On a plongé dans Zepeto, ce métavers qui permet aux enfants de jouer aux grandes personnes avec des avatars virtuels.
Personnages féminins à la taille de guêpe et aux lèvres pulpeuses, vêtements de luxe assortis et mouvements de danse calculés au millimètre près… Si vous scrollez sur le fil TikTok « Pour toi » d'une ado de 13 ans, vous avez de fortes chances de tomber sur ces vidéos de personnages de jeux vidéo en train d'exécuter une chorégraphie sur une musique de K-pop. Vues plus de 22 milliards de fois, ces vidéos sont toutes issues de l'application immanquable du moment : Zepeto.
Un fourre-tout numérique
Définir Zepeto est une tâche difficile. L'application se trouve à mi-chemin entre un monde virtuel, un réseau social type Instagram, une plateforme de gaming et un outil de chat. Lancée en 2018 par le géant de l'informatique sud-coréen Naver (à qui on doit déjà l'application de webtoons la plus populaire au monde), l'app coche pas mal de cases pouvant la définir comme un métavers. Comme Roblox, elle connaît un succès incroyable qui reste sous les radars. D'après Florie Valton, planneur stratégique au sein de l'agence We Are Social, Zepeto cumule 340 millions d'inscrits à travers le monde et compte 15 à 20 millions d'utilisateurs journaliers. 70 % d'entre eux sont des femmes entre 13 et 25 ans.
Pour comprendre pourquoi l'application cartonne, il faut y faire un tour. L'expérience est assez déstabilisante tant la plateforme ne ressemble à rien de vraiment connu. La fonctionnalité centrale de Zepeto reste son outil de création et de personnalisation d'avatars, ces fameux personnages en 3D qui semblent sortir d'un film Pixar peuvent être modifiés dans les moindres détails. Depuis l'écartement des yeux, aux vêtements, en passant par le teint de votre peau, votre maquillage, votre coiffure ou les mensurations de votre corps : tout est incroyablement détaillé. Vous pouvez aussi prendre un selfie et voir apparaître une version cartoon de vous-même que vous pourrez aussi améliorer.
C'est pas moi, c'est mon avatar
Ce souci du détail fait la force de Zepeto. Selon Fleur Pellerin, elle serait directement issue de la culture numérique coréenne. L'ex-ministre déléguée aux PME, à l'innovation et à l'économie numérique en 2012 est fine connaisseuse de la plateforme : son fonds d'investissement, Korelya a levé 100 millions d'euros auprès du groupe coréen Naver qui possède Zepeto. « Cette customisation de l'avatar est un élément culturel très important dans les technologies de Corée du Sud, explique-t-elle. Ils sont précurseurs sur les filtres qui améliorent la peau ou embellissent le visage par exemple, et l'on retrouve exactement ce type de fonctionnalités sur cette application ». Et cela plaît : Naver met en avant plus d'un milliard d'heures d'engagement sur son application.
Une fois votre avatar créé, de nombreuses utilisations sont possibles. Vous pouvez le mettre en scène dans des décors que vous aurez vous-même créés, à la manière des Sims, et le prendre en photo. Vous pouvez aussi l'intégrer dans des clips aux côtés des avatars de vos youtubeurs et chanteurs de K-pop favoris. Ce sont ces vidéos et ces photos, toutes calquées sur le même modèle, qui alimentent les comptes TikTok ou Snapchat de nombreuses jeunes filles. Sur ce point, Zepeto fait plus ou moins office de proxy entre l'adolescent et des espaces numériques plus ouverts. Plutôt que de mettre en avant sa propre personne, les plus jeunes enverront sur le front des réseaux leur avatar qui représente une image idéalisée d’eux-mêmes.
Sur Zepeto, l'avatar peut aussi être utilisé pour dialoguer avec des amis dans une salle de chat, participer à de petits jeux vidéo créés par les utilisateurs ou encore offrir des cadeaux virtuels. Cet aspect de plateforme sociale est, là encore, hérité de la culture coréenne selon Fleur Pellerin. « Évoluer dans un monde virtuel avec un avatar parfait reflète à mon sens une certaine forme d'incapacité sociale ou de mal-être chez les jeunes, notamment en Corée du Sud. Ces derniers sont biberonnés à des représentations corporelles impossibles à atteindre via Instagram et ont de gros soucis d'estime de soi. Ils évoluent dans une société très compétitive où il est difficile de se faire des amis. Une plateforme qui permet à la fois de s'amuser avec les autres tout en se protégeant derrière l'avatar permet de remédier à ces problèmes ».
Money money money (et addiction)
N'allez pas croire pour autant que Zepeto fait tout cela par charité. À l'image de Roblox qui incite constamment ses utilisateurs à la microdépense, Zepeto a mis en place une économie virtuelle particulièrement efficace. Le moindre changement de visage, de tenue ou d'accessoire coûte des coins. Chaque joueur démarre avec une petite réserve de pièces, mais cette dernière s'épuise rapidement. Il faut alors faire preuve d'assiduité en revenant tous les jours participer à des jeux de hasard ou regarder des publicités pouvant durer jusqu'à 2 minutes pour remplir sa trésorerie. Étant donné que les possibilités de recherche de pièces sont limitées chaque jour, la plateforme met à disposition un système d'échange contre de vrais euros.
Pour Florie Valton, les boucles d'activités proposées par la plateforme pour gagner de l'argent posent question. « On trouve des jeux de hasard, de longues quêtes à travers des mondes pour ramener quelques pièces ou des demandes de connexions plusieurs jours d'affilée pour engranger plus d'argent ». Des mécaniques qui ont de quoi rendre accro.
Difficile de connaître le chiffre d'affaires de la plateforme. En revanche, on sait qu'elle est valorisée plus d'un milliard de dollars depuis une levée de fonds auprès de Softbank en 2021. Les marques de luxe ont déjà saisi le filon et proposent aux utilisatrices d’acheter pour presque rien des articles virtuels issus de leurs collections. Gucci, Dior, Ralph Lauren ou Louboutin y voient un marché idéal pour se faire connaître auprès du très jeune public et ouvrir ainsi un nouveau marché.
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