Économie de la réputation, refroidissement social, culture de la conformité… « Si vous vous sentez observé, vous changez de comportement. », et c’est là l’effet néfaste du Big Data.
Non, vous n’êtes pas que des data. En février dernier, la banque privée Investec s’attachait à démontrer que nos données, souvent biaisées et réductrices, ne reflèteront jamais la singularité et la complexité de nos vies. Selon le chercheur hollandais Tijman Shep – chercheur en nouvelles technologies et « privacy designer » - il s’avèrerait même que la récolte de nos données nous mène inexorablement à nous travestir et à nous autocensurer dans le but de rester à la hauteur de notre réputation en ligne.
Et c’est là tout le principe du « Social Cooling », ou refroidissement social en français.
Théorisé par le chercheur et repéré sur Reddit par France Culture, le concept est depuis peu explicité sur la plateforme socialcooling.com et induit la thèse alarmante suivante : être au fait de la manipulation de nos données devient un savoir limitant qui inhibe la prise de risques et musèle notre liberté d’expression en ligne et notamment sur les réseaux sociaux.
Si vous vous sentez observé, vous changez de comportement. Le Big Data amplifie cet effet à l’extrême.
Selon Tijman Shep, le mal s’enracine en seulement trois étapes :
1. « Vos données sont converties en milliers de notations différentes. »
2. « Les gens commencent à comprendre que cette "réputation numérique" peut restreindre leurs opportunités. »
3. « Les gens se mettent à changer de comportement pour avoir de meilleures notes. »
Une résultante insidieuse qui avait déjà été pointée du doigt dans l’épisode « Chute Libre », premier volet de la saison 3 de Black Mirror. Dans un monde où l’ascension sociale se caractérise par l’évolution d’une cote personnelle échelonnée de 0 à 5, où l’accès à certains services ne peut se faire que si vous êtes populaire et que votre note est suffisamment élevée, les frontières entre virtualité et réalité se brouillent, l’hypocrisie va bon train et l’uniformisation des profils sociaux se transpose à la vie réelle.
L’épisode mettait en effet en scène des protagonistes sans la moindre singularité, vidés de toute substance individuelle et prêts à tout pour préserver leur réputation en ligne.
Black Mirror | Nosedive Featurette [HD] | Netflix
En résulte une « culture du conformisme » , puisque la peur que nos activités soient enregistrées nous pousse à agir comme tout le monde et à nous autocensurer, la peur de prendre des risques aussi, mais également l’instauration d’une certaine dictature de la réputation : « En Chine, tous les citoyens adultes ont une "note de confiance" approuvée par le gouvernement », observe la plate-forme. « Elle donne à voir à quel point ils se sont bien comportés, et est basée sur les casiers judiciaires, ce qu’ils disent sur les réseaux sociaux, ce qu’ils achètent et même la note de leurs amis. »
Une réflexion qui soulève le problème du droit à l’erreur, ou plutôt du « droit à l’oubli » . En ligne, il n’est jamais question de faillibilité humaine, chaque action est irréversible, indélébile. Aujourd'hui, les obstacles au droit au déréférencement sont encore nombreux et sont plus que jamais au centre du débat.
Diplômée en marketing et publicité à l’ISCOM après une Hypokhâgne, Margaux Dussert a rejoint L’ADN en 2017. Elle est en charge des sujets liés à la culture et la créativité.
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