
D'ici 5 ans, le contenu de nos assiettes pourrait bien être personnalisé sur la base d'une batterie de tests.
Milkshakes protéinés, eau minérale dopée en potassium... On connaissait déjà la food fonctionnelle et les alicaments, ces aliments aux propriétés bénéfiques pour la santé dont la mise en avant s’adosse à des allégations scientifiques. Mais pourquoi s'arrêter en si bon chemin ? Dans sa récente étude sur les grandes tendances du secteur, DigitalFoodLab, observatoire de la food, fait le point sur la nourriture ultra personnalisée. Qu'est-ce encore que ceci ? Il s'agit tout simplement de régimes alimentaires conçus sur-mesure en fonction de notre génome et de nos particularités physiologiques. Encore à ses prémisses, la tendance a déjà consolidé tout un écosystème d’entrepreneurs et investisseurs, bien décidés à séduire les consommateurs autour d'une promesse alléchante : rallonger notre espérance de vie grâce à notre alimentation. Interview de Matthieu Vincent, cofondateur de DigitalFoodLab.
Aujourd’hui, à quoi ressemble la nourriture personnalisée, et quelle est sa place au sein de la FoodTech ?
Mathieu Vincent : Depuis 4 ans, le sujet intéresse de près investisseurs et entrepreneurs : beaucoup de fonds sont levés, et même si peu d’avancées notables sont à signifier, le phénomène agrège de plus en plus d’acteurs, à l'instar des entreprises permettant de tester son génome. L’objectif de ces tests est d’identifier certaines prédispositions, comme le fait de sur ou sous absorber certaines vitamines, ou d’être sujet aux inflammations, pour adapter son alimentation. Notons la présence de la startup française Nahibu qui permet l’analyse de son microbiote, de la hollandaise Clear qui vend des patchs à glucose, ou de Zoe au Royaume-Uni qui combine test sanguin et microbiote pour émettre des recommandations alimentaires à ses utilisateurs. Avec la pandémie, le secteur a vécu un spectaculaire regain d’intérêt, parce que de nombreuses personnes étaient soucieuses de doper leur système immunitaire. En outre, une notion très populaire aux États-Unis perce timidement en Europe : l’idée que chacun peut et doit être aux commandes de sa santé, que cette dernière est une forme de capital qu’il faut entretenir, et que cette responsabilité incombe aux individus.
Quels sont les freins observés aujourd'hui au déploiement de type d'offre ?
M.V : Ils sont encore nombreux ! Tout d’abord, les tests génomiques sont illégaux en France. Ensuite, le pays est traditionnellement méfiant vis-à-vis de la collecte de data, et la technologie y est souvent perçue comme une menace. De plus, une étape clé fait défaut aux services proposés à ce jour pour être populaires à grande échelle, à savoir la contextualisation des résultats obtenus. Pour rendre l’offre mainstream, il faudrait combiner dans un seul service la réalisation des tests, leur décryptage - par exemple via un échange téléphonique avec un professionnel de la santé, ainsi que l’accès facilité aux aliments en question. Pour l’instant, seul Viome aux États-Unis s’est positionnée sur ce créneau, en renouvelant tous les 3 mois sa batterie de tests et en proposant des abonnements à des kits de compléments alimentaires. Une dernière difficulté enfin : les tests prodigués à ce jour, ADN, microbiote et glucose, peuvent parfois donner des résultats contradictoires. Mais je pense néanmoins qu’à moyen terme, c’est-à-dire entre 5 et 10 ans, ce type de services sera massivement adopté.
Quels sont les pays pionniers du secteur et pourquoi ?
M.V : On observe une grande appétence pour la nourriture personnalisée au Royaume-Uni et surtout aux États-Unis, mais également en Israël, où les startups s’attachent à développer une offre pour les consommateurs américains, nombreux à souffrir de pré-diabète et diabète. L’objectif de la nourriture personnalisée est ici de les empêcher de basculer d’un état à un autre. Le rapport à l’alimentation y est aussi moins hédoniste, plus pragmatique et médicalisé. Cependant, de manière générale, un doute plane toujours sur le secteur : est-ce que fournir une alimentation personnalisée, notamment en termes de micro-nutriments, peut avoir un impact substantiel sur la prévention des pathologie chroniques, véritable fléau du 21ème siècle ? Faute d’étude sérieuse, aucun consensus n’existe à ce jour, et pour cause : il faudrait attendre plusieurs siècles pour en récolter les résultats.
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