Ah l’influence marketing ! Difficile d’échapper au raz-de-marée de contenus emportant cette (très) ancienne discipline dans les métamorphoses du digital. Rien d’étonnant à cela : son champ d’action est vaste, elle qui constitue un remarquable levier pour accroître la visibilité, la viralité et les ventes de la marque. Mais à l’heure du test and learn, il est difficile de toujours faire le tri entre bonnes et mauvaises pratiques ! Explications par Marie Dollé, directrice des stratégies digitales chez Citizen Press.
1) Gouvernance et collaboration cross-fonctionnelle
Une étude récente de Traackr « Influence 2.0 : le futur du marketing d’influence » confirme que l’influence marketing mobilise plusieurs départements au sein des entreprises : 50% des sondés déclarent que 4 départements ou plus engagent avec les influenceurs, et ce pourcentage passe à 80% pour 3 départements ou plus. Cette multiplication des points de contacts n’est pas en soit problématique. Le problème, c’est que la stratégie qui sous-tend l’influence marketing n’est pas toujours coordonnée. Au lieu de travailler en silos, les entreprises auraient tout intérêt à s’essayer au brassage des équipes, d’autant que les consommateurs et influenceurs n’ont que faire des rouages internes de l’entreprise … Autrement dit, il s’agit d’instaurer une forte collaboration cross-fonctionnelle au sein des marques et des agences impliquées, afin de donner une vision unifiée à ses audiences et de mener une véritable stratégie omnicanale, où les dispositifs des uns et des autres se nourrissent mutuellement pour créer un mécanisme vertueux. Une stratégie de design thinking, une approche de l'innovation qui se veut une synthèse entre la pensée analytique et la pensée intuitive, et qui s’appuie principalement sur de la co-créativité peut également contribuer à libérer tout le potentiel des équipes.
2) De l’importance d’une vision stratégique à long terme
Or qui dit vision à long terme dit également équipes stables et turn over maîtrisé. Car ces « gestionnaires d’influenceurs » ne sont pas évidents à dénicher … ils doivent disposer de nombreux atouts : des connaissances pointues en digital pour commencer, mais aussi des soft skills tournés vers l’écoute, l’empathie, l’absence de jugement, la souplesse cognitive, l’intelligence relationnelle et émotionnelle, etc. Une fois la perle rare détectée, il s’agira évidemment de la choyer pour qu’elle reste au sein de l’entreprise de nombreuses années.
Car l’essor des stratégies d’influence met en lumière une tendance sous-jacente forte : celle de la personnification de la marque, de l’incarnation humaine qui permet de renforcer le capital sympathie et de créer de véritables « love brands » . À retenir donc : la nécessité de poser les fondations d’une véritable stratégie, avec les bons profils pour gérer ces dispositifs et laisser le temps au temps. Entre le démarrage, la phase d’écoute, l’implémentation de la stratégie et l’activation des influenceurs, il peut se passer plusieurs mois pour une marque novice en la matière. Un délai indispensable pour accumuler les connaissances et apprivoiser l’humain qui se cache derrière tout influenceur...
3) Des dispositifs sur-mesure pour une expérience de marque unique
Un point de vue partagé par Stéphane Bouillet ; le fondateur d’Influence4brands déplore le fait que certaines marques ne respectent pas la ligne éditoriale (et donc la communauté de l’influenceur). Un problème qu’explicite Guillaume Doki-Thonon, CEO de Reech : « Beaucoup de marques pensent que l'influenceur n'est qu'un diffuseur, alors qu'il est d'abord un talent, un créateur ». Cet enjeu doit s’envisager également sous le prisme de l’influenceur vis-à-vis de ses audiences, puisqu’il doit les animer et les pousser à s’engager davantage, voire à co-créer ensemble. La marque Crédit Agricole en apporte une bonne démonstration avec « Trip Choices », un voyage orchestré pour le youtubeur Danii le Russe afin de promouvoir son offre Globe-Trotter. La particularité du dispositif ? Être entièrement guidé par les sondages de stories sur son Instagram ! Un bon moyen pour ses abonnés de prendre les commandes façon « livre dont vous êtes le héros » .
D’autres poussent le raisonnement encore plus loin… Axelle Aimé et Dorothée Rubinski, cofondatrices de It Collection, un bureau de création de marques, ont également parié sur les stars d’Instagram en leur proposant de créer et financer ni plus ni moins que leur propre label de mode. À leur actif, « Musier », la marque lancée par Adenorah, l’influenceuse aux 415 000 abonnés sur Instagram ou encore « Parisienne et alors » par Les Parisiennes du Monde. C’est ça, du sur-mesure ! Et demain une marque complètement co-construite ou en mode open source ? L’idée est loin d’être fantaisiste. Avez-vous entendu parler de ourfootballclub.com ? Il s’agit d’un club écossais dirigé par tous ses fans dans le monde… du consommateur lambda au méga influenceur…
4) Mesurer sans sombrer dans le diktat du clic
Les marques doivent aussi accepter que certains aspects de l’influence ne soient pas toujours visibles et quantifiables, comme l’explique Fabienne Billat, conseil en communication et stratégie numérique : « Certains de mes contacts vont suivre une marque sur laquelle j’ai tweeté ou j’ai échangé sans autre forme d’engagement ; pour autant, il est très difficile d’établir un lien de causalité. Et puis se pose aussi la question de la valeur d’un nouvel abonné … vaste débat ! » L’experte en numérique précise par ailleurs que certains paramètres échappent au redoutable tracking web : « L’ influence que je peux avoir me sert plus que le volume des followers ou des retweets, pour m’apporter des missions, me faire rencontrer des personnalités influentes, des dirigeants, multiplier les entretiens qualitatifs (le Syntec, les think tanks Digital New Deal et Institut Sapiens, dans l’économie, des domaines d’expertise) ; c’est la partie immergée, moins visible, moins buzz, mais intellectuellement plus riche et qui s’apparente davantage à une forme de lobbying ».
D’autres considérations macro doivent également être prises en compte, qui ont des conséquences sur les indicateurs d’engagement. On assiste ainsi à la multiplication des « lurkers », ces consommateurs passifs qui parcourent contenus et discussions sans y participer. Une tendance à rapprocher de l’essor du social cooling, ou « refroidissement social » . Un phénomène où l’internaute, conscient de la surveillance et de l’utilisation de ses données, modifie son comportement afin de « donner une image positive de lui, lisse et politiquement correcte ». Pour reprendre les propos de Tijman Shep, penseur hollandais des technologies et auteur du concept de social cooling, c’est « l’effet pervers et à long terme d’une vie dépendante de l’économie de la réputation ».
5) Le buzz n’est pas une finalité en soi
« Faire le buzz à tout prix vous emmène droit dans le mur, appuie Thomas Gouritin, CEO De Tomg Conseils. Pour éviter cette course effrénée, on parle aujourd’hui des micro-influenceurs voire des nano-influenceurs. Des profils moins visibles mais qui, a priori on vient de s’en rendre compte, influencent pour de vrai les gens proches en local ». Il ajoute : « On va se rendre compte demain (ou après-demain, au rythme où vont les choses) que les vrais influenceurs, ceux qui influent sur la décision d’achat et l’affect pour une marque, restent les proches. La famille, les amis. Mais comment réussir la promesse de parler à chaque influenceur en direct s’ils sont en fait 65 millions rien qu’en France ? Il ne s’agit finalement ni plus ni moins que de communication et de marketing à taille humaine, éthique et responsable, qui ne prend pas le consommateur pour un idiot. »
Certaines marques, à l’instar d’Adobe, ont parfaitement conscience de ce point fondamental et se distinguent par leur volonté de privilégier l’ultra personnalisation… voire l’élitisme. Un exemple ? Les dîners exclusifs et sélects auxquels la marque convie des experts de haut niveau sur des thématiques en lien avec leur cœur d’expertise (il ne s’agit évidemment pas de renier sa raison d’être). Au cours de ces soirées-débat, les règles du jeu sont claires : pas question de live-tweeter, on est là avant tout pour partager et s’enrichir.
Si cette initiative concerne la sphère B2B, elle est transposable, sous certaines conditions, en B2C. Pour preuve, plusieurs youtubeuses du secteur de la beauté/mode arborent depuis quelques mois, l’emblématique bague « Love » de Cartier sans aucune mention de la marque ; et elles restent muettes lorsque des fans les interrogent sur le sujet. Simple hasard, publicité habilement déguisée ou expérience d’influence invisible et sans couture ? Après tout, c’est peut-être bien ça le graal ultime de l’influence : des apparitions quasi subliminales qui suscitent le désir… sans assourdir.
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