Des extraits de jeux Roblox, des voix robotiques désincarnées et des histoires dignes des pires télénovelas : on a trouvé la formule parfaite pour faire des millions de vues sur le dos des enfants.
« Ma belle-sœur est un beau jambon », « J’ai engagé un petit ami pour rendre mes copines jalouses », « Je m’enfuis de chez moi et deviens propriétaire d’un coffre en or »… Sur YouTube, les chaînes Berry Roblox ou Charlie Roblox proposent un drôle de contenu à leurs abonnés. Les titres semblent tout droit sortis de fanfiction bas de gamme tandis que les miniatures ultra-accrocheuses mélangent jeux vidéo et photos de filles ou garçons en mode sexy (ou thirst trap comme disent les jeunes). Difficile de ne pas cliquer quand on est une petite fille de 10 ans.
Du sludge content pour enfants
Quand on clique sur les vidéos, on tombe sur des extraits de jeux issus de Roblox, la plateforme préférée des moins de 13 ans. Il s’agit souvent de jeux de plateformes où un joueur doit escalader une tour en sautant d’obstacle en obstacle sans tomber. Ces extraits sont uniquement là pour accrocher le regard et garder l’attention du spectateur jusqu’au bout. Le vrai contenu est avant tout sonore. Il s’agit d’une histoire racontée de manière désincarnée par une voix robotisée text-to-speech, soit fabriquée par IA. Les protagonistes s’affichent et s’agitent à l’écran quand c’est leur tour de parler. Ce format coche toutes les cases du « sludge content », un format très prisé sur TikTok qui met en scène deux contenus qui n’ont rien à voir pour rendre la vidéo la plus addictive possible.
La fabrique d’histoires à dormir debout
On ne va pas se mentir, il est difficile d’aller au bout de ces vidéos quand on a plus de 15 ans. Les voix monocordes, les dialogues insipides rendent ces vidéos assez insupportables. Le contenu des histoires est lui aussi assez particulier. Il s’agit bien d’intrigues amoureuses et amicales qui se déroulent au sein de Roblox. Il est question de réputation, de tromperies ou bien d’argent (virtuel), ce qui fait penser à de véritables soap-opéras pour gamins. Et le pire, c’est que ça marche très bien. La chaîne Charlie Roblox compte ainsi 49,2 k abonnés et ses vidéos les plus populaires montent jusqu’à 443 k vues.
Sur les chaînes américaines d’où la tendance est originaire, les chiffres sont encore plus élevés. Avec des vidéos atteignant les 9,7 millions de vues. Les commentaires sont aussi une bonne indication de l’engagement du public. Incités à laisser un commentaire (et à activer la petite cloche) pour aider la chaîne, les jeunes internautes laissent des messages dithyrambiques ou bien expliquent à quel point ces histoires les aident à trouver le sommeil quand ils les regardent le soir dans le lit.
Du pur produit industriel
À bien y regarder, les histoires ainsi que les miniatures mises en avant ont beaucoup de points communs entre les chaînes américaines et françaises. Certains titres de vidéos utilisent les mêmes mots mal traduits comme le terme « bacon » qui revient pour désigner une jolie fille. Enfin le rythme de publication – une vidéo par jour pour la plupart des chaînes – laisse à penser qu’il s’agit en fait de contenus produits de manière industrielle. Si les chaînes françaises ne laissent apparaître aucune possibilité pour contacter les créateurs, la chaîne américaine Lucas Roblox possède une adresse mail qui mène à une page Facebook tenue par une société de montage vidéo vietnamienne appelée Dựng Phim.
Ces vidéos sont probablement fabriquées par le même studio puis traduites en différentes langues et réparties sur différentes chaînes pour maximiser les vues. D’un point de vue business, le jeu en vaut la chandelle. La catégorie Roblox a déjà généré plus de 75 milliards de vues sur YouTube. Côté qualité en revanche, les enfants méritent sans doute mieux que ce fast-food mental produit à la chaîne.
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