
En plus de provoquer sécheresses ou inondations, la crise climatique conduit au dégel du permafrost, véritable menace sanitaire.
Parmi les risques liés au réchauffement du climat : la libération dans l'atmosphère des gaz à effet de serre (comme le méthane) piégé le permafrost (pergélisol en français). En bonus : les agents pathogènes dormants contenus dans la glace constituent un danger moins étudié. Pendant plus de 10 ans, le virologue Jean-Michel Claverie a étudié les virus « géants » vieux de près de 50 000 ans découverts au plus profond des couches du permafrost sibérien. Ses découvertes mettent en lumière la sombre réalité du réchauffement climatique et le risque qu'il fait peser sur la santé publique.
Des virus zombies toujours actifs
L'équipe de Claverie a découvert 13 virus « zombies » (nom donné par les scientifiques) issus du pergélisol sibérien. Hautement infectieux, l'un d'entre eux provient d'un lac gelé depuis plus de 48 500 ans. « 50 000 ans en arrière nous ramènent à l'époque où Néandertal a disparu de la région », indique le scientifique. « Si les Néandertaliens mouraient d'une maladie virale inconnue et que ce virus refait surface, cela pourrait constituer un danger pour nous. » En juillet 2023, une autre équipe de scientifiques a quant à elle réussi à réanimer un ver rond du pergélisol sibérien vieux de 46 000 ans en le réhydratant. « Cela signifie qu'il est inné chez certains organismes vivants de diminuer ou de suspendre d'une manière ou d'une autre les processus métaboliques », explique Teymuras Kurzchalia, professeur émérite à l'Institut Max Planck de biologie cellulaire moléculaire et de génétique, qui a participé à l'étude.
Des découvertes fondamentales en termes de santé publique. « Avec le changement climatique, nous sommes habitués à penser aux dangers venant du sud. Maintenant, nous réalisons qu'il pourrait y avoir un danger venant du nord à mesure que le pergélisol fond et libère les microbes, les bactéries et les virus », a déclaré le virologue au cours d'une visioconférence organisée par le think tank Wise Society. Des risques de réveil d'agents pathogènes sont déjà en cours. En 2016, une vague de chaleur en Sibérie a activé des spores de la maladie du « charbon », issue de carcasses de rennes, probablement infectées par l’anthrax emprisonné dans le permafrost depuis plusieurs décennies. Plus de 2300 rennes ont succombé au virus et une quarantaine de personnes ont été infectées, dont un enfant de 12 ans qui est décédé.
Des dangers d'interaction avec l'homme en hausse
Selon les experts, le permafrost (qui couvre les deux tiers du territoire Russe et peut atteindre jusqu'à un kilomètre de profondeur en Sibérie) offre les conditions idéales pour préserver la matière organique. Un article publié dans la revue Nature indiquait qu'un seul gramme héberge des milliers d’espèces microbiennes dormantes. Une profondeur et une stabilité (depuis 400 000 ans, les couches sous-jacentes du permafrost sont restées largement stables) propice au développement de nombreuses villes à travers la Sibérie. Des villes qui ont creusé leurs fondations profondément dans le sol gelé, semblable à du béton. Mais aujourd’hui, alors que l’Arctique se réchauffe plus rapidement que toute autre région de la planète, de vastes cratères de méthane se sont ouverts dans toute la région et des villes entières s’effondrent. En outre, la région possède également de nombreuses ressources naturelles : charbon, gaz naturel, or, diamant et minerai de fer. Et contrairement à d’autres régions couvertes de permafrost comme l’Alaska et le Groenland, Claverie affirme que la Russie a été plus active dans l’exploitation de ces sols : « Ils creusent des trous partout ». Une exploitation des profondeurs qui inquiète le chercheur quant à la démultiplication des risques d'interaction humaine avec d'anciens agents pathogènes potentiellement dangereux.
Risques de propagation de virus par inadvertance
Jean-Michel Claverie souligne le dilemme intrinsèque à la recherche : traquer la prochaine grande menace pour l’humanité pourrait propager le danger par inadvertance. Pourquoi prendre le risque de réanimer ces virus « zombies » plutôt que de les étudier « endormis » ? Pour travailler sur des vaccins et nouveaux antibiotiques qui permettront de les combattre, selon les chercheurs. Une opération qui n'est pas sans risque. Au-delà du danger à réanimer des virus, il existe aussi un risque de contamination lors des expéditions. C’est pourquoi certains commencent à préconiser des approches moins proactives. « Ce serait bien d'établir une méthode spécialisée pour suivre la population inuite, par exemple, pour voir quels types de maladies elle contracte », explique le virologue. « Et si quelque chose vient du permafrost, nous pourrons l'attraper beaucoup plus rapidement. » Consciente du risque et craignant que la recherche elle-même ne déclenche une pandémie, l’Agence des États-Unis pour le développement international vient d'abandonner un projet de 125 millions de dollars visant à traquer les virus en Asie du Sud-Est, en Afrique et en Amérique latine.
Une surveillance accrue
Les dangers liés aux agents pathogènes dormants font l'objet d'une surveillance particulière. Depuis que la pandémie de Covid a paralysé le monde pendant des mois, les efforts n’ont fait que s’intensifier. Les agences de santé mondiales et les gouvernements surveillent les maladies infectieuses inconnues contre lesquelles les humains n’auraient ni immunité ni traitement médicamenteux. « L'OMS travaille avec plus de 300 scientifiques pour examiner toutes les familles de virus et de bactéries susceptibles de provoquer des épidémies et des pandémies, y compris celles qui pourraient être libérées lors du dégel du permafrost », a déclaré la porte-parole de l'OMS, Margaret Harris.
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