
Claire Monteleoni est une pionnière qui propose des solutions concrètes au réchauffement climatique. Rencontre avec cette chercheuse américaine, aujourd'hui à l'Inria Paris, à l'origine du concept d'informatique climatique.
ARCHES, comme AI Research for Climate CHange and Environmental Sustainability. C’est le nom qu’a choisi Claire Monteleoni pour son équipe projet à l’Inria (Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique), fidèle à son intuition de jeune chercheuse qui percevait tout le potentiel du machine learning dans la lutte contre le changement climatique. Dès 2007, elle théorise pour la première fois le concept d’informatique climatique (climate informatics), pour mettre les progrès de l’intelligence artificielle au service des sciences du climat. Quinze ans plus tard, la voici installée en France, titulaire de la chaire Choose France AI et directrice de recherche au Centre Inria de Paris. Nous avons rencontré cette scientifique pionnière, concernée et engagée en faveur de la justice climatique, pour qui la technologie, même si elle avance très vite, ne doit pas servir d’excuse à l’inaction politique. Interview.
En 2007, vous faites la connaissance de Gavin Schmidt, climatologue à la NASA, et vous lui proposez d’utiliser le potentiel du machine learning pour enrichir la science du climat. Pouvez-vous nous raconter cette rencontre ?
Claire Monteleoni : J’étais jeune chercheuse en IA et machine learning à Columbia University. Gavin Schmidt et moi nous sommes rencontrés au département d'informatique, où il était venu faire un séminaire, afin d’ouvrir des perspectives de collaboration. Ceux qui y assistaient étaient des chercheurs confirmés – des hommes d’un certain âge – et semblaient assez peu motivés par le sujet – je pense qu’ils étaient là surtout parce que leur chef le leur avait demandé ! Moi, au contraire, j’étais très intéressée. Et à chaque fois que Gavin posait une question, je levais la main : « Avez-vous pensé au machine learning pour cela ? »
Nous avons déjeuné le jour même, en imaginant immédiatement nos premières collaborations. Notre premier papier a reçu un prix en 2010, et nous avons lancé en 2011 une conférence annuelle (ndlr : International Conference on Climate Informatics) sur la question. Notre approche a très vite intéressé le GIEC, car elle permettait par exemple de mieux agréger les projections et les prédictions issues de pays différents, donc de modèles différents.
Est-ce à cette occasion que vous avez eu l'idée de « l’informatique climatique », une discipline à la croisée de la climatologie et de l'intelligence artificielle ?
C. M. : Non, j’y avais déjà pensé avant. J’ai étudié le changement climatique à l’université, et l’informatique y tenait déjà une place importante pour comprendre les modèles et les simulations réalisées par les super computers. Ce sujet m’a passionnée et j’ai décidé de faire mon doctorat en informatique, avec une spécialisation en algorithmie et IA. En 2007, alors que je candidatais pour un poste permanent d’enseignant-chercheur, j’ai développé cette idée d’informatique climatique dans mon projet. Elle n’existait nulle part, n’avait fait l'objet d'aucune publication. J’étais très inspirée par ce qui se faisait en bio-informatique, qui mettait l’apprentissage automatique au service de la biologie. J’avais envie de faire la même chose pour les sciences du climat, avec un focus sur le changement climatique.
Que peuvent nous apporter l'IA et le machine learning dans la compréhension du changement climatique ?
C. M. : La science du climat se caractérise par l’immense quantité de données à disposition : celles issues de l’observation, mais aussi celles simulées par les grands modèles de physique. Mais une telle quantité de données est difficile à appréhender par l’esprit humain. En ce sens, l'intelligence artificielle est un outil efficace, plus rapide et moins coûteux, pour analyser ces données et mieux comprendre le changement climatique à grande échelle.
Mais l’IA peut aussi nous aider à court terme dans l'adaptation climatique, afin de mieux prédire les évènements extrêmes, dont nous savons que la récurrence augmente. Ces enjeux d'adaptation climatique demandent de s’interfacer avec la société, et de savoir travailler vers plus d'égalité et d’équité. Car il est essentiel de tenir compte de ce qu’on appelle l’injustice climatique. Par exemple, dans les pays les plus développés, les projets et les usines les plus polluants sont souvent placés près des communautés les plus pauvres, ou celles qui n’ont pas le pouvoir de s’y opposer. La santé publique peut être très abaissée du fait de ces injustices environnementales et climatiques. J’en connais bien les enjeux aux États-Unis et commence à les comprendre pour l’Europe. Si je développe un outil d’intelligence artificielle pour mieux prévenir les communautés du chemin d’un incendie de forêt, je dois prioriser les communautés qui doivent évacuer parce qu’elles sont dans un schéma de parcours probable. Mais je dois aussi considérer celles qui, en raison d’un héritage d’injustice environnementale, ont des conditions préexistantes les rendant plus vulnérables encore. Il faut donc travailler avec les communautés.
Enfin, avec la compréhension et l’adaptation, l’atténuation du changement climatique est un troisième axe de travail. Que peut-on faire pour éviter les risques sur le changement climatique dans le temps long, notamment en réduisant les émissions de carbone ? Ici, nous poursuivons deux objectifs : aider à l'accélération de la transition vers les énergies renouvelables, et comprendre comment l’utilisation des terres impacte les émissions de GES.
Le premier axe est plus avancé. Nous avons démontré que l’IA était capable de prédire l’ensoleillement, dans un lieu donné et pour la semaine suivante, mieux que les modèles de météo physique. Travailler à réduire l’incertitude sur les énergies renouvelables revient à en réduire les coûts, et dans un système capitaliste, cela revient à en encourager l’adoption. Nous collaborons avec le National Renewable Energy Laboratory (NREL) aux États-Unis et EDF en France. Avec EDF, nous travaillons à comprendre et à prédire les modifications de la route des vents issus du changement climatique. Car ces changements auront des conséquences sur les éoliennes, à la fois sur leur emplacement, leur technologie et la gestion des opérations. Même chose pour les patterns de température et d’ensoleillement, qui auront un impact sur les panneaux photovoltaïques. Pour l’usage des terres, et leurs effets sur le bilan carbone, nous « designons » actuellement plusieurs projets en collaboration avec Météo France et l'Institut Pierre-Simon-Laplace (IPSL Science du Climat). Par exemple, avec l’un de mes étudiants au Colorado, nous voyons comment le machine learning peut aider à opérer des feux de forêts préventifs.
Y a-t-il des projets et des cas sur la biodiversité ?
C. M. : C’est un champ moins avancé que le nôtre, mais quelques initiatives autour de la biodiversité apparaissent. J’ai contribué à un white paper à ce sujet, et participé à une conférence à Harvard l’année dernière, où de grands parcs animaliers en Afrique avaient envoyé leurs représentants. On peut ainsi croiser à la fois des données issues de l’imagerie satellite, par exemple pour compter les animaux à grande échelle, et des « camera traps » (pièges photographiques) pour observer des comportements à l’échelle locale et individuelle.
À quoi doit-on être vigilant quand on utilise ces technologies contre le changement climatique ? Quels sont les pièges à éviter ?
C. M. : Tout d’abord, ne pas considérer l’IA comme une panacée, la solution à tout. Ces technologies peuvent aider, mais elles ne se substituent pas à l’action. Il est important que les politiciens agissent pour lutter contre le changement climatique.
Aussi, il faut veiller à ne pas augmenter les disparités déjà existantes, avec des outils d’aide à la décision inadaptés. Car le changement climatique accentue déjà les inégalités : qualité de l’air, températures, extrêmes climatiques… Quand des populations doivent quitter leurs terres d’origine pour cause d’inondations, et que d’autres doivent les accueillir, on comprend bien que les communautés doivent collaborer. Le principal piège serait sans doute de croire en la seule capacité technologique de l’IA, sans considérer les besoins humains.
En tant que chercheuse américaine, quel regard portez-vous sur l'écosystème IA en France et en Europe ?
C. M. : La France et l’Europe sont très bien perçues à l’international dans ces domaines. Les centres Inria sont réputés dans le champ informatique. Je vois ici beaucoup de jeunes étudiants bien formés pour faire de l’informatique et de l’IA parce que leur formation en mathématiques est solide. Dans les entreprises aussi, les progrès sont rapides car elles ont accès à de très grandes ressources digitales. Des entreprises comme Google ou Meta ont aussi installé des centres IA en Europe, etc.
La ville de Boulder dans le Colorado, où j'ai vécu, est réputée pour l’étude de la science du changement climatique. Elle accueille le National Center for Atmosphere Research (NCAR), et le NREL. Si, aux États-Unis, les financements pour la recherche sur le changement climatique sont actuellement à des niveaux très élevés, je pense toutefois que ceux-ci sont plus à risques là-bas qu’ici, parce que le climatoscepticisme existe au plus haut niveau et que l’orientation politique peut basculer tous les quatre ans. En Europe, la plupart des gouvernements croient au réchauffement climatique. C’est aussi pour cela que je suis venue.
Cet article reste a mon avis un peu trop théorique , cela manque d'exemples concrets d'application.
Bonjour, j'invite Claire M à vite consulter les vidéos des conférences d'Aurélien Barrau. Elle y découvrira qu'elle n'est pas la/une solution mais le problème. Bien à vous
Spoiler : Non
De grace arrêtons cette mantra "sauvons la planète". Le réchauffement climatique et l'augmentation du CO2 ou même du méthane, la planète s'en fout.A certaines périodes du crétacé on estime à 250 fois la concentration alors du C02 d'où d’ailleurs une végétation luxuriante. Alors soyons plus objectifs: ce n'est sûrement pas la planète qui est en danger, mais beaucoup plus vraisemblablement l'humanité.
Spolier : Non
L'IA et son utilisation à tout va devient l'une des causes de l'effondrement des modèles sur lesquels elle est censée "donner" des réponses. Elle participe à la course à la production énergétique, à celle des matières premières et au stress hydrique !
Après Bitcoin qui fut un mot dans la bouche d'un nombre incroyable de personnes dont des journalistes qui en vantaient l'utilité en omettant l'impact, l'IA est l'expression à la mode qu'il faut prononcer pour être ou paraître "IN"... et toujours en omettant les impacts...
Vraiment, désolant...
Tout à fait d'accord avec le commentaire précèdent. je pense que toujours plus de technologie n'est pas la solution mais en grande partie le problème. Si on ne veux rien changer à nos modes de vie occidentaux, essayer de disposer d'une énergie inépuisable et bon marché, alors ... ce n'est pas la technologie qui pourra sauver la planète, bien au contraire.
M. Barrau met en lumière le poids de nos sociétés "évoluées" sur les ressources planétaires (entre autres). Si nous étions seulement 1 milliard d'humains vivant dans des huttes, il n'y aurait pas de problème. De son propre aveu, il n'a pas de solution toute faite aux différents problèmes que nous rencontrons/allons rencontrer. Cependant, si les perspectives qu'il propose ne conviennent pas a certain(es), vous ne pouvez pas leur reprocher de tenter de résoudre l'équation (bien plus compliquée, certes) d'une humanité technologique et énergétique à 10 milliards d'êtres.
Plein de perspective sur les évolutions jusque là assez peu prévisibles.... Il y a encore du travail de conviction à faire.