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Qui se cache derrière les « Corsaires », ce collectif qui menace l’ONG Sleeping Giants

© Montage via freepng.fr

L’association qui s’attaque au financement des médias propageant des discours de haine subit plusieurs pressions de la part de militants zélés.

Mercredi 8 décembre, la rédaction de L’ADN reçoit en trois exemplaires une lettre manuscrite et cachetée à la cire provenant d’un mystérieux groupe intitulé les Corsaires de France. À l’intérieur, un communiqué de presse semblable à un parchemin explique l’action de ce groupe qui se voit comme « une armada numérique » en lutte pour la liberté d’expression et la liberté de la presse. Le collectif déclare partir en guerre contre les Sleeping Giants, une ONG connue pour son activisme sur Twitter et qui vise des marques dont les publicités apparaissent dans des médias ou des plateformes web, véhiculant des discours de haine. L’ONG a notamment porté plusieurs coups durs au magazine Valeurs Actuelles ou à la chaîne CNews. Il y a anguille sous roche.

Hacktivisme soft

Le communiqué renvoie notamment sur un site web. Ce dernier continue de mettre en avant cette idée de Corsaires censés voler au secours de marques qui seraient selon eux, attaquées par l’ONG. Les internautes peuvent y trouver des argumentaires censés convaincre les autres internautes du bien-fondé de leur action, mais aussi des mèmes et des messages déjà écrits devant être publiés sur les réseaux dans le sillage des actions des Sleeping Giants. Par ailleurs, le compte Sources Ouvertes pointe du doigt le fait que le site effectue du typosquatting. Cette méthode consiste à acheter plusieurs noms de domaines dont l’orthographe est proche de celle de la cible, en l'occurrence les Sleeping Giants afin d’effectuer des redirections vers Corsaires de France.

Les militants d'extrême droite dans les rangs

De prime abord, impossible de savoir qui se trouve derrière ce site web et quelles sont leurs réelles motivations politiques. Cependant, plusieurs indices révélés par des spécialistes de l’investigation en source ouverte comme le journaliste Nicolas Quénel et le compte Sources Ouvertes pointent du doigt des militants d'extrême droite. Pour en avoir le cœur net, il suffit de se plonger dans les comptes Telegram du collectif. Le canal principal intitulé Les Corsaires comprend 1000 abonnés. Ce dernier est une vitrine plutôt lisse où sont organisées les actions à mener sur les réseaux sociaux. Les internautes voulant « poser des questions et discuter » sont invités à rejoindre un second groupe plus restreint, intitulé Le Comptoir. On y trouve un peu plus de 300 membres, dont certains se présentent sous leur véritable identité comme le référent de la Seine Saint-Denis du parti Les Patriotes de Florian Philippot. Ces derniers s‘échangent aussi des mèmes à la gloire d’Eric Zemmour et contre les anti-fa et poussent au maximum à la lutte contre les Sleeping Giants. D’autres canaux de discussions sont aussi partagés notamment un participant à la lutte contre l'écriture inclusive et un autre rassemblant d’autres groupes de militants pro-Zemmour. 

Qui se cache derrière les Corsaires ?

Nous savons que des militants d'extrême droite alimentent la campagne sur les réseaux, mais sont-ce les mêmes personnes qui gèrent ce site web très travaillé ou bien qui produisent les visuels, eux aussi très bien réalisés ? La question se pose aussi pour ces lettres cachetées, envoyées nominativement à des journalistes, et dont la finition est bien trop professionnelle pour être le fait de simples internautes. En poussant son investigation plus en avant, le compte Sources Ouvertes collectionne un faisceau d'indices qui semble pointer vers une entreprise en particulier.

En effet les tout premiers posts de la page Facebook des Corsaires sont likés par les mêmes personnes. Parmi elles, on retrouve un concepteur-rédacteur travaillant pour l’agence de communication NewSoul. Cette dernière s’était fait connaître en 2017 pour avoir lancé le mouvement des survivants, une campagne contre l’avortement. Elle est aussi responsable de différents « médias » dédiés aux jeunes comme Afterbaiz qui déploient, là aussi, des arguments anti-IVG. Cette agence travaille avec de nombreuses associations chrétiennes, mais aussi… avec Valeurs Actuelles qui figure parmi ses clients. Pour rappel, le média condamné de multiples fois pour injures racistes ou incitations à la haine raciale avait porté plainte en juin dernier contre le collectif des Sleeping Giants dont il était la cible. L’hebdomadaire avant notamment affirmé que des « centaines de grandes entreprises » avaient « cédé » aux « méthodes outrancières » de Sleeping Giants ; une rhétorique que l’on retrouve aussi dans la communication des Corsaires. Enfin le CEO de NewSoul, Émile Duport, plutôt avare en Tweet, a reposté par deux fois sur son compte des images issues de la campagne de Corsaires.

Pour rappel, ce dernier avait été pointé du doigt par Ouest-France en 2017 pour avoir utilisé la même méthode de cybersquatting à l'occasion de la mort de Simone Veil. Il avait acheté le nom de domaine simoneveil.com pour rediriger les internautes vers un web-documentaire anti-IVG. Interrogé à ce sujet, le collectif des corsaires n'a pas répondu à nos questions. De son côté Émile Duport refuse toute paternité du mouvement qui rassemble selon lui « un grand nombre de publicitaires bien au delà de ma petite personne ». « J’ai posté à plusieurs reprises les éléments que m’ont fourni Les Corsaires car je suis en ligne avec leur volonté de défendre, les médias quelques soit leur orientation politique ». 

Menace de mort

On est donc loin du simple « collectif de citoyens » que les Corsaires mettent en avant. Et leur campagne n'est d'ailleurs pas si inoffensive que ça. Le 8 décembre, même jour de la réception du courrier des Corsaires, Alice Cordier, la porte-parole du groupe « féministe » Némésis a posté une story sur Instagram se montrant en train de tirer à l’arme à feu sur une cible en menaçant ouvertement l’association des Sleeping Giants. Au-delà des mèmes et des techniques de troll, la violence réelle n’est jamais très loin.  

David-Julien Rahmil

David-Julien Rahmil

Squatteur de la rubrique Médias Mutants et Monde Créatif, j'explore les tréfonds du web et vous explique comment Internet nous rend toujours plus zinzin. Promis, demain, j'arrête Twitter.
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