monde des Titounis. Quand on regarde leurs statistiques on ne peut qu’être impressionné. Spécialisé dans les dessins animés pour bébé, Le Monde des Titounis compte 3,1 millions d’abonnés et surtout 2,8 milliards de vues ! À titre de comparaison, c’est légèrement plus que Cyprien qui n’est qu’à 2, 268 milliards de vues. Son équivalent américain, Cocomelon - Nursery Rhymes, compte plus de 32 milliards de vues. Quant à Lama Fâché, qui est spécialiste dans les vidéos de tops qui ne volent pas haut, il atteint sans problème le milliard de vues cette année et compte plus de 5 millions d’abonnés.

Le Monde des Titounis, Lama Fâché... des empires tentaculaires

Derrière ces chiffres faramineux, on trouve des réseaux de chaînes en langue étrangère ou au contenu toujours un peu similaire. Ainsi Le Monde des Titounis se décline à l’internationale avec une chaîne anglaise (Titounis Kids TV), allemande (Kinderlieder - Titounis) et une autre chaîne spécialisée sur le déballage et la démonstration de jouets (Tounis Toys). Le site Social Blade qui classe les différentes chaînes YouTube estime les revenus de cet empire entre 11 000 et 177 000 euros par mois. La chaîne de Lama Fâché, récemment mise en lumière par le youtubeur Sylvqin, possède elle aussi un organigramme tentaculaire. En plus de la chaîne principale, on retrouve des déclinaisons en langue italienne ou arabe, ainsi que les chaînes Eureka et comptine pour bébé Kidooy TV (qui a, elle aussi, sa déclinaison anglaise).

Ce genre de réussite a de quoi faire envie aux médias classiques. Pourtant quand on se penche sur les mécaniques du succès, on tombe vite sur un modèle qui rappelle les fermes de contenus qui ont pullulé dans les années 2000 sur le web. La seule différence, c’est que ces empires sont tenus par une ou deux personnes très discrètes.

Quels sont les mécaniques de ces chaînes ?

L’anonymat des créateurs

Tout d’abord, ces empires discrets sont tenus par des gens quasiment anonymes. Il aura fallu plusieurs enquêtes et pas mal d’erreurs de la part de journalistes et de youtubeurs pour deviner l’identité de Lama Fâché. Du côté des Titounis, une vidéo de la chaîne explique que sa créatrice est une ancienne graphiste travaillant dans le milieu du jeu vidéo et basée à Saint-Raphaël. On n’en sait pas beaucoup plus sur Cocomelon qui a pourtant fait l'objet d’une enquête du Wall Street Journal. On sait tout au plus que l’entreprise qui en est à l'origine, Treasure studio inc, est basée en Californie. 

Du contenu pas cher et produit à la chaîne

Inonder régulièrement YouTube de vidéos pour être mis en avant par son algorithme de recommandations, c’est la base du métier. Pour tenir le rythme, les empires discrets utilisent plusieurs méthodes. Dans le cas de Lama Fâché, il s’agit surtout de plagier les contenus étrangers. Cette méthode est totalement assumée dans le milieu des chaînes de tops et il suffit d’ajouter le logo de l’émission en transparence et une voix off française pour donner l’impression d’avoir créé un contenu original. Pour les chaînes de comptines, le plagiat existe aussi. La plupart du temps, les dessins animés sont d’une qualité médiocre, avec des animations minimalistes et répétitives qui sont recyclées d’une vidéo à l’autre.

Des studios externalisés

Impossible de créer autant de contenus avec une ou deux personnes seulement. Pour pouvoir continuer dans la durée, les mystérieux créateurs d’empires médiatiques s’entourent de plusieurs freelances qui vont servir d’armée de réserve. C’est notamment le cas pour Lama Fâché qui utilise la plateforme Fiverr pour recruter des traducteurs, des animateurs ou des chanteurs. Pour les Titounis, un coup d’œil sur la page « partenaires » du site fait remonter plusieurs illustratrices, graphistes et animatrices freelances.

Des vidéos qui sont regardées jusqu’au bout

Ce n’est plus un secret pour personne. Si vous voulez plaire à l’algorithme de YouTube, vous devez cumuler du watchtime. En d’autres termes, il faut que les spectateurs restent jusqu’au bout. En ce qui concerne les enfants, rien n’est plus simple. La plupart sont tout simplement hypnotisés par les berceuses et autres comptines colorées servies par les Titounis et autres CocoMelon. Pour Lama Fâché, les vidéos reposent sur un titre bien aguicheur et un contenu en forme de classement, facile à digérer et qui oblige le spectateur à aller jusqu’au bout. 

Des millions de vues et des heures de visionnage à n'en plus finir – aux dépens des plus jeunes, mais passons... Autant dire que YouTube a de quoi se réjouir, et peu de raisons d'intervenir pour lutter contre ces mécaniques douteuses. Et tant pis pour ceux qui passent du temps à créer du contenu de qualité !

POUR ALLER PLUS LOIN :

> Pourquoi YouTube Kids favorise des contenus ultra glauques ?

David-Julien Rahmil

David-Julien Rahmil

Squatteur de la rubrique Médias Mutants et Monde Créatif, j'explore les tréfonds du web et vous explique comment Internet nous rend toujours plus zinzin. Promis, demain, j'arrête Twitter.
commentaires

Participer à la conversation

  1. Vous m'avez attristé ! l:'-(

Laisser un commentaire