
Serum moms et Sephora kids : voici venu le temps des cosmétiques pour (très) jeunes filles.
Après les almond mums, ces mères obsédées par le régime alimentaire et le poids de leur fille, voilà les serum moms, ou « mamans serum », dernière étiquette concoctée par Internet. Tout comme les ersatz de Yolanda Hadid, les mamans sérum se caractérisent par un tropisme sur leur progéniture, articulé cette fois non pas autour de la nourriture, mais des soins de la peau. Dans leur sillon, des hordes de gamines ont envahi les Sephora pour empiler dans leur panier fond de teint et crèmes anti-rides. Oui, crèmes anti-rides.
Les serum moms : la beauté avant tout
Notre obsession pour la beauté passe de plus en plus par l'entretien de la peau. En témoignent les 21 milliards de vues cumulées par les publications reliées au gommage et au comparatif des antirides sous le #skintok. Et les serum moms l'ont bien compris. Le terme anglophone est né sous la plume de la journaliste Jessica Defino. Dans sa newsletter, elle explique que la maman serum est « le pendant de la maman amande axée sur le visage : comme la maman amande, la maman sérum est obsédée par le respect d'un certain standard de beauté et nourrit la même obsession concernant ses enfants. Les soins de la peau règnent en maître ; une peau sans âge, sans pores et sans taches – en d'autres termes, une peau inhumaine est très appréciée – et si votre visage n'est pas parfait, quelques nouveaux produits devraient aider. » Bien sûr, la beauté n'est jamais l'objectif affiché, pudiquement remplacé dans le discours de la serum mom par le bien-être et l'amour de soi. Pensez Kim Kardashian qui fusionne avec Gwyneth Paltrow. Une appétence pour les produits de beauté qui n'est pas sans conséquence.
Après les serum moms, les Sephora kids
De plus en plus de jeunes enfants sont déjà adeptes des lotions tonifiantes et huile raffermissantes. Les Alphas affluent dans les rayons à l'éclairage cru de la chaîne pour mettre la main sur des produits contenant rétinol, acides exfoliants agressifs, toniques et autres sérums coûteux conçus pour minimiser les effets du vieillissement. Au point parfois d'arracher des mains les précieux produits de trentenaires sans défense. Hébétées, elles s'en plaignent sur TikTok, éberluées par la proportion de très jeunes filles présentes dans les rayons. Sous les #sephorakids ou #kidsatsephora, pleuvent les doléances de jeunes femmes estomaquées par la quantité de produits achetés par leurs homologues Alphas. Parmi elles, Michela Sheedy, qui rapporte en direct de Sephora : « Je vais compter le nombre de filles de 10 ans que je vois. » Quand elle arrive à quatre, elle s’interrompt pour préciser : « Je viens de passer à côté d'une fille de 10 ans en train de se faire épiler les sourcils. « Il y en a tout un groupe par ici, dit-elle en riant nerveusement. « Je ne peux pas même pas m'approcher du stand de Drunk Elephant. Aussi, on est en plein jeudi, pourquoi ces enfants ne sont pas à l'école. Aussi, qui sont les mères qui leur achètent ça ? »
D'après Fashion Network, le phénomène serait en partie dû à l'essor des influenceuses de la génération Alpha (les enfants nés après 2010). On pense à North West, la fille de Kim Kardashian et Kanye West, qui en 2022, alors qu'elle n'avait pas encore 10 ans, montrait déjà en ligne sa routine beauté relativement complexe, digne de la plus that girl des that girls, ou encore à sa cousine Penelope, la fille de Kourtney Kardashian. L'une d'entre elles est d'ailleurs devenue virale en novembre dernier après que le dermatologue américain Brooke Jeffy l'ait republiée, accompagnée d’avertissements commentaires quant à l'utilisation de produits de beauté conçus pour les adultes par les préadolescents. Une mention aussi pour Josie Bickerton, une collégienne du Connecticut. À 13 ans, elle a déjà peaufiné une routine beauté en 13 étapes qu'elle présente régulièrement à sa communauté sur TikTok. Pour acheter les miniatures de ses produits préférés, elle économise méthodiquement argent de poche et petits salaires reçus en échange de baby-sitting. Bien sûr, la frénésie des serum moms et des Sephora kids ne sort pas de nulle part. Elles sont les victimes et chiens de garde d'un marché en pleine expansion : celui des cosmétiques pour bébés, enfants et préados.
Message de service : les bébés aussi ont besoin d'antirides
« La peau des bébés est déjà parfaite. Dior veut leur vendre une ligne de soins », titrait récemment The Guardian. Avoir une belle peau a toujours été l'injonction beauté qui dictait la consommation de l’industrie de la beauté. Aujourd'hui, l’instruction s'applique également aux bébés eux-mêmes. En novembre dernier, Baby Dior a dévoilé une « ligne complète de soins pour les tout-petits ». Il est désormais possible d'asperger les nouveau-nés d' « eau parfumée » aux notes de poire, de rose sauvage et de musc blanc, et vendue à... 230 dollars, ou de les barbouiller d'un lait hydratant pour le corps à 115 dollars ou de mousse pour le visage, le corps et les cheveux pour 95 dollars. La promesse : « faire du rituel du bain de bébé un moment précieux ». De son côté, Sephora s'est mis à cibler les préados. Cela se passe notamment par la distribution de marques vegan comme Drunk Elephant, qui propose des « crèmes conçus pour enfants. » Habituée à travailler avec des célébrités, Barbara Sturm, surnommée « papesse du skincare » par Harper's Bazaar, lance une gamme de produits « essentiels » à destination des bébés. Le tout est vendu 210 dollars, et comprend une crème pour le visage, infusée d'huile de jojoba et d'amande douce.
Pour une « expérience spa ultime », il faudra opter pour la marque Lalo, spécialisée dans les produits pour bébés, et son coffret pour le bain vendu 170 dollars. Si vous ne savez pas vous y prendre pour administrer des soins cosmétiques à une personne de moins d'un an, se rendre sur TikTok pour profiter des conseils d'esthéticiennes expliquant comment exercer un soin du visage sur bébé. Comme on pouvait s'y attendre, les vidéos peuvent être accompagnées de la légende : « petite princesse choyée. » Pour en voir plus, se rendre sous le #babyfacial sur TikTok.
Selon le rapport semestriel de la banque d’investissement Piper Sandler, les dépenses de beauté chez les adolescents ont augmenté de 23 % en 2023, des achats dopés par l’omniprésence des selfies et des contenus en ligne vantant les mérites d'une belle peau. « La prolifération de dermatologues et d'experts en soins de la peau qui prêchent l'importance des ingrédients sur TikTok a donné naissance à une nouvelle génération d’acheteurs de produits de beauté plus avertis que jamais », observe aussi The Business of Fashion. Car pour les Alphas, il n'est plus question d'aller acheter ses cosmétiques en grande surface. D'après les données de Circana, les ventes de produits de beauté de luxe ont augmenté de 13 % en 2023 par rapport à 2022, en partie grâce aux achats des plus jeunes. D'après la BBC, le marché des soins de la peau pour bébés et enfants devrait connaître un taux de croissance annuel d'environ 7,71 % pour finalement atteindre 380 millions de dollars en 2028, pour quelque 160,7 millions d'utilisateurs dans le monde.
Plus à une contradiction près
Comme le note Jessica Delfino, l'industrie de la beauté semble tenter de faire converger tous les consommateurs vers un point unique. Les adultes peuvent choisir entre plusieurs masques inspirés du vernix, substance blanche et visqueuse dont les nouveau-nés sont recouverts à la naissance. Pour 100 dollars, il est possible de se procurer le Rebirth Vernix de Mutha, ou le Creme Masque Vernix de Biologique Recherche pour quelque 200 dollars. Il faut aussi retirer de ces joues le baby fat (graisse de bébé) par le biais de la nouvelle opération à la mode, le buccal fat removal. Pendant ce temps-là, les nourrissons sont priés de bien vouloir se laisser enduire de produits jadis réservés aux trentenaires. « Est-ce que ça a du sens ? Non ! Et ce n’est pas obligatoire, tant que cela rapporte de l’argent », souligne la journaliste.
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