
Le texte final de la COP28 mentionne pour la première fois l'objectif d'une sortie des énergies fossiles. Salué comme une avancée par certains, critiqué par d'autres, cet accord est-il aussi historique qu'insuffisant ?
Alors que la COP28 avait lieu aux Émirats arabes unis, l’un des plus grands pays producteurs d’hydrocarbures, elle a débouché, sur un engagement des États à opérer une « transition hors des énergies fossiles d’une manière juste, ordonnée et équitable, en accélérant l’action dans cette décennie ». Un signal politique et économique inédit, qui marque le début de la fin des énergies fossiles. Invité à rejoindre la délégation économique du président de la république, Alexis Normand, cofondateur de Greenly a pu assister aux conférences et a été témoin des différentes rencontres. Selon lui, « La COP28 est devenue une espèce de CES du climat. »
Le document final de la COP28 parle de « transition hors des énergies fossiles ». Certains trouvent que l’expression n'est pas « pas suffisamment engageante ». Partagez-vous cet avis ?
Alexis Normand : C’est une question de perspective. On peut voir le verre à moitié vide où à moitié plein. À part les pays pétroliers, tout le monde est d’accord pour dire qu’il faut sortir des énergies fossiles. En français, « phasing out from fossil fuels » (élimination progressive des combustibles fossiles) ou « transition away from fossil fuels » (transition vers l'abandon des combustibles fossiles) signifie la même chose. L’enjeu était de trouver un wording qui permette d’obtenir l’accord des pays pétroliers pour qui le terme phasing out, est interprété comme une condamnation à mort pour leur économie. La différence entre les deux termes revient à se dire : est-ce qu’on arrête totalement ou est-ce qu’on réduit ? C’est du langage de diplomates, mais à la fin ça dit la même chose. On va réduire progressivement jusqu’à l’arrêt.
Pensez-vous qu'on se focalise trop sur les éléments de langage, éléments résultant d'un subtil jeu d'équilibres de la part des diplomates ?
A. N : Ça fait 40 ans qu’on sait qu’il faut sortir des énergies fossiles mais maintenant ce sont des pays et des gouvernants qui le disent. C’est le talent des diplomates d’avoir trouvé un élément de langage où chacun comprend ce qu’il veut comprendre. À mon sens, l’intérêt est de fixer un socle de légitimité. Je compare un peu ça aux accords d’Helsinki de 1975 où l’Union soviétique a reconnu l’importance des Droits de l’Homme. Ce qui ne signifie pas pour autant qu'elle les respecte. En revanche, ça a donné des arguments à tous ceux qui étaient pour leur extension et ça a fragilisé l’Union soviétique. Donc si on fait une analogie : quand vous avez un document qui demande l'arrêt des énergies fossiles, ça fixe un cap et c'est un signal fort. Il y aura bien sûr ceux qui prennent le contre-pied mais ça met le sujet au centre du débat et oblige à se positionner.
Énergies renouvelables, méthane, nucléaire... Quelles sont les mesures clés ?
A. N : Les États se sont entendus sur un objectif mondial de triplement des capacités d’énergies renouvelables et de doublement des gains en efficacité énergétique d’ici à 2030. Les entreprises pétrolières, qui jusqu'ici ne torchaient pas le méthane qui s'échappe des forages pétroliers, ont pris des engagements sur une réduction du méthane qui représente à peu près 30 % du potentiel de réchauffement climatique. C'est un premier pas. Quant au nucléaire, il est désormais officiellement reconnu comme une des solutions pour limiter l’émission des gaz à effet de serre et la hausse des températures. La coalition autour du nucléaire est une initiative portée par la France. D'ailleurs, j'ai trouvé la France assez précise dans ses engagements. En tout cas plus que l'Inde ou les Anglais qui valident mais qui dans le même temps augmentent leurs centrales à charbon. Ils sont moins crédibles. Je prêche un peu pour la France mais je pense sincèrement qu'on est leaders sur ce type de sujet. Si on regarde ce qui se passe en France, uniquement entre Français, c'est normal qu'on mette le doigt sur ce qui ne marche pas. Mais si on compare, on constate qu'il y a une prise de conscience beaucoup plus forte en France qui nous permet de faire preuve de leadership. C'est un peu la phrase de Talleyrand : « Quand je me regarde je me désole, quand je compare je me console. »
La porte ouverte au captage et au stockage du carbone est considérée par certains comme un frein à la réduction. Qu'en pensez-vous ?
A. N : Il est clair que nous avons besoin de solutions technologiques mais dire que c'est la seule voie est contre productif. Quand on s'intéresse au sujet, on comprend qu'on est face à 95 % à un problème de réduction et à 5 % de compensation. En outre, je pense que les technos ne sont pas suffisamment matures, parce que compenser coûte très cher (jusqu’à 1000 euros la tonne pour des projets de capture en plus plein air – direct air capture (DAC). Il y a des solutions non technologiques qui sont les forêts, mais là non plus ce n'est pas la panacée. D'abord, parce que faire pousser des arbres prend du temps, et ensuite parce qu'une partie des projets de compensation sont des projets d'évitement d'émissions futures sur la base de scénarios fantaisistes. En outre, les forêts françaises, hors nouvelles plantations, ont tendance à relâcher plus de carbone qu'elles n'en capturent. La promotion de la compensation ne doit donc pas se faire aux dépens de la réduction. Les entreprises qui misent sur la compensation en priorité, plutôt que sur la réduction, démontrent une compréhension très superficielle de la problématique. Sur ce sujet, entre la France et les États-Unis on constate un choc culturel. En France, ce que je dis est assez banal et l'idée de réduction est intégrée. Aux USA quand j'explique ce que fait Greenly, ils pensent immédiatement qu'on vend de la compensation. Ils n'envisagent même pas qu'on œuvre pour la réduction.
Il n'y a pas eu d'avancée sur les marchés carbone. Comment expliquez-vous cet échec ?
A. N : Il est nécessaire de réglementer le marché du carbone et il y a vrai un sujet de notation de la qualité réelle des projets. À ce jour, il existe deux marchés du carbone. Le marché obligatoire pour les sites hautement émissifs avec un système de taxe carbone qui fluctue en fonction de l'offre et la demande et le marché volontaire qui recoupe des réalités très différentes où chacun décide ce qu'il va financer. Même s’il existe des organismes de certification qui évaluent ce que doit être un bon projet de compensation (mesurable, auditable...), il faudrait un système de reporting systématique soumit à des règles. On pourrait faire une analogie avec les investissements ESG qui ont longtemps existé sans être réglementés. Le sujet n'est peut-être pas assez mûr pour être régulé. Ça sera peut-être le sujet d'une prochaine COP.
C'est la première fois que l'agriculture et l'alimentation sont mentionnées dans un texte de la COP. Pourtant, on ne mise pas sur la réduction de la consommation (viande, produits laitiers...) mais plutôt sur les technos. Bonne ou mauvaise chose ?
A. N : L'agriculture produit un tiers des GES au niveau mondial et la viande à peu près 10 %. Il est donc évident que les changements qui ont le plus d'impact immédiat concernent la réduction ou l'arrêt de la consommation de viande. Ce n'est pas mentionné dans le texte parce que beaucoup de pays en développement sont des pays agricoles. C'est un texte politique, consensuel et la COP n'est peut-être pas le meilleur endroit pour réguler ces sujets. En matière d'efficacité, je crois plus aux réglementations européennes qui ont une portée extraterritoriale comme le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières ou le reporting CSRD. Bien sûr, l'un n'empêche pas l'autre mais l'impact d'une réglementation européenne à la portée extraterritoriale est à mon sens beaucoup plus efficace qu'un bout de phrase dans le document final de la COP.
À la COP, on parle de climat mais quid de la biodiversité ?
A. N : Concernant le climat il est encore possible de réussir à limiter le réchauffement. C'est un problème qui peut trouver des solutions et qui est en partie réversible (même si certaines choses sont irréversibles). En revanche, il est beaucoup plus difficile de s'adapter à la destruction de la biodiversité. Le sujet de la biodiversité a été évoqué, notamment par la délégation française. Mais tous les pays n'en sont pas au même niveau de maturité sur le sujet. En France, nous avons une agence de la biodiversité ce qui est une chose assez rare. Cette COP a permis de reconnaître que la Nature est une alliée inestimable dans la lutte contre le changement climatique et l’outil le plus efficace et le plus modulable pour s’adapter à ses conséquences.
Pour finir, qu'avez-vous appris à la COP ?
A. N : À travers la concrétisation du fonds pertes et dommages, les initiatives pour recanaliser l’aide publique au développement vers la transition énergétique pour permettre une équivalence entre la lutte pour le climat et la lutte contre la pauvreté, j'ai pris conscience de la nécessité de mutualiser l'ensemble des aides pour lutter contre le dérèglement climatique de manière équitable et juste. Pour finir, en tant que témoin et parfois acteur des échanges entre dirigeants politiques et chefs d’entreprise, venus des quatre coins monde, j’ai été sidéré de voir se former à la COP une communauté mondiale et aussi une forme de consensus, sur un sujet où il va de notre survie. Les États ne peuvent pas tout. Les entreprises doivent agir d’urgence, mais elles n’arriveront a rien sans un cadre plus propice. Réunir tous les acteurs et aligner leurs actions pour réduire nos émissions est le grand défi de notre siècle.
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