
Spécialisé dans des enquêtes basées sur des indices trouvables en ligne, le média Bellingcat veut former les internautes à être des détectives du web.
« Saurez-vous reconnaître l’endroit où a été prise cette photo ? » Sur l’écran géant du théâtre Delta de Namur, Aiganysh Aidabekova, la journaliste et « digital investigator » chez Bellingcat affiche des vues satellite tirées de la célèbre application Google Earth. Elle explique devant le public venu assister à sa conférence, dans le cadre du Kikk Festival qui s'est tenu du 4 au 7 novembre, comment son média d’investigation Bellingcat a traqué sur la toile des supporters de Daesh. Ces derniers avaient posté en 2016 des photos comportant des messages de soutien au groupe terroriste, alors en pleine expansion en Syrie. En utilisant les éléments situés en arrière-plan de ces images, les rues, les passages piétons ou même la couleur des bus, les journalistes et les internautes participants avaient réussi à localiser les endroits où avaient été prises les images et ainsi identifier 4 suspects. Lors de cette conférence, le public s’est plié au même exercice en comparant une photo avec différentes vues satellitaires montrées par la journaliste. Très rapidement, une vue aérienne est sélectionnée parmi les autres. « Bravo, vous avez trouvé le bon carrefour, c’est ici que la photo a été prise ».
Toi aussi, deviens détective du net
Des investigations comme celle expérimentée pendant le Kikk Festival, Bellingcat en a fait sa spécialité. Cette rédaction décentralisée créée en 2014 par le journaliste britannique Eliot Higgins s’est illustrée dans plusieurs affaires comme celle du crash du vol MH17 de la Malaysia Airlines ou bien l’empoisonnement de l'ancien espion Sergueï Skripal et de sa fille Loulia en 2018. Fort d’un savoir-faire dans l’OSINT, l’acronyme anglais qui désigne la recherche de renseignements en source ouverte, le média a récemment publié une méthode permettant à n’importe quel internaute de farfouiller de manière sérieuse et impactante sur les réseaux sociaux. À l’heure où l’injonction de faire « ses propres recherches » gagne du terrain, ce « guide du débutant pour la vérification sur les réseaux sociaux » pourrait bien justement mettre un frein aux insinuations des complotistes.
Retour aux bases du journalisme
N’importe quel journaliste sérieux écrit des articles en répondant à une série immuable de questions, à savoir qui, où, quand, comment et pourquoi ? Bellingcat reprend peu ou prou la même méthode pour l’adapter à la recherche sur les réseaux.
Pour le média, n’importe quel document (post Facebook, image, vidéo ou extrait sonore) trouvé sur Internet doit être passé au crible d’une checklist de cinq questions censées agir comme des filtres.
La première concerne l’originalité du document. En utilisant des moteurs de recherche centrés sur les images comme Google Image ou Visual Search de Bing, il est possible de déterminer si une photo a déjà été postée par le passé sur Internet. Pour les vidéos, les processus sont toutefois plus complexes et demandent beaucoup de recherche « à la main » en utilisant des hashtags par exemple.
Une fois passée cette étape, il faut chercher la source de la photo ou la vidéo, c’est-à-dire celui ou celle qui l’a prise et postée sur les réseaux.
En troisième étape vient l’identification de la localisation. Comme pour l’affaire des supporters de Daesh, il est possible d’utiliser des images satellite (voire même le dernier Flight Simulator) pour déterminer la localisation précise d’une photo, même si ce processus peut prendre parfois beaucoup de temps.
Enfin, il faut déterminer la date de prise de la photo ou de la vidéo et pourquoi ces dernières ont été prises, afin de comprendre les motivations qui se cachent derrière la publication d’un document. Bellingcat ajoute à cette checklist une boîte à outil comprenant par exemple des services en ligne pour déterminer la date de prise d’une photo ou bien remonter au posteur original d’un message sur Facebook. De quoi se transformer en super détective du web.
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