Illustrations de couverture du livre Les villes de demain

À quoi ressemblera la ville du futur ?

La ville du futur pourrait être à la fois connectée et végétalisée, automatisée et nourricière, intelligente et résiliente.

Dans Les villes de demain (sorti en novembre 2022 chez Michel Lafon), le journaliste Arnaud Pagès dépeint une ville ultra-connectée, automatisée, intelligente, mais aussi végétalisée, nourricière et résiliente. Pour cela, il s'est appuyé sur les témoignages d’architectes visionnaires, de prospectivistes et de penseurs comme Philippe Starck ou Alain Damasio et sur le travail d'analyse des tendances et signaux faibles qu'il mène depuis plusieurs années. Interview d'Arnaud Pagès, qui présente un scenario optimiste qui n'exclut toutefois pas les dangers du techno-capitalisme.

En quoi la ville serait-elle un levier pour résoudre les grands enjeux d'aujourd'hui ?

Arnaud Pagès : Le défi est multiple : à la fois climatique, humain, technologique. Les villes émettent 70 % des émissions de CO2 dans le monde et consomment 66 % des ressources énergétiques. La ville est l’objet le plus polluant conçu à ce jour : entre pollutions liées aux transports, à la consommation des biens et services et à la consommation d’énergie, les villes sont de véritables propulseurs d’émission de CO2. Dans le contexte actuel d'accélération du réchauffement climatique, résoudre les problèmes que pose la ville c’est déjà solutionner une grande partie de l’enjeu. Par ailleurs, nous concevons toujours les villes selon un modèle industriel, hérité du 19ème siècle : le résultat est profondément inhumain, un espace de rejet, d'exclusion et de solitude. Au-delà de la lutte contre le réchauffement climatique, il faut donc réhumaniser les villes pour en faire des espaces agréables à vivre. Notons que nous serons de plus en plus nombreux à les habiter dans les années à venir. Au niveau mondial, il y a actuellement 55 % de citadins. Selon les Nations-Unis, nous serons près de 10 milliards en 2050, dont 70 % de citadins. Il faut noter aussi qu’à ce jour les villes concentrent la grande majorité richesses : l’Île-de-France accumule un PIB de 700 milliards d’euros par an, soit 33 % du PIB français. C’est dire la force de frappe des grandes villes.

L'ONU a récemment mandaté l'université de Liverpool pour rendre les villes plus propices à la vie en communauté. Que se passe-t-il en France à ce niveau ?

A. P : Il n'y a pas encore d'initiatives harmonisées et globales, mais des prises de conscience au niveau des mairies qui espèrent favoriser la mixité sociale et rompre l’isolement. Cette ambition s’inscrit notamment dans le concept de « la ville du quart d'heure » proposée par l’urbaniste franco colombien Carlos Moreno, qui porte l’idée d’une ville plus homogène en termes de répartition des services. À Paris, il y a de nombreuses initiatives ; on peut citer celle des cours Oasis qui ouvrent les cours d’écoles après les classes afin que les gens d'un même quartier puissent se rencontrer et pratiquer des activités ensemble.

Incontestablement, la ville du futur devra être plus verte. Cela passera par quoi ?

A. P : Des initiatives sont en cours dans toutes les grandes mégalopoles au niveau mondial, où l’on observe une multiplication des parcs et jardins. La végétalisation des bâtiments – certes encore timide à Paris qui demeure une ville très minérale – est aussi à l’œuvre pour permettre de refroidir bâtiments et espaces publics tout en décarbonant l’atmosphère par le biais de la photosynthèse. Cela permet également de lutter contre l’artificialisation des sols. Cette transformation est appuyée par le développement de l’agriculture urbaine : les villes dépendent à 90 % des zones rurales pour leur alimentation, et le réchauffement climatique va drastiquement faire baisser le rendement des récoltes. C'est un phénomène qui est déjà à l’œuvre avec les multiples sécheresses qui impactent la production agricole. Demain, l’insécurité alimentaire pourrait être généralisée. Elle pourrait cependant être freinée grâce à ce type d’agriculture. La végétalisation et l'agriculture urbaine font revenir en ville tout une série d’espèces animales en ville (insectes, reptiles…). C'est un phénomène qui est actuellement soutenu par les municipalités. Tout cela mène à un modèle de ville renaturée. C’est le cas par exemple de Singapour, qui a une longueur d’avance sur ce sujet.

Couverture par Enki Bilal

Vous imaginez aussi une ville qui exploiterait les données ?

A. P : Le concept de smart city, qui est né dans les années 2000, a pris un sérieux coup dans l’aile avec le pillage des données personnelles par les GAFAM. Néanmoins, le numérique est désormais complètement imbriqué dans nos vies, et donc dans nos villes. Avec le développement des réseaux 5G, le perfectionnement des algorithmes et la multiplication des applications, cela n’ira qu'en augmentant. Néanmoins, cette surabondance de données n’est pas compatible avec un monde à + 2 degrés. Dans un avenir proche, je pense que le numérique sera utilisé comme une arme contre le réchauffement. Grâce aux capteurs et aux données, il est d'ores et déjà possible de monitorer la pollution émise par un bâtiment, de réduire les émissions, d'améliorer le rendement de l’agriculture urbaine… Le meilleur démonstrateur de cette évolution, c’est le QG de Schneider Electric à Lyon, un bâtiment entièrement géré par la donnée dans un objectif de sobriété : tout y est calibré pour consommer au plus juste, au watt près. C’est une technique l’on peut appliquer sur l’essentiel du bâti déjà construit qui représente l'écrasante majorité du parc immobilier. 

La décroissance dont on parle tant est-elle compatible avec ces modèles ?

A. P : La ville du futur sera forcément sobre car il n’y a pas d’autres possibilités. Tout l'enjeu est d’assurer une transition juste, qui n’exclut pas les populations défavorisées et n’aggrave pas le chômage. Il faut trouver le bon modus operandi, celui qui ne nuit pas aux plus précaires. C’est le défi de la sobriété appliquée à ville, mais aussi à l’ensemble de la société. Les municipalités ne veulent pas appauvrir les gens au prix de la lutte contre le réchauffement climatique.

Qu’est-ce qui changera en termes d’usage ?

A. P : On se déplacera autrement, avec moins de véhicules thermiques. Rappelons qu'en Europe, ceux-ci ne pourront plus être commercialisés à partir de 2035. Grâce au numérique, la mobilité pourrait devenir multimodale : transports en commun combinés à un trajet à vélo, et à la location d'une voiture électrique pour construire l'itinéraire le plus sobre possible. En outre, plusieurs projets innovants relatifs à la mobilité se développent : Airbus et Boeing ont conçu des drones taxis qui seront testés aux JO à Paris en 2024 et des projets de téléphériques permettant de dédoubler les lignes de métro à la verticale voient le jour. Au niveau de l'alimentation, l’agriculture urbaine augmentera la part du bio et du local dans le mix alimentaire des particuliers, tandis que le numérique favorisera l’élection des maires en ligne. Il s’agira aussi de permettre aux citadins de participer davantage à la construction de la ville, et de prendre part plus activement aux budgets participatifs. Ce nouveau modèle urbain prévoit également la décentralisation de l’offre culturelle pour la rendre plus accessible.

Tout cela semble plutôt idyllique… À quels écueils risque-t-on de se heurter ?

A. P : Plusieurs dystopies sont possibles, notamment en ce qui concerne la privatisation de la ville, dont parle Alain Damasio dans son roman Les furtifs. À de rares exceptions près, toutes les grandes mégapoles sont endettées au-delà du raisonnable. Cela commence déjà à se voir : le Palais Omnisport de Paris Bercy est devenu l’Accor Arena. C’est un vrai risque : aux États-Unis, certaines villes endettées ont cédé des ponts et des routes à des entreprises privées. Autre scénario : une ville gouvernée par les données, qui ne seraient plus destinées à promouvoir l’intérêt commun mais utilisées pour réguler la vie des individus ou mises au service du capitalisme. Troisième scénario, on ne parvient pas à adapter les villes au changement climatique. Cela aboutirait à une catastrophe absolue : stress hydrique constant, insécurité alimentaire généralisée, retour de la famine et des disettes comme au 19 siècle, pics de mortalité dus aux îlots de chaleur... Et bien sûr, montée des eaux océaniques. Ce dernier scénario menace un milliard de citadins dans le monde.

Laure Coromines

Laure Coromines

Je parle des choses que les gens font sur Internet et dans la vraie vie. Fan de mumblecore movies, de jolies montagnes et de lolcats.

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