Comment le Raptor Dissident a embrigadé toute une génération de collégiens sur YouTube

Comment un youtubeur au contenu « edgy » a pu pousser des centaines de milliers d’adolescents vers une idéologie d’extrême droite radicale ?

« Je n’ai pas découvert le Raptor Dissident de manière organique, c’était surtout par le bouche-à-oreille en 4e. On me parlait d’un mec hyper drôle qui tacle tout le monde et qui apporte du fond à des propos qui ne sont pas du tout consensuels. En le voyant, j’ai eu une révélation. Je vois un mec qui remet à leur place des gens qui se sentent appartenir à l’élite alors qu’ils disent des conneries. » Dans sa vidéo intitulée Quand Internet m’a (presque) fait voter Zemmour, le jeune youtubeur Willane revient sur l’émergence du Raptor (anciennement Raptor Dissident), une figure essentielle de la fachosphère des années 2010. Ce regard dans le rétroviseur permet de raconter un moment particulier de l’histoire de YouTube, mais aussi de comprendre comment un simple vidéaste a pu avoir autant d’influence sur toute une génération d’adolescents. 

Pourquoi ça marche aussi bien ?

Apparue sur YouTube en février 2015, la chaîne du Raptor Dissident était tenue par Ismaïl Ouslimani, un jeune homme de 22 ans à l’époque, qui entamait ses études d’ingénieur. Son format typique consistait à reprendre des extraits de reportages, d’interviews ou d’autres vidéos YouTube sorties de leur contexte et de s’en moquer à coups de mèmes, d’insultes et d’appels au « bon sens ». Ses cibles préférées ? Les « bobos gauchistes », les féministes, et tout ce qui touche de près ou de loin à une minorité tentant de faire entendre sa voix sur les réseaux. Son ascension sera fulgurante avec plus de 300 000 abonnés en 2016, 500 000 en 2017 et 719 000 abonnés en 2023. 

Comment un anonyme a-t-il pu monter une communauté de viewers aussi importante ? Pour Willane, il a coché toutes les cases qu’un collégien pouvait chercher à cette époque, à savoir une grande liberté de ton et des coups de pied constants dans la fourmilière. « Il mettait les doigts sur des choses qui paraissaient ridicules et indéfendables, sans vraiment porter de discours politique, explique-t-il. Pour choper des gamins de 14 ans et les inciter à te suivre pendant des années, il faut avant tout mettre en avant le divertissement. Il faisait passer le fond de ses idées pour du bon sens et la forme pour de l’humour, et tout ça devenait très naturel. »

Avaler la red pill

Le premier piège de ce format, c’est bien évidemment l’agressivité ciblée dont fait continuellement preuve le Raptor. Ce dernier s’est attaqué à des personnalités politiques comme Rokhaya Diallo, mais aussi à des créateurs de contenu comme Marion Seclin ou Dany Caligula qu’il insulte publiquement. Son public va le suivre et l’on va assister à de véritables campagnes de harcèlement ciblées sur une personne. « Il a fait en sorte que son agressivité devienne quelque chose de normal pour tous les gens qui le suivaient, poursuit le youtubeur. Vu de l’intérieur on avait l’impression d’avoir des vidéos bon enfant, totalement dépolitisées et qui ne faisaient que s’attaquer au ridicule de certaines personnes. C’était une manière d’exercer sa liberté d’expression sans entrave. La moindre critique à son encontre devenait une tentative de le censurer ».

L’autre piège du Raptor, c’est bien évidemment le glissement idéologique menant directement à l’extrême droite, sous couvert de bonne rigolade. C’est exactement le même principe de la red pill du mouvement américain de l'altright qui convertissait des jeunes dépolitisés aux idées les plus radicales à coups de mèmes et de blagues « edgy » (comprenez ici, un humour noir et jouant avec les frontières du racisme ou de la misogynie). Quand on l’écoute, le Raptor nous fait continuellement la leçon, indique Willane. Il n’est pas seulement en désaccord, il fait une opposition musclée et frontale. Il nous invite à être comme lui, à embrasser son point de vue. Comme la plupart de ses propos se veulent dépolitisés, on ne les conscientise pas de la même manière et ça leur permet d’avoir plus d’impact. » S’ajoute à cela une parfaite chambre d’écho. Sur YouTube, les vidéos du Raptor menaient alors à d’autres chaînes comme celle de Code Reheno (un amoureux des armes à feu), Papacito (critique agressive et humoristique de la gauche) ou bien encore Stéphane Édouard (coach en séduction ultra-misogyne). Comme à l’époque de la montée en puissance de Donald Trump, cette chambre d’écho a donné envie à toute une génération qui a forgé ses opinions politiques sur les réseaux à s’approcher dangereusement des idées d’extrême droite. 

L’après YouTube pour le Raptor

Heureusement pour lui, Willane ne regardait pas que le Raptor. D’autres discours politiques, venant par exemple du rap ou d’autres youtubeurs et streameurs comme Usul ou Dany et Raz l’ont empêché de plonger. Aujourd’hui, Le Raptor ne produit plus de vidéos et s’est reconverti en vendeur de compléments alimentaires et de fiches PDF de coaching pour les gens voulant faire de la musculation. Comme Papacito, il continue de s’adresser à sa communauté de fans la plus resserrée via un podcast, bien moins visible. Est-il pour autant hors d’état d’influencer des jeunes ? Pas vraiment puisqu’il suffit de faire un tour sur TikTok pour tomber rapidement sur des centaines d’extraits de ses monologues qui sous couvert de coaching, tombent systématiquement dans un discours populiste et misogyne. En Grande-Bretagne, des professeurs de primaires ont tiré la sonnette d’alarme en indiquant que des enfants de 9 ou 10 ans répétaient les discours de l’influenceur ultra-sexiste Andrew Tate. Le même phénomène pourrait très bien se répéter en France.