Depuis quelques mois, les médias d'actualités et les plateformes sociales ne s'entendent plus. Pourquoi un tel désamour et qu'annonce-t-il du paysage médiatique ?
Ces derniers temps, il ne fait pas bon être un média sur les réseaux sociaux. Fin juillet, Facebook fermait totalement son accès aux médias du Canada après le passage de la loi Online News Act qui oblige les plateformes numériques à négocier des accords financiers avec les publications d’information. Quelques jours plus tard, Elon Musk annonçait qu’il souhaitait supprimer la génération des titres et des descriptions d’articles de presse qui sont postés par les médias sur X (anciennement Twitter). La publication d’une grande partie de son algorithme en avril dernier montrait que les liens externes publiés sur le réseau étaient traités automatiquement en tant que spams, sauf si la publication génère assez d’engagements. Sur LinkedIn, les liens externes doivent impérativement être insérés dans les commentaires pour ne pas être pénalisés par les algorithmes. De manière plus globale, les articles écrits en dehors des plateformes sont bien moins visibles que les vidéos publiées directement sur les plateformes, signant un repli sur soi irrémédiable.
Omnipotents : des réseaux sociaux prêts à tout pour tout faire...
Comment est-on arrivé à un tel désamour entre les plateformes sociales et les médias ? Selon Joshua Citarela, artiste et essayiste sur la culture numérique, cette situation de crispation s’explique par l’état de guerre qui règne entre Meta, X, TikTok et les autres plateformes sociales ou vidéo. Le cœur de leur stratégie consiste à garder le plus longtemps captifs les utilisateurs et les empêcher d’aller lire ou s’amuser ailleurs. Et si ces derniers peuvent aussi lâcher un abonnement à 5 dollars par mois, c’est encore mieux. À terme, l’idée est d’établir un monopole sur le web en installant une super plateforme semblable au WeChat chinois. Elon Musk a par ailleurs très bien résumé cette ambition en évoquant X comme une « everything app », une application totale permettant à la fois de communiquer, mais aussi de faire des achats, des transferts de fonds, de commander à manger, un taxi, ou prendre rendez-vous chez le médecin.
Toujours plus de frictions pour garder les internautes captifs
Pour assurer cette position dominante, les plateformes ne prévoient pas seulement de couper leurs utilisateurs de médias extérieurs. Elles vont aussi tenter d’empêcher les créateurs de contenus de multiplier leur présence sur les différents réseaux sociaux en mettant en place un véritable parcours du combattant pour pouvoir publier correctement. « En ce moment, j'écris sur Substack, écrit-il. Plus tard, je publierai l'article sur Twitter. Ensuite, je ferai une capture d'écran et la publierai sur Instagram Stories. Ensuite, je corrigerai le texte sur Patreon que je publierai sur Discord qui informera tout le monde lorsque je serai en direct sur Twitch en train de lire probablement ce même message. (Au fait, je suis aussi sur Bluesky). Ce niveau accru de complexité dissuadera progressivement les créateurs de publier sur toutes les plateformes et les amènera à optimiser certaines publications. Peut-être même une seule. » Les plateformes commencent à rendre difficile – voire impossible – le partage de contenus émanant d'autres plateformes. X interdit déjà les liens venant de Mastondon et Substack qu’il considère comme ses rivales. À l’avenir, Joshua Citarela estime qu’il sera sans doute impossible de partager un podcast venant de Spotify sur X, car il entrerait en compétition avec les Spaces.
Quelle carte jouer pour les médias ?
Alors que les plateformes sociales ont décidé de se tirer dessus, quelles sont les marges de manœuvre pour les médias ? On pourrait penser que les utilisateurs s'opposent à ce type de restrictions, mais des études publiées par des agences d'analyse de données comme Similarweb et Data.ai montrent que le trafic de Facebook n'a absolument pas changé au Canada après sa décision de bannir la presse. Avant même cette décision, la maison mère Méta avait déjà commencé à diminuer la visibilité des posts d'actualités afin de mettre en avant des sujets plus « légers » comme le sport, la mode ou l'entertainment. D'après Similarweb, la consommation d'actualités avait diminué de 35 % en un an ce mois juillet et de 74% depuis 2020.
Sur X, Elon Musk a clairement indiqué son mépris des journalistes en supprimant les comptes de ceux qui suivaient de trop près sa reprise de Twitter en 2022. Il avait ensuite imposé un label intitulé « government funded » sous les médias publics britannique et américain comme la BBC ou NPR. Habituellement, ce label se retrouve sous des médias utilisés par des États autoritaires comme outils de propagande. Enfin, le 22 août dernier, il a déclaré dans un message : « Si vous êtes un journaliste qui veut avoir plus de liberté d'écrire et de meilleurs revenus, publiez directement sur cette plateforme. » Ce message accompagnait les premières rémunérations de comptes monétisés sous Twitter Blue, une monétisation qui a surtout touché des comptes de reposts d'actualités, souvent accusés de piller le véritable travail journalistique. Il est donc clair qu'Elon Musk veut voir émerger sur sa future « hyperplateforme » sa vision du journalisme, à savoir des individus coupés de toute rédaction, qui payent leur abonnement et qui ne critiquent surtout pas le patron de la plateforme. Face à ce chaos, et à la multiplication des contenus générés par IA, certains acteurs du secteur comme Jim VandeHei, cofondateur et CEO du média Axios, estiment que l'avenir est aux contenus écrits payants distribués par newsletter et aux podcasts, laissant les news (générées automatiquement) et la vidéo pour les plateformes sociales.
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