Un kisekae set system avec Grace à habiller

Ces femmes qui dépensent de l'argent pour habiller leur poupée virtuelle

© Virtual Doll Convention

Très peu connus du grand public, les jeux qui consistent à habiller ou déguiser son avatar font des émules sur le web. On a rencontré une influenceuse qui raconte comment elle vit sa passion sur Zepeto.

Suivie par plus de 381 000 fans sur Instagram, TikTok et Zepeto, Eáránë Vardamir est ce qu’on pourrait appeler « une influenceuse virtuelle ». Sans jamais montrer son vrai visage, elle met en scène un avatar au look kawaï qu’elle a personnalisé et customisé sur l’application coréenne Zepeto. Grâce à la caméra, elle peut se filmer pour donner à son personnage ses propres expressions faciales ou ses mouvements corporels. Déguisée en héroïne de webtoon ou habillée avec la dernière collection streetwear de Nike, Eáránë Vardamir met en scène son avatar dans de petites pastilles vidéo et musicale. Mais ceci n’est pas son vrai travail. En dehors de Zepeto, Eáránë Vardamir est une mère de deux enfants de 48 ans qui travaille dans la finance. Et comme elle le raconte, elle n’est pas la seule femme à aimer jouer avec sa poupée virtuelle. 

C’est quoi Zepeto ?

Reprenons depuis le début. Zepeto fait partie de ces empires numériques discrets. Comme Roblox, très fréquenté par les enfants, cette application coréenne cumule un nombre impressionnant d’utilisateurs (et surtout d’utilisatrices) – 20 millions d’utilisateurs actifs mensuels, sans forcément avoir attiré l’œil des médias ou du grand public. Lancée en 2018, la plateforme s’est vite imposée comme l’ultime jeu de poupée virtuelle. Présenté comme une sorte de métavers avec des salles virtuelles pour jouer et chatter, Zepeto est avant tout ce qu’on appelle un « jeu d’habillage », une niche de jeux vidéo discrète, mais qui existe depuis plus de 20 ans.

Jouer à la Barbie sur un écran

Si je vous parle d’avatar personnalisé que l’on installe dans des maisons de poupée et à qui l’on invente une vie, le premier titre qui vient à votre esprit devrait être Les Sims. Sortie en 2000, cette saga a joué un rôle important dans la popularisation des jeux d’habillage. Mais il était loin d’être le premier – ni le dernier. Dès 1995, des communautés d’internautes, notamment japonais, tournaient autour du logiciel Kisekae System Sets (appelé aussi Kiss) qui permettait de personnaliser et d’habiller un avatar fixe en pixel art. Le côté érotique de ces jeux – très semblables à une sorte de cosplay et de striptease – faisait qu’ils attiraient un public plutôt masculin. Mais ce succès n’a pas échappé aux industriels du jouet et notamment de Mattel qui va sortir l’année suivante le jeu PC Barbie Fashion Designer, dont un demi-million de copies sera vendu.

Les choses vont s’accélérer avec le déploiement de la technologie Flash Player. On voit arriver des jeux plus variés et sophistiqués, jouables directement depuis le navigateur. En plus des habits, ces titres permettent de choisir la coiffure, le maquillage et le décor dans lequel on peut prendre son avatar en photo. Ces jeux « pour fille » sont souvent de mauvaise qualité avec des représentations féminines ultras stéréotypées. Ça n’empêche pas l’installation d’une solide base de joueuses qui vont rester fidèles à ces titres et grandir avec tout au long des années 2010. 

Quand les marques entrent dans le jeu

En 2013, un jeu va agglomérer cette communauté. Il s’agit de Covet Fashion, une application d’habillage compétitive au sein de laquelle plus de 2 millions de joueuses par mois vont s’allier pour former des « maisons de mode ». Le but est de créer le meilleur style pour un objectif donné et de gagner le vote des autres utilisatrices. Le jeu va aussi inclure de véritables marques issues du monde de la mode ainsi qu’un système économique complexe qui finira par être critiqué, car jugé trop cher. C’est en tout cas dans ce milieu qu’a progressé Virginie avant de devenir influenceuse virtuelle. « J’ai été modératrice du plus gros forum francophone des Sims et j’ai aussi modéré ma maison de mode sur Covet Fashion, explique-t-elle. C’est là que j’ai exploré ma passion pour la mode, mais il y avait beaucoup de limitations, explique-t-elle. Les avatars des Sims sont moches, et ceux de Covet Fashion sont très statiques. Quand Zepeto est sorti en 2018, une Canadienne qui faisait partie de notre communauté nous en a parlé et on a tous ouvert un compte là-bas. Depuis je n’ai pas quitté l’application. »

C’est une bonne situation, influenceuse virtuelle ?

Il faut dire que Zepeto semble avoir tout compris pour attirer cette catégorie de joueuses. Les avatars peuvent faire des mouvements chorégraphiés, on peut les incruster dans un décor créé pour l’occasion (l’une des spécialités d'Eáránë Vardamir) et les partager sur les autres réseaux sociaux comme Instagram et TikTok. En plus de ses nombreux partenariats avec des marques de vêtement, la plateforme qui appartient au géant coréen Naver en profite pour mettre en avant ses autres productions culturelles. Virginie accède régulièrement à des packs de vêtements reproduisant le look d’une héroïne de Webtoon (une plateforme de lecture de BD qui appartient aussi à Naver) ou bien le style vestimentaire des chanteuses du groupe de K-pop Black Pink. 

Le tout est bien évidemment payant. Notre influenceuse a refusé de nous donner un chiffre, mais explique « avoir depuis longtemps un budget consacré aux jeux d’habillage » et que les sommes dépensées sur Zepeto sont moins importantes que celle qu’elle a pu sortir sur Covet Fashion. « Comme je suis dans le programme des créateurs de la plateforme, ça me permet d’avoir régulièrement des collaborations avec des marques, explique-t-elle. Certains contrats sont payés en euros, mais la plupart sont rémunérés avec des packs de vêtements gratuits. » Contrairement aux influenceuses d’Instagram, Eáránë Vardamir ne compte pas gagner sa vie avec cette activité de fashionista virtuelle. Mais pour elle, la question n’est pas là. « C’est un hobby qui m’a permis de rencontrer plein de gens dans le monde et de satisfaire mes envies de mode et de créations graphiques. Ce sont nos poupées Barbie d’adultes, et c’est déjà très bien. »

David-Julien Rahmil

David-Julien Rahmil

Squatteur de la rubrique Médias Mutants et Monde Créatif, j'explore les tréfonds du web et vous explique comment Internet nous rend toujours plus zinzin. Promis, demain, j'arrête Twitter.
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