
Les femmes sont-elles plus vertueuses que les hommes lorsqu’il s’agit de signaler des actes répréhensibles dans les grosses boîtes de la Tech ? Oui, selon deux chercheuses américaines, même si les raisons sont plus complexes qu’il n’y paraît.
On vous dit lanceur d’alerte, vous pensez à… ? Julian Assange probablement, ou l’ancien employé de la NSA et de la CIA, Edward Snowden. Oui, mais ces dernières années, les lanceurs d’alerte dans le secteur de la Tech sont en fait des femmes. Bien plus que la proportion de femmes travaillant dans le secteur de la Tech, selon Francine Berman, professeure émérite d'informatique, et la sociologue Jennifer Lundquist. Elles ont commenté longuement les résultats de leur constat dans un article sur le site The Conversation.
Qui sont les femmes lanceuses d’alerte ?
Moins médiatisées que leurs homologues masculins, les lanceuses d’alerte n’ont pourtant pas manqué de cojones. Par exemple, l’ingénieure américaine Frances Haugen a divulgué des dizaines de milliers de documents de son ancienne entreprise Meta et comment son algorithme favorise les contenus haineux. Depuis, Madame Haugen figure dans le top des 100 personnes les plus influentes du Times.
Sophie Zhang, ex-data scientist chez Meta, s'est elle aussi exprimée au sujet de l'instrumentalisation politique de Facebook. Timnit Gebru et Rebecca Rivers ont interpellé Google sur des questions d'éthique et d'IA, et Janneke Parrish a fait part de ses inquiétudes quant à une culture de travail discriminatoire chez Apple. Sans oublier Susan Fowler chez Uber ou Ifeoma Ozoma chez Pinterest.
A priori, on pourrait penser que les femmes sont plus altruistes et plus soucieuses de l’intérêt public. Les chercheuses ont donc étudié « la nature des dénonciations des grandes entreprises technologiques, l'influence du genre et les implications pour le rôle de la technologie dans la société ». De leurs propres aveux, ce qu’elles ont découvert est à la fois « complexe et intrigant ».
Des femmes moins corruptibles ?
Les Nations unies ont récemment identifié le fait de nommer des femmes à des postes clés comme un élément de réduction de corruption et d’inégalités. Par exemple, l’ONU s’est rendu compte que plus la proportion de femmes élues dans les gouvernements est élevée, plus la corruption est faible. Il en va de même pour les entreprises. « D'autres études montrent un effet causal direct de l'élection de femmes dirigeantes et la réduction de la corruption », indiquent les chercheuses. Et de compléter : « Les femmes sont plus éthiques dans les transactions commerciales que leurs homologues masculins. »
L’anonymat et la sous-représentation : deux facteurs de taille
Ok pour tous ces indices, qui révèlent que les femmes sont plus acculturées aux comportements éthiques. Mais est-ce suffisant pour affirmer avec certitude qu’elles sont plus vertueuses ? Plusieurs chercheurs se sont penchés sur la propension de personnes à dénoncer des actes répréhensibles : le genre n’était pas forcément concluant. En revanche, les femmes semblent plus disposées que les hommes à signaler des actes répréhensibles lorsqu'elles peuvent le faire en toute confidentialité. Pour éviter, selon les chercheuses, d’être confrontées à des taux de représailles plus élevés que les dénonciateurs masculins.
Dans le domaine de la technologie, un facteur supplémentaire entre en jeu : les femmes sont sous-représentées. Elles représentent environ 25 % de la main-d'œuvre et 30 % des postes de direction. Même chez Google, Meta, Apple, Amazon et Microsoft, les employés sont encore largement blancs et masculins. Difficile donc pour elles de modifier le système de l’intérieur. Elles peuvent se sentir exclues et moins obligées de respecter le cadre de l'entreprise lorsqu'elles sont témoins d'actes répréhensibles. C’est d’ailleurs, selon le docteur Ryan Smerek, directeur adjoint des affaires académiques et professeur à la Northwestern University dans l’Illinois, l’une des clés de la motivation des lanceurs d’alerte.
Pour les chercheuses, difficile d’arriver à une conclusion claire sur les raisons de la prévalence des femmes dénonciatrices dans les grandes entreprises technologiques. Toutefois ces dénonciations servent au moins deux objectifs principaux : réduire les dommages causés par ces grosses boîtes et y renforcer la diversité.
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