
Vous aussi vous pensez que la cosmeto fait-main est réservée aux bobos ? Détrompez-vous. On a été faire un tour sur le terrain, on s'est prêté à l'exercice... et tout s'est bien passé ! On vous raconte.
Soyons franche. Je ne suis pas hyperdouée de mes mains. Mes derniers travaux manuels remontent à mes années de maternelle. Sous la contrainte, je peux éventuellement recoudre un bouton, peut-être planter un clou. Tout le reste, je délègue. Un pur produit du marketing de l’offre : quand j’ai besoin, j’achète. Mais bon. Les temps changent. Je ne suis plus si réfractaire à l’idée de me sortir les doigts. Et de toute façon, la tendance du doityourself/zérodéchet/bioforcémentbio fait fureur, il est grand temps de voir sur le terrain à quoi ressemble toute cette effervescence. Direction Aroma-Zone.
On ne naît pas "AZA", on le devient
Aroma-Zone est le leader de la cosmétique à faire soi-même. Son motto ? Des produits bruts et naturels que les clientes sont censées assembler elles-mêmes, toutes seules. La marque a commencé à pousser sur Internet en 2000, portée par une communauté d’amateurs de produits de beauté naturels et en kit. Les « AZA », comprenez les Aroma-Zone Addicts, se bousculent désormais dans les quelques boutiques de la marque.
Place de l’Odéon, à Paris, le nombre de flacons d’huiles essentielles, de sachets de poudre et de petits pots de crème donne le tournis. Je découvre. Les huiles essentielles de bois de Siam, tonique et énergisante pour madame et (intéressant ! ) carrément aphrodisiaque pour monsieur, de cyprès bleu, aux propriétés rafraîchissantes, idéale pour apaiser le feu du rasoir, ou de carotte, dont j’apprends les vertus dépuratives. Plus loin, des poudres, celles de racines d’iris et de brahmi, cette dernière étant censée équilibrer Vâta, Pitta et Kapha (mais qui sont ces gens ? ), ou celle d’urucum, extrêmement riche en caroténoïdes, antioxydants et oligoéléments. Au bout de trois rayonnages, mon enthousiasme tourne à la panique. Je suis hypermotivée, mais, j’avoue, totalement paumée. Je dois mélanger quoi avec quoi ? Comment ? Dans quelles proportions ?
Je capitule. Je reconnais. Je suis une novice. J’opte pour trois heures de formation proposées par la marque.
Blouse blanche et charlotte
Au premier étage de la boutique Odéon, la petite salle réservée aux formations tient plus du laboratoire de sciences de mon ancien collège de banlieue que du spa. Un peu étriquée, pas très lumineuse, avec des pipettes et de petites balances en face de chaque place assise. Direct, Sophie l’animatrice me colle dans les mains une blouse de laborantine et sa charlotte sous plastique. Mon rouge à lèvres sublimera peut-être mes lèvres, mon mascara me fera éventuellement un regard de velours. En attendant, c’est clair, je perds 10 points sur l’échelle du glamour. Dans un silence un peu gêné, mes sept copines d’atelier s’équipent idem, sans broncher.
Pas question de lambiner. Sophie annonce le programme. Il est chargé. On attaque par la confection de notre rouge à lèvres. Trois teintes au choix, je me décide pour le rouge cerise, avec six gouttes de mûre sauvage pour le parfum. La formatrice nous explique – assez sommairement – que la recette se décompose en trois étapes. Il faudra peser, touiller (j’adore déjà mon minifouet), chauffer au bain-marie… Personne n’ose moufter. Pas de questions, chacune les yeux rivés sur son matériel censé être régulièrement astiqué à l’eau de lavande pour la désinfection. Hop ! hop ! hop ! en silence, on se lance. On apprendra en faisant. Sincèrement, je ne comprends pas tout du fonctionnement de ma balance, je ne tire pas la langue… mais je fais gaffe. Il faut bien se concentrer pour doser 0,1 gramme d’empâtage blanc et 2,9 d’huile de ricin.
Souvenirs de SVT
Mes vieux réflexes de collégienne remontent d’un coup. Je repère la bonne élève à ma gauche et n’hésite pas à solliciter l’échange de bons tuyaux. Pour Odile aussi, c’est la première formation. Elle a 20 ans mais, elle, elle fait déjà ses shampoings et ses crèmes de soin depuis plusieurs mois. Respect. Dans le groupe, on commence à comprendre qu’avec nos têtes empaquetées sous charlotte on est à égalité, et que si on veut rapporter un rouge à lèvres bien droit dans son tube, on a intérêt à la jouer solidaire. On se refile les produits « Qui a besoin de la cire de candelilla ? – Tiens, Odile, j’ai terminé avec la vitamine E ». On regarde comment tournent les mélanges des unes, et, inquiètes, si les teintes des autres ressemblent à peu près à la nôtre.
En cas de doute, on arrive à ne pas donner du « maîtresse » à notre formatrice, qui s’avère particulièrement patiente dans la phase délicate du moulage. Sérieux, je m’en sors plutôt bien. On va placer nos tubes au frigo, chacune étant censée y apposer une étiquette. On peut choisir un nom à notre réalisation. J’opte pour : « TOO PROUD BABY! » Je le déclare. Je suis trop fière. Odile aussi affiche un sourire radieux.
Aza et zéro déchet... même combat
À l’étape du mascara… Sophie nous prévient. On n’a pas choisi l’atelier le plus facile. Cause toujours, Sophie, on a pris la confiance… on n’écoute plus trop les consignes, on attaque. Au début, tout va bien. Mais quand on commence à touiller le Natur’lift, qu’on n’arrive plus à bout des grumeaux d’oxyde minéral noir… on fait moins les malines. En face de moi, Nathalie s’en est mis partout. Le visage barbouillé de noir. Elle pouffe. Je ris. Toujours l’effet cours de SVT ! Nathalie a 30 ans, Nicole, à sa droite, 30 de plus, mais là, tout de suite, on a toutes 12 ans, et ça chahute dans les rangs. Nathalie est venue là parce que, depuis des années, elle n’accepte plus que des cadeaux immatériels. Et « tout pareil », opine Nicole. Nathalie poursuit donc. Pour Noël, elle est ravie, elle a aussi reçu un stage de survie. Elle ira en avril ; en hiver, il ferait trop froid… Nous voilà parties.
Chacune raconte, ajoute, relance, la conversation est lancée. Zéro déchet, c’est la base, le local ne se discute pas, le de saison non plus, le fait-main… évidemment ! Ce qu’on échange ? Des astuces, des bons plans, des adresses, des recettes. Nathalie, le zéro déchet, elle en a fait sa croisade, mais elle rassure Hélène, qui, discrète brunette en bout de rang, reconnaît qu’elle n’y arrive pas. Il faut y venir progressivement rassure Odile : d’abord, tu essaies de produire de moins en moins de détritus, tu peux refuser les sacs plastiques, boire ton eau en gourde… Tu commences par des choses simples. Nathalie renchérit : son boucher la trouvait bizarre, mais maintenant il adore remplir ses boîtes… Odile glisse qu’elle a arrêté la viande. Petit flottement dans la salle. Nathalie avoue : réduire la charcuterie, elle n’y arrive pas encore. Bon. Pas évident d’introduire la pâte noire dans la petite embouchure du tube de mascara. Mais, victoire, on finit toutes par réussir. Nicole un peu moins vite que les autres... Elle est certaine de ne pas avoir oublié de mettre les 12 grammes d’eau minérale ? Non, elle ne croit pas.
Pour la fabrique de l’eye-liner, autant dire qu’on a pris du retard. Retour au calme, on se concentre. Pour cette dernière étape, on est moins stressées par le grumeau, et on a toutes envie de se la péter créative. Et si on ajoutait une pointe de charbon irisé dans le mica bronze ? On n’arrête plus de parler… on se lance sur les conseils beauté. Le gel d’aloe vera, Odile confirme que c’est très efficace pour gommer les cernes. On trouve des feuilles d’aloe vera sur les marchés. OK. Mais est-ce que ça marcherait pour Nicole, qui n’hésite pas à retirer ses lunettes pour nous montrer l’étendue des dégâts… Elle peut, peut-être, envisager un peu d’huile de calophylle inophyle bio, suggère Sylvie, qu’on n’avait pas entendue jusque-là. C’est une semi-pro. Elle a déjà fait 4 formations chez Aroma-Zone, et travaille en laboratoire, ce qui explique sans doute que son plan de travail soit immaculé. On loue la performance.
Sauver la planète... que du bonheur !
Franchement, trois heures, ça passe hyper vite. C’est le moment de démouler les rouges à lèvres. Nicole est un peu déçue. Elle sait pas trop ce qu’elle a fait, mais clairement, le résultat a un côté tour de Pise… On tente de minimiser mais elle s’en fout… elle a mis un peu de sa crème de côté, elle la collecte dans un pot. Son rouge à elle, elle l’aura façon baume… Elle est donc hyperfière quand même.
On se quitte. Sophie doit tout rincer, tout ranger, et préparer la salle pour le groupe suivant. Nathalie doit aller chercher ses petits à l’école, Odile s’éclipse, et moi, je remplis consciencieusement la fiche de mes impressions. Je mets une très bonne note. Objectivement, j’ai passé un super moment. Faire de ses mains, c’est vrai que c’est marrant, satisfaisant et, bizarrement, apaisant. À peine sortie, je poste la photo de mes réalisations sur mon groupe familial WhatsApp. Bon. La réaction n’est pas à la hauteur de mes exploits. Une sœur se moque. Ma mère me demande si je n’ai pas autre chose à faire à mon âge. Une nièce lâche un « c’est super, tata… » un peu condescendant. AZA d’un jour, AZA toujours ? Qui peut savoir ? Mais je me suis offert un petit fouet, quelques poudres, et maintenant ma salle de bain ressemble à ma cuisine et j’adore échanger mes recettes. « Si tu ajoutes une cuillère de shikakaï à ta farine de pois chiches, tu verras, ça t’aura coûté moins de 5 euros, et tes cheveux vont briller comme un soleil, bébé ! »
Ce témoignage est paru dans la revue 18 de L'ADN. Pour vous procurer votre numéro : cliquez ici.
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