Avec plus de 5 millions d'abonnés, le youtubeur Amixem est l'un pionnier de YouTube. Il nous raconte comment son métier a évolué. Clairement, pour tenir dans la durée, il faut s'adapter aux exigences changeantes de l’algorithme.
Tu as commencé sur YouTube en 2012. Qu'est ce qui a changé depuis 7 ans ?
Les règles du jeu ne sont plus du tout les mêmes. La première chose à prendre en compte, c’est bien évidemment l’algorithme de YouTube. On peut même dire qu’il a un pouvoir de vie ou de mort sur les youtubeurs.
Et qu'est-ce que veut l’algorithme ?
Avant il était très important d’avoir un grand nombre de likes. YouTube détectait une bonne vidéo avec le nombre de pouces en l’air, mais cela occasionnait de la triche. Les youtubeurs demandaient beaucoup de likes et c’était assez malsain et peu pertinent. Maintenant la règle du jeu, c’est le watchtime. Le but pour YouTube est de garder les internautes le plus de temps possible sur la plateforme. Ils vont donc regarder le nombre de minutes visionnées pour chaque vidéo. Si les gens restent plus longtemps, alors ton contenu est davantage propulsé. Avec ce système, on ne peut pas vraiment tricher.
Le revers de la médaille, c’est qu’il faut que les vidéos soient très rythmées pour ne pas ennuyer les spectateurs. Cela favorise surtout les contenus faciles à consommer, ce qui est très dommage. Les concepts un peu plus longs, comme les documentaires par exemple, percent beaucoup moins. Il est très rare d’atteindre 5 millions de vues sur des formats dont le rythme est lent.
Depuis quelques années, il semble que YouTube ne laisse plus vraiment de place aux vidéos amateurs. Vous êtes d’accord ?
Le métier de youtubeur s’est professionnalisé. Quand j’ai commencé, on était 95% de créateurs amateurs, qui travaillaient dans leur chambre. Il n’y avait que Golden Moustache et Studio Bagel qui étaient pro. Une image ou une réalisation trop proches des standards de la télévision ou du cinéma étaient mal vues. Il fallait tourner dans notre chambre... Aujourd’hui, la plupart des youtubeurs tournent en studio avec un décor de fausse chambre derrière eux.
Aujourd'hui, pour démarrer sur YouTube, il faut un bagage pro ?
Même si le métier s’est professionnalisé, je pense que le public continue de venir sur la plateforme pour consommer ce côté « fait-maison » authentique. Tant qu’on maintient cet aspect-là, c’est bon. Ce n’est pas parce que j’ai une équipe de montage, de cadrage, du matériel et un décor que je fais de la télé.
Pourquoi vous avez cette crainte de faire de la télévision ?
On est plusieurs youtubeurs à penser que les gens fuient les réalisations trop formatées de la télévision. Elles n’ont plus la cote à cause de leur manque d’authenticité. Sur YouTube, on casse très régulièrement le 4e mur, on interagit avec la caméra et on garde un côté très artisanal alors qu’à la télé il faut oublier la caméra justement. On a un rapport plus direct avec notre public. Sur YouTube, on est obligé de se confronter au public. Si on est pris dans un bad buzz, on prend sa caméra, et on fait ses excuses.
Certains youtubeurs se sont fait épingler pour des opérations de placement de produits un peu sales.
Sur ce registre, il faut aussi être hyper transparent. Si tu fais un placement produit, il faut le dire. Personnellement, je n’ai pas beaucoup vu ce genre de pratiques, et c’est assez mal accueilli sur YouTube. Le modèle dominant maintenant ce sont des vidéos sponsorisées avec un message clair. On dit clairement que c’est une publicité et qu’on est payé pour parler d’un produit. Les gens savent que ça finance la chaîne et sont majoritairement d’accord avec le concept.
Vieillir sur YouTube, ça n’est pas trop angoissant ?
C’est vrai que mon public est plus jeune que moi. Mon audience, c’est le lycée et les étudiants Bac+1 ou Bac+2. Il n’y a pas si longtemps, j’étais étudiant aussi. Mais ma vie a beaucoup changé, notamment depuis que je suis papa. Mais la vraie question qu’il faut se poser, c’est est-ce que faire des vidéos sur YouTube est une situation pérenne ? Personnellement, je me suis demandé ça il y a deux ans. J’ai vu qu’aux États-Unis il y a plein de youtubeurs qui font ce travail depuis 10 ans et qui s’en sortent bien. C’est pour ça que j’ai co-créé un incubateur pour vidéastes à Angers. C’est un vrai pari sur l’avenir. Comme n’importe quelle société de production, c’est un investissement en temps et en argent. On n’aurait pas sauté le pas si on s’était dit que dans deux ans il fallait tout arrêter.
Les youtubeurs peuvent être soutenus par leur communauté pourtant.
Le financement par les fans reste la seule solution quand on fait de la vulgarisation. C’est un travail qui prend beaucoup plus de temps et qui nécessite le soutien de sa communauté. J’ai commencé comme ça sur Twitch. Je n’avais pas de partenariats ni de publicités. C’était mon public qui me faisait des dons quand ils passaient une bonne soirée, un peu comme un pourboire. Mais je n’ai pas aimé cette situation et je préfère largement être payé par des collaborations avec des marques ou par la publicité. Comme ça, j’ai l’impression de ne rien devoir à personne. Être soutenu par sa communauté, c’est pesant au final. Si tu fais un format très risqué et que tu te plantes, tu peux te prendre un retour de bâton super dur, car les gens ont l’impression que c’est leur argent que tu as gaspillé. Je préfère être sur un modèle où je ne dois rien aux gens et où tout est gratuit.
Quels conseils concrets peux-tu donner aux youtubeurs qui débutent ?
Déjà il faut arrêter avec les discours du type « YouTube est bouché ». En fait il y a toujours de la place sur la plateforme si tu as le talent, le temps et la motivation pour y aller. Ensuite, il ne suffit pas de sentir le goût du public, il faut aussi savoir plaire à l’algorithme. Ça veut dire qu’il faut trouver des formats porteurs qui tirent la chaîne vers le haut. Une fois qu’elle est en haut, ils pourront placer des vidéos un peu plus qualitatives et risquées.
Sur ma chaîne, j’ai fait des formats porteurs qui plaisent aux gens et à YouTube. C’est du commentaire de vidéos ou du top sur les annonces Le Bon Coin, ce genre de trucs qui servent de moteur à ma chaîne. Mais ce vers quoi je veux me diriger, c’est vers le voyage et la vulgarisation scientifique. Donc j’intercale des vidéos sur comment fonctionne un télescope ou comment se calculent les années lumières. Au final sur 5 millions d’abonnés, j’arrive à attirer 1,5 million de personnes sur du contenu qualitatif et rien que ça justifie le reste.
Quand ton enfant sera en âge de comprendre, comment tu vas lui expliquer ton travail ?
Ça va être un truc du genre « papa fait des vidéos sur Internet ». Le seul souci, c’est que je suis sûr que ça va très très mal vieillir. En même temps quand tu produis deux vidéos par semaine, c’est normal d’utiliser des formats qui ne vont pas tenir dans la durée. Je pense que d’ici 10 ans on pourra dénicher de grosses surprises bien ringardes. Du coup, j'expliquerais à ma fille qu'elle doit être très indulgente avec son papa.
(Effectivement)
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