Cette appli réservée aux marques « cool », locales et/ou écoresponsables est le signe d’un e-commerce devenant de plus en plus addictif à l’image des réseaux sociaux.
De la poudre de thé matcha, des tapis tuftés, des cosmétiques solides, des jouets en caoutchouc naturel, des sex toys… Il aura fallu quelques publicités légèrement insistantes sur Instagram, doublées du conseil d’une amie pour que Choose s’incruste dans ma scrolling routine(désolée pour cet affreux néologisme). Chaque soir, je passe quelques minutes sur cette application d’e-commerce pour consulter les ventes du jour. Toutes les tendances Instagram du moment y sont. Normal, Choose soigne la sélection des enseignes présentes sur l’application. Des marques « cool », « locales », qui « ont une histoire intéressante », selon les mots des cofondateurs de l’application française. « On se positionne comme un tiers de confiance qui vérifie la marque, met un coup de tampon », précise Vincent Dupuy, l’un d’eux. Le tout avec des prix attractifs : des réductions entre 15 et 30 % pendant une durée limitée.
La vieille recette de la vente privée en ligne façon VeePee et Showroomprivé, avec un sacré coup de polish. L’expérience n’a en effet pas grand-chose à voir avec ses ancêtres. « Il y a 20 ans quand VeePee s’est lancé, c’était techniquement très compliqué de lancer une marketplace de ventes privées. Aujourd’hui les nouveaux entrants peuvent le faire assez facilement, ils se concentrent donc sur l’expérience utilisateur et le catalogue », explique un observateur du secteur. Choose n’est d’ailleurs pas la seule sur ce créneau. Ces dernières années, le secteur s’est offert un lifting avec de nouveaux acteurs : The Bradery, récemment racheté par Showroom Privé, ou plus récemment Toasty et son interface très pop et gamifiée.
Hyper fragmentation de l’e-commerce
Pour le sociologue Vincent Chabault, ces applis sont une illustration de la fragmentation du commerce en ligne, qui suit le repositionnement du commerce de détail. « Les enseignes s’adaptent à une demande fragmentée (premium, hard discount, écologique, zéro gaspi…) qui fait intervenir différentes variables socio-économiques : revenu, statut, genre, génération démographique… Il y a de moins en moins un seul commerce pour tous mais plutôt le commerce de chacun.e… ».
Le sociologue observe également « la mise en place d’un espace marchand en ligne qui ressemble à celui des plateformes culturelles ». « Amazon ou Shein seraient l’équivalent de Netflix. Wish, les sites de streaming illégaux », et Choose ou The Bradery : « des plateformes de cinéma d’auteur ». « Deux modèles caractérisent les industries culturelles à l’ère numérique : le modèle blockbuster (grand public), le modèle de niche. »
« Piège à CB »
Je ne suis pas la seule à être devenue légèrement accro à Choose. « C’est clairement un piège à CB », s’amuse une influenceuse lifestyle trentenaire, séduite par la sélection des marques proposées, le design de l’appli et son SAV soigné. « Les sites de ventes privées classiques sont moins quali avec des marques plus mainstream et moins attirantes », observe-t-elle. 350 000 visiteurs uniques viennent chaque semaine sur Choose, nous précise Vincent Dupuy. Et parmi eux, une part importante vient quasiment chaque jour de la semaine ». La clientèle est plutôt jeune et urbaine : la majorité a entre 25 et 35 ans, 34 % vivent à Paris, et 70 % sont des femmes. Choose recrute essentiellement via Instagram sur laquelle elle diffuse des publicités ciblées.
Choose ne communique pas son nombre de clients, mais annonce un chiffre d’affaires de plusieurs dizaines de millions d’euros, et un volume d’affaires multiplié par 3 chaque année depuis 2019. Choose est une application que l’on peut qualifier de « sticky » – une fois téléchargée, on y retourne régulièrement. Et c’est tout le but de ses fondateurs.
Un concept store réseau social
Plutôt que de se positionner comme un acteur de la vente privée qui fait « du déstockage » , la marketplace se considère davantage comme un concept store, « un petit commerçant du coin », avec un côté réseau social. « On a conçu Choose pour que l’usage soit semblable à un réseau social, où l’on vient tous les jours pour voir les nouveautés, expose Vincent Dupuy. L’usage que l’on propose correspond d’une certaine manière à ce que vont faire des influenceurs sur Instagram qui mettent en avant de nouvelles marques tous les jours auprès de leur communauté. » L’appli d’e-commerce reprend d’ailleurs le format carré du réseau social et ses codes esthétiques – puisque les marques qui s’y trouvent sont elles-mêmes très instagramables.
Ce positionnement permet à Choose d’être partagée de manière organique par les influenceurs, avec qui l’appli noue très peu de partenariats rémunérés. Ils se contentent de partager leur code de parrainage (que n’importe quel utilisateur obtient). « On est un haut-parleur facile pour les instagrameurs. Ils se rendent sur Choose pour faire leur curation à partir d’une sélection de marques qualitatives. Comme il y a de la nouveauté tous les jours, ils communiquent plus volontiers sur notre application que sur une marque statique qui n’aura que deux ou trois collections par an. »
Chaque jour, 8 à 10 nouvelles ventes sont proposées sur l’appli. Elles n’y restent qu’une semaine – de quoi titiller le FOMO (fear of missing out) des utilisateurs – puis sont remplacées par d’autres. Au total, la marketplace a accueilli 3 000 marques en 2020. Elles sont sélectionnées par une équipe commerciale spécialisée dans les différentes verticales présentes sur l’app – lifestyle, enfants, maison, mode, cosmétique, bijouterie, alimentation. La plupart sont assez peu connues – « si on ne proposait que des produits déjà vus ailleurs, on perdrait ce rôle de curateur », juge l’entrepreneur. Mais on trouve aussi quelques marques plus installées comme les bottes Aigle ou les poufs Fatboy, qui rassurent les consommateurs. Un savant équilibre entre nouveautés et marques validées.
Lorsqu’elle s’est lancée en 2015, Choose ne vendait pas encore de produits. L’appli était une interface sur laquelle les marques pouvaient présenter leurs prototypes et demander aux utilisateurs de voter pour leurs préférés avant un lancement commercial. « Les marques étaient très satisfaites de l’outil, elles demandaient à repasser sur l’application. Mais on n’arrivait pas à trouver un modèle économique, raconte Vincent Dupuy. On ne maîtrisait pas tout le canal, une fois le vote passé, on dirigeait les clients vers le site de la marque. »
Plus rapide d’acheter sur Choose que de commander un Uber
Depuis fin 2018, l’application ne fait plus voter les utilisateurs, mais elle a conservé ce côté curateur proche du média, tout en intégrant l’acte d’achat à l’application. « Cela facilite au maximum l’achat puisque l’utilisateur n’a pas besoin d’aller sur un autre site, de s’inscrire, rentrer ses identifiants, entrer ses coordonnées de carte bancaire… » Tout se passe dans un seul environnement : l’appli Choose – qui n’a d’ailleurs pas de site web. « On a préféré se concentrer sur un seul usage, mais qui est très performant, en évitant la contrainte d’un site web à maintenir. On a chronométré le tunnel d’achat de Choose en le comparant à Uber. Et notre tunnel d’achat est plus rapide. Notre but c’était que l’usage soit très fort, simple, fluide et rapide. » Côté livraison, Choose a développé une API pour être directement intégrée dans les systèmes logistiques des marques, permettant à celles-ci d'assurer elles-mêmes la livraison sans avoir à passer par un entrepôt centralisé.
Cette nouveauté permanente, ce côté réseau social addictif et cette fluidité ne sont pas sans rappeler – à une moindre échelle – des pratiques des nouveaux géants de l’e-commerce très addictifs comme Shein. Le fondateur nuance la comparaison. « Il n’y a pas d’algorithme de recommandation. On est sur de la curation. On s’est arrêtés à dix marques par jour, c’est un bon chiffre qui apporte suffisamment de nouveauté sans être inondé. Notre but c’est que les utilisateurs reviennent régulièrement sur l’appli mais n’y passent que peu de temps. »
Acquérir de nouveaux clients et faire des soldes discrètement
Pour les marques présentes sur l’appli, le principal attrait est d’acquérir de nouveaux clients. C’est d’ailleurs ainsi que Choose se vend auprès de ses partenaires. « L’avantage c’est que l’on profite de la communauté de l’application, reconnaît Isabelle Spiri, directrice de la marque Hindbag. Les utilisateurs de Choose correspondent au profil de nos clients – plutôt jeunes et urbains–- ils suivent des marques qui partagent les mêmes codes et les mêmes valeurs que la nôtre ». Cette marque d’accessoires en toile fabrique ses produits en Inde en partenariat avec une ONG qui aide les femmes à s’émanciper.
Un point de vue que partage Pauline Maurel, fondatrice de la marque de chaussettes made in France Maison Causettes. « C’est un moyen de faire de l’acquisition client. D’autant que cette année nous avons décidé d’arrêter la publicité sur Instagram car les coûts sont devenus beaucoup trop importants pour peu de retombées », ajoute-t-elle. Maison Causettes réalise environ 10 % de son chiffre d’affaires via Choose en organisant 2 à 3 ventes dans l’année. « Le défaut c’est que certains clients attendent que l’on passe sur l’appli pour recommander. » La fondatrice note aussi que la multiplication des marques présentes sur Choose, signe de son succès, est à double tranchant. Car la multitude a tendance à pénaliser les marques qui se trouvent reléguées dans le bas de l’application au bout de deux jours de vente.
Outre l’acquisition, les nouvelles apps de ventes privées permettent aux petites marques de faire des soldes et du déstockage discrètement, même si Choose préfère que les enseignes vendent leur blockbuster que leurs fonds de tiroir. « Cela nous permet de faire de petites réductions et de vendre des produits en surstock, sans passer par les soldes ou les évènements type Black Friday qui ne sont pas alignés avec le positionnement éthique de notre marque », explique la dirigeante de Hindbag.
Certaines marques présentes sur Choose alternent entre différentes marketplaces de ventes privées, leur permettant de proposer très régulièrement des réductions. Ainsi, Aigle, qui était sur Choose il y a deux semaines, est désormais en vente sur Les Bienfaiteurs, une marketplace qui propose aussi des réductions et reverse en plus une partie des recettes à une association.
Les marques ne s’y retrouvent pas toujours
Toutes les marques ne trouvent pas leur compte. « Entre la commission qu’ils prennent et la réduction que nous appliquons, c’est un coût plus qu’autre chose, pointe la fondatrice d’une marque de cosmétiques qui préfère rester anonyme. Choose a le mérite d’être qualitatif et l’équipe est très à l’écoute et professionnelle, nuance-t-elle. Ce n’est pas le cas chez The Bradery par exemple où l’on a vraiment l’impression que l’on nous tord le cou avec les commissions, et d’être vendu à la chaîne parmi un flux constant d’autres marques. »
Celle-ci a décidé de ne plus vendre via Choose après trois ventes. « Je le considère comme un investissement en communication. Le problème c’est qu’au bout de quelques ventes, nous n’acquérons plus de nouveaux clients car même si leur communauté est importante, elle ne grossit pas assez vite pour nous permettre de toucher de nouvelles personnes à chaque fois. De plus, j’ai vu certains de nos clients arrêter de commander directement chez nous, et se restocker systématiquement via Choose. À force, on perd le lien avec notre communauté. »
Malgré certaines limites, la recette de Choose semble plutôt bien fonctionner. Et elle s’exporte. Depuis mars 2022, l’appli française est présente aux États-Unis. Elle envisage aussi de développer un autre modèle économique autour des données marketing qu’elles collectent sur différents marchés. « On pourrait devenir un point de relais pertinent pour une marque américaine qui veut se lancer en France, et vice-versa », se projette Vincent Dupuy.
Effectivement j'ai découvert Toasty pour ma part, j'adore !!!
Avec des marques qui sont vraiment responsables j'ai l'impression par rapport à un Choose ou The Bradery.