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Décryptage : Comment les cryptomonnaies d'état rebattent les cartes du jeu monétaire

© montage via freepng.fr

Certains États officialisent les transactions en cryptomonnaies quand d’autres planchent sur la digitalisation de leur monnaie nationale. Cet engouement préfigure-t-il une transformation radicale du système monétaire ? Décryptage.

Il se passe beaucoup de choses sur la planète crypto. À tel point que l’engouement touche désormais certains États. Alors que le Venezuela emboîte le pas du Salvador en officialisant les transactions en bitcoin, la Chine et les États-Unis planchent sur une version numérique de leur monnaie nationale. De quoi alimenter les rumeurs d’une guerre économique digitalisée pour le contrôle du commerce international. En juillet dernier, la Banque centrale européenne annonçait, elle-aussi, le lancement d’une consultation pour évaluer la pertinence d’un euro numérique. Les cryptos feront-elles une jour une OPA sur la planche à billets ? Éléments de réponse avec Amaury Betton, passionné d’innovation financière et fondateur de Lettres Ouvertes, une newsletter sur le futur de l’économie, de la finance et des investissements.

Quel est l’intérêt pour le Salvador et le Venezuela d’officialiser les transactions en bitcoin ?

AMAURY BETTON : Les pays tentés d’adopter des cryptomonnaies sont généralement ceux qui n’ont pas de monnaie nationale, ou ceux dans lesquels la monnaie nationale subit une forte dépréciation. Le Salvador rentre dans la première catégorie. Depuis 2000 ce pays n’utilisait que le dollar et ne subissait qu’une faible inflation. Mais la pandémie a fortement affecté l’économie salvadorienne et provoqué une récession. Depuis peu, le bitcoin est donc la deuxième monnaie locale, avec le billet vert. Cette adoption de la crypto de référence comme devise nationale répond à deux grands objectifs. Le premier est de renforcer l'inclusion financière, puisqu’une large part de la population n’est pas bancarisée. Le second est de faciliter les paiements transfrontaliers, notamment pour les transferts effectués par la diaspora qui vit à l’étranger et dont le pays est très dépendant.

Au Venezuela, l’adoption des cryptoactifs est envisagée pour se protéger contre la dépréciation de la monnaie qui se traduit par une hyperinflation dévastatrice. L’argument est simple : une monnaie privée serait un meilleur moyen de paiement qu’une monnaie étatique. Mais ce n’est qu’un pis-aller qui masque les difficultés économiques réelles du pays. Car, à mon sens, il est très peu probable que les cryptomonnaies s’enracinent dans des pays où la monnaie est forte et les taux de change stables.

Que penser du mouvement de repli vers les cryptos que l’on constate au Liban, dans une économie exsangue ?

A. B. : Le Liban a connu une grave crise bancaire qui s’est ensuite transformée en crise économique d’une ampleur considérable. La monnaie s’est trouvée totalement dévaluée, entraînant une inflation très forte. D’une certaine manière, le Bitcoin comble l’espace vide laissé par des institutions financières locales totalement discréditées. C’est le même schéma qu’avec le Venezuela. Mais là encore, le Bitcoin ne permettra pas de corriger, comme par magie, les problèmes endémiques du pays que sont la corruption des élites et la désagrégation de l’État. L’essor des cryptoactifs au Liban n'est donc lié qu’à cet effondrement économique.

Quels sont les risques à se lancer dans pareille entreprise, notamment en matière de souveraineté ?

A. B. : Les pays qui veulent adopter les cryptoactifs privés doivent bien étudier la balance entre les bénéfices éventuels et les risques bien réels d’une telle décision. Il existe des risques juridiques : des pays tiers peuvent rejeter les cryptoactifs comme moyen de paiement ou refuser de les convertir en devises « reconnues ». Il y a également un fort risque écologique, puisque le minage du bitcoin nécessite beaucoup d’électricité. Mais aussi un risque d’intégrité financière, lié à la fluctuation du prix des actifs et au fait que ceux-ci sont utilisés pour blanchir de l’argent. Et enfin, un risque majeur qui est la perte de la souveraineté monétaire, cette dernière étant remise entre les mains d’acteurs privés. J’ajouterais également une dernière observation : la valeur d’une crypto est sans lien avec l’économie réelle d’un pays. Ce qui peut favoriser les phénomènes de bulle et mettre en danger la stabilité économique.

La montée en puissance des cryptomonnaies vient-elle concurrencer le monopole régalien de battre monnaie ?

A. B. : L’ambition originelle du bitcoin était à « réparer le système monétaire » à la suite de la crise des subprimes et du discrédit dont ont souffert les banques. Toutefois, force est de constater qu’il ne s’est pas imposé comme moyen de paiement puisqu’il reste très peu utilisé dans le secteur financier ou dans les transactions du quotidien. Le Bitcoin et les cryptoactifs analogues sont surtout devenus des instruments d’investissement et de diversification de portefeuilles. Comme ils sont très risqués, ils peuvent donc offrir des gains potentiels très élevés… mais aussi, revers de la médaille, de fortes pertes.

Pour autant, les banques centrales partout dans le monde ont bien compris l’intérêt de la technologie blockchain sur laquelle s’appuient les cryptoactifs comme le bitcoin. D’ailleurs, Bitcoin avec un grand « B » désigne la blockchain en elle-même. C’est la raison pour laquelle ces institutions entendent développer – ou à minima étudier – la mise en place de monnaies digitales de banque centrale (MDBC), version numérique des monnaies nationales. On parle désormais de yuan numérique, de eNaira pour la devise du Nigeria, et bientôt de edollar ou d’euro numérique.

Les MDBC, ou cryptos d’État, peuvent-elles durablement s’inscrire dans le système monétaire ou sont-elles vouées à ne rester que des objets de spéculation ?

A. B. : Les MDBC ne sont pas conçues pour être des objets de spéculation, contrairement aux cryptos privées qui – volontairement ou involontairement – jouent ce rôle dans la planète financière. Les premières visent au contraire à fournir un complément aux offres de paiement existantes et à interrompre la frénésie autour des cryptos privées en s’emparant de la technologie qu’elles portent.

Après avoir interdit leur usage, la Chine s’apprête à lancer sa propre monnaie virtuelle : est-ce un revirement ou plutôt une manière d’assurer un monopole d’État sur ce secteur ?

A. B. : La Chine est en effet l’un des pays les plus durs en matière de régulation des cryptoactifs. Elle cherche d’une part à s’approprier la technologie blockchain, mais aussi à supprimer la concurrence pour assouvir deux objectifs. Sur le plan intérieur, un yuan numérique permettrait à la Chine d’éclipser les géants technologiques nationaux, les BATX (les GAFAM chinois), qui sont désormais des acteurs majeurs des paiements dans le pays. Sur le plan extérieur, la Chine espère, avec le yuan numérique, pouvoir mettre un terme à l’hégémonie du dollar dans le commerce international. En effet, le dollar représente plus de 60 % des réserves mondiales, contre seulement 20 % pour l’euro et 2 % pour le yuan. Pourtant il reste utilisé dans l’écrasante majorité des échanges du commerce international. Le faible niveau du yuan dans le système monétaire mondial est donc contradictoire avec l’objectif chinois qui est de devenir la première puissance économique mondiale. Mais rien ne dit que le lancement du yuan numérique permettra de combler cet écart. D’autant qu’un edollar va lui aussi voir le jour dans les mois à venir.

Peut-on envisager avoir une crypto d’État un jour en France ? Le sujet pourrait-il devenir un enjeu présidentiel ?

A. B. : La question dans les 19 pays de la zone euro est de déterminer si un euro numérique aurait du sens. C’est précisément l’enjeu de la phase d’investigation lancée cet été par la BCE. La banque centrale va plancher pendant deux ans pour évaluer la faisabilité d’un tel projet. Un euro numérique pourrait servir à mieux contrôler la création monétaire, à améliorer l’efficacité de la politique monétaire et à fluidifier les paiements entre pays qui composent la zone. Il serait tout à fait opportun qu’un·e candidat·e se saisisse de la question. D’un point de vue personnel, je trouve très regrettable de constater qu’aucun politique ne parle de la blockchain ou d’innovation financière. Ce sont pourtant des sujets fondamentaux pour notre avenir.

Nastasia Hadjadji

Journaliste, Nastasia Hadjadji a débuté sa carrière comme pigiste pour la télévision et le web et couvre aujourd'hui les sujets en lien avec la nouvelle économie digitale et l'actualité des idées. Elle est diplômée de Sciences Po Bordeaux.
commentaires

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  1. Avatar Anonyme dit :

    Un euro numérique comme toutes les autres monnaies numériques de banque centrale pourrait surtout servir à tracer et donc à surveiller toutes les opérations d'échange entre citoyens.
    on parle souvent du coût électrique ou écologique du bitcoin, qu'en est il du cout de l'extraction de l'or ou tout autre minérai qui sert de réserve? Coucou la pollution des cours d'eau séculaire au mercure et autre catastrophe écologique.
    Quant au blanchiment d'argent, la part du blanchiment dans la finance mondiale traditionnelle est bien supérieure !
    Enfin dire que le bitcoin est une monnaie privée c'est vraiment ne rien connaitre au fonctionnement du bitcoin dont le fonctionnement est décentralisé! Donc pas d'entreprise privée ni publique.
    pas très fouillé cet article

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