un adolescent regarde son téléphone dans son lit

Pourquoi Netflix fait constamment référence à ses propres contenus ?

© Netflix - Big Mouth

Quand on regarde un film ou une série Netflix, il n'est pas rare que les personnages évoquent une autre fiction de la plateforme. Simple technique d'écriture, clin d'oeil pour les fans ou auto-promo ? La frontière est mince.

À force de binger les séries et films de Netflix, clins d’œil et métaréférences (forme d’écriture qui consiste à rendre des personnages conscients de leur enveloppe fictionnelle, ndlr) ont tendance à nous sauter plus facilement aux yeux. Mise en abyme de la plateforme dans la vie des personnages, univers interconnectés, références taquines à HBO et à Game of Thrones, personnages sortant du cadre de la fiction pour nous inciter à passer au prochain épisode… Est-ce que tout cela ne ferait pas partie d’une stratégie de communication bien huilée ? À moins que l’aura de la plateforme ne soit si forte que les créateurs s’en amusent ? On vous explique.

Mise en scène de la plateforme

Dans ce domaine, la série Big Mouth, qui décrypte les affres de la puberté, excelle. Habituée à faire dialoguer ses personnages avec le spectateur (surtout en fin d’épisode) ou à les pousser à la visionner plus longtemps – « Pourquoi tu ne continuerais pas à regarder maintenant espèce de petit merdeux flemmard ? » , suggère élégamment l’un des personnages à la fin d’un épisode – elle est montée d’un cran dans l’épisode 3 de sa saison 3.

On y retrouve Jay, adolescent colérique en quête de sa sexualité (et fan de magie, c’est important), face à son smartphone. Alors qu’il a quelques minutes à tuer avant d’aller à l’école, il se connecte à Netflix, trouve son bonheur et finit par chanter les louanges de l’algorithme de personnalisation de la plateforme. Et de s’exclamer : « Wow, Netflix a tellement d’argent qu’ils ont fait un film juste pour moi, merci Ted Sarandos (responsable contenus chez Netflix, ndlr) ! »

Mais les séries animées, dont l’humour se prête particulièrement à l’exercice, ne sont pas les seules à mettre en scène les usages nés de la plateforme.

Déjà en 2017, Slate révélait le même type de procédé dans la série pour ados Riverdale. Dans un épisode, un personnage lance à ses camarades : « Ça vous dit de regarder l’intégrale de Making a Murderer sur Netflix ce soir ? ». Série documentaire sortie en 2016, Making a Murderer avait effectivement fait beaucoup de bruit lors de sa sortie sur la plateforme. « Et que dire de The OA, qui montre deux adolescents en train de regarder Stranger Things ? », poursuit l’article.

Netflix se construit un univers

Bien souvent, les contenus Netflix s’amusent à se citer, voire à se parodier les uns les autres. Une technique récurrente qui consiste à imbriquer l’intrigue d’une série dans la vie quotidienne d’autres personnages, des instants crossover qui ravissent particulièrement les fans sur les réseaux sociaux.

On pense notamment au scénario de Breaking Bad, expliqué par les détenues d’Orange Is the New Black dans la saison 3 ou encore à Rick & Morty qui surfait sur la popularité de la série Stranger Things (et de son générique) pour teaser l’arrivée sa dernière saison sur la plateforme.

En matière d’auto-référencement (ou d’auto-promo, question de point de vue), Netflix travaille aussi à l’élaboration d’univers connectés. Et la plateforme ne s’en cache pas. En décembre 2019, elle publiait un thread sur Twitter dans lequel elle expliquait les différentes connexions réalisées entre 8 de ses films de Noël (et des prochains à venir).

 

La plus commune consistait à lier la vie de chacun des personnages en les faisant se regarder via un poste de télévision. Certains films sont aussi « géopolitiquement » liés. « Une façon amusante de lier différents mondes avec de petits Easter Eggs (clins d’œil aux fans, ndlr) », commente Amanda Phillips Atkins, vice-présidente de la société de production MPCA.

Rien de nouveau au pays de la métafiction

Pour Alexandre Letren, animateur de La loi des Séries sur radio VL, Netflix n’a pourtant rien inventé. « Ce n’est pas une technique de narration propre à Netflix, les clins d’œil méta existent depuis longtemps dans les séries, explique le journaliste en évoquant notamment Les Simpson ou South Park qui font fréquemment référence à l’actualité ou à des usages ancrés dans la culture américaine. C’est un peu comme la notion de "quatrième mur" au théâtre, on montre que les personnages évoluent dans le même univers que celui qui les regarde. »

Un processus d’identification prisé des créateurs qui permet de créer un lien privilégié entre personnages et spectateurs, voire de les inviter dans les coulisses de la fiction. Dans la série House of Cards, le personnage de Frank Underwood (Kevin Spacey) alterne entre scènes jouées et pauses réflexives face caméra lors desquelles il s’adresse directement au spectateur. Il peut tout lui dire, sans filtre, ni scrupule, chose qu’il lui est impossible de faire avec les protagonistes de l’histoire. Même chose pour le film The Big Short qui base toute son intrigue sur cette mécanique.

« Aujourd’hui, les techniques de métafiction ou d’univers croisés se remarquent d’autant plus. Elles sont une conséquence logique des monopoles que représentent Netflix, Disney, Marvel ou encore DC Comics », poursuit Alexandre Letren, l’objectif étant de fidéliser leurs spectateurs en multipliant les points de rencontre entre différents univers et personnages. « Le risque, c’est que ça devienne un outil de com’. C’est d’ailleurs ce qu’on reproche à la saga Star Wars ! Rapidement, ça devient du fan service. »

Netflix a toujours su jouer au « bon copain »

Quant à savoir si ces techniques de narration sont pensées comme une véritable stratégie chez Netflix, difficile de savoir. « Mais comment ne pas le penser lorsqu’elles sont aussi régulières ? », questionne Alexandre Letren. Contactée par mail et sur Twitter, la plateforme n’a pas donné suite à nos sollicitations.

Ce que l’on sait en revanche, c’est que Netflix a toujours sur « jouer au bon copain » avec sa communauté. En particulier sur Twitter, terrain de jeu propice aux blagues potaches, à l'annonce de nouvelles séries et aux références croisées.

Netflix, c’est un univers irrésistible, un doux cocon duquel on peine à s’extirper. Et quand on y arrive, ce n’est que pour mieux recommencer à binger

Margaux Dussert

Diplômée en marketing et publicité à l’ISCOM après une Hypokhâgne, Margaux Dussert a rejoint L’ADN en 2017. Elle est en charge des sujets liés à la culture et la créativité.

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