
Notre empreinte carbone serait-elle une mesure perfectible ? Certains experts le pensent et proposent une alternative pertinente. Explication.
Le terme « ombre climatique » a été popularisé par la journaliste climatique Emma Pattee en 2021. À l'inverse de l'empreinte carbone, l'ombre climatique ne repose pas sur des critères quantifiables mais sur la somme de nos choix et leur influence, directe et indirecte. Pour illustrer son propos, la journaliste prend l'exemple suivant : considérez deux personnes, l'une prend l'avion chaque semaine pour le travail ; l'autre vit dans un studio et se rend au bureau à pied tous les jours. En apparence, il est simple d'identifier qui a la plus grande empreinte carbone. En effet, lorsque l’on compare un vol hebdomadaire à la consommation d’énergie d’une maison et aux émissions d’un trajet quotidien à pied, le résultat semble évident. Il le sera moins si l'on précise que la personne qui voyage à travers le monde est un climatologue se déplaçant pour informer sur les dangers du changement climatique et que la deuxième travaille pour une agence de marketing et réalise des publicités pour une compagnie pétrolière. Qui contribue réellement le plus à l’urgence climatique ?
L'ombre climatique, une mesure plus complète ?
Selon Emma Pattee, l'ombre climatique est composée de trois parties : consommation, choix et attention. La consommation intègre les attentes en matière de style de vie (climatisation, transports, alimentation...) ainsi que la participation à la culture de consommation (publication de nouveaux achats sur Instagram, fast fashion, économie circulaire...). Les choix incluent la manière dont on dépense et investit son argent (nombre d’enfants et d’animaux de compagnie, type d’entreprise pour laquelle on travaille...). L'attention est probablement la composante la plus nébuleuse, mais peut-être la plus importante : dans quelle mesure notre attention est-elle concentrée sur la crise climatique ? Combien d’heures consacrons-nous à soutenir des causes climatiques et à en informer les autres ? Est-ce au moins autant que ce que nous consacrons à regarder Netflix, planifier nos prochaines vacances ou faire du shopping ?
Réfléchir aux « ondulations » que nous créons
En intégrant des aspects comme le travail, le vote, la façon dont nous investissons notre argent, notre engagement, le nombre de nos enfants, la notion d'ombre climatique permet une approche holistique, prenant en compte notre impact dans sa globalité plutôt que de manière morcelée. Au lieu de se concentrer uniquement sur des mesures telles que la sobriété énergétique, la réduction de la consommation de viande ou la limitation des voyages en avion, l’ombre climatique nous invite à réfléchir aux « ondulations » que nous créons par l'ensemble de nos actions et comportements quotidiens qui sont ainsi envisagés comme autant de formes d'engagement permettant de réduire nos émissions et de générer une demande pour des options plus durables. Autant d'actions capables d'influencer des « comportements contagieux » (des études ont montré que certaines actions, comme l’installation de panneaux solaires sont « socialement contagieuses » ) et de générer un effet domino contribuant à un changement sociétal systémique.
L’empreinte carbone, symbole d'une supercherie ?
Pour Emma Pattee, le concept d'empreinte carbone ne suffit pas à donner une image précise de notre véritable impact. Mais rien de surprenant selon la journaliste puisque le concept en lui-même relèverait d'une stratégie rhétorique de l’industrie pétrolière destinée à faire porter la charge de la réduction de la pollution et des émissions de gaz à effets de serre aux individus. Les campagnes de communication « Beyond petroleum » ou « Helios Power » du géant British Petroleum illustrent comment, à travers des publicités valorisant l’importance des gestes individuels, BP (mais aussi Total ou ExxonMobil), sont parvenus à déplacer la responsabilité du problème climatique vers le consommateur. Une stratégie que certains chercheurs ont baptisée : l’agentivité capitalistique. « Endossant l’image environnementaliste et se retirant du problème, le géant pétrolier restreint la capacité des gens à penser d’autres formes d’actions environnementales au-delà de la consommation, et donc, de la croissance économique. Il circonscrit ainsi l’individu et sa responsabilité envers les changements climatiques dans des logiques de marché, réduisant les possibilités de transformation systémique », explique Sarah M. Munoz, Doctorante en science politique et spécialiste de l’adaptation aux changements climatiques et auteur de Climat : comment l’industrie pétrolière veut nous faire porter le chapeau.
Selon Emma Pattee, encourager les personnes soucieuses de l’environnement à se focaliser sur l'empreinte carbone comme unique « guide » dans la lutte contre le changement climatique, induit un risque : qu’elles dépensent toute leur énergie dans des actions individuelles à faible impact et faciles à quantifier (recyclage, extinction des lumières...), réduisant ainsi les possibilités de transformation systémique rendue possible par des actions plus larges et significatives. « En promouvant l’empreinte carbone comme la chose la plus importante sur laquelle les citoyens concernés doivent se concentrer, l’industrie des combustibles fossiles a veillé à ce que nous ne consacrions pas notre énergie à ce qui compte vraiment : l’action collective et l’activisme », indique Emma Pattee. Pour vous en convaincre, imaginez si Greta Thunberg avait décidé de consacrer son attention à passer moins de temps sous la douche ou à renoncer aux produits laitiers au lieu de créer #FridaysforFuture ?
Bonjour,
C'est grâce à des gens comme Greta Thunberg que la Terre n'est pas totalement détruite ! Rien qu'en France, il y a beaucoup de gens à critiquer, en particulier tous ceux qui pratiquent le greenwashing et la politique pseudo-écologique !
L'approche de Pattee sent le militantisme politique à plein nez, celui qui considère que les entreprises sont les méchants et les consommateurs-citoyens les gentils. On n'y arrivera pas en pensant comme cela. Elle a tout faux en affirmant que les entreprises comme BP déplacent la responsabilité vers le consommateur. Consommateurs, entreprises, pouvoir publics, on est tous dans le même bateau. Les maillons de la même chaine. Une entreprise qui construit sa trajectoire de lutte contre le changement climatique peut définir toute une batterie d'action qui ne nécessitent pas la collaboration des consommateurs, mais doit aussi les embarquer dans cette trajectoire en les sensibilisant et en les incitant pour les faire adhérer et participer à d'autres actions qui ne peuvent se réaliser sans eux, et pour amplifier la trajectoire qu'elle initie elle-même. Si une entreprise met sur le marché des solutions, cela ne sert à rien si les consommateurs ne suivent pas. Cela donne juste, à court terme, l'opportunité à des concurrents moins vertueux de prendre le dessus, avec le risque de voir l'entreprise la plus vertueuse disparaitre, et donc laisser le marché à l'entreprise qui ne veut pas avancer sur le sujet climatique.
Pattee est bien un "fiction writer" dont l'agenda est avant tout politique, et très peu environnemental ou climatique.
Bonjour, très éclairant pour un article qui porte sur l'ombre. Il faut faire avancer les comportements et la conscience collective. Le secteur de la communication n'apporte pas beaucoup de pierres à l'édifice. Faisons évoluer notre métier ou bien vaut-il mieux en changer? Merci pour votre article.