
Une petite faim ? Réfléchissez-y à deux fois, sous peine de déclencher la désapprobation des Yolanda Hadid de ce monde.
Plutôt que de vous mitonner un plat fumeux et savoureux, l'almond mom vous proposera de vous régaler d'un girl dinner préparé dans sa version la plus allégée : une demi-carotte râpée accompagnée de 20 grammes de poireaux bouillis avec en dessert 5 amandes bien lavées. Et bon appétit.
Qui sont les almond moms ?
L'expression almond mom proviendrait d'un épisode de la série de téléréalité américaine The real Housewives of Bervely Hills filmé en 2013 qui a récemment resurgi sur les réseaux. Durant l’extrait, Yolanda Hadid, mère des mannequins Gigi et Bella Hadid, encore inconnues alors, conseillait à sa fille Gigi de « manger deux amandes, et de bien les mâcher » quand celle-ci se plaignait d'être fatiguée. Les scènes durant lesquelles Yolanda recommandait à ses filles de se priver de nourriture étaient un classique de la série, mais c’est l’extrait mentionnant les fameuses amandes qui est passé à la postérité après avoir été froidement analysé quelques années plus tard post-mouvement body positive. Depuis, de nombreuses jeunes femmes ont réalisé avec effroi avoir grandi sous le joug d'une almond mom, à savoir une mère qui surveille de (très) près l'alimentation de ses filles.
L’étiquette « almond mom » (maman amande) décrit désormais les mères qui encouragent de manière plus ou moins virulente l’adoption d’habitudes alimentaires peu recommandables. « En gros, des mères typiquement blanches de banlieue qui ont grandi dans les années 90 et n'ont jamais reconnu souffrir d'un trouble de l'alimentation, alors elles essaient d'impliquer tout le monde là-dedans », résume le Urban Dictionary.
On la reconnaît à quelques caractéristiques : elle recommande invariablement d’attendre 15 minutes pour voir si la sensation de faim ne disparaît pas toute seule (si ce n'est pas le cas, elle préconise de boire un verre d’eau). Face à une assiette normalement remplie, l'almond mom observe qu’ « elle ne pourrait jamais manger autant ». Une fois sortie de table, elle mène une lutte sans merci aux aliments transformés contenant du gras et du sucre, et commente en permanence le corps des femmes qui l’entourent. Bref, elle embrasse pleinement la culture des régimes, et croit fermement que les gens (ses filles en particulier) n’ont pas réellement faim : elles s’ennuient, tout simplement, et un peu d’exercice leur remettrait les idées en place. Selon l'association Eating Disorder Hope, « l’attitude de nombreuses almond moms serait une itération des parents hélicoptères (ndlr : les parents qui ne laissent pas respirer leur progéniture), et ce manque d’autonomie pour être nocifs pour les enfants. »
La minceur comme horizon implicite
D’après Christy Harrisson, diététicienne autrice du podcast Food Psych, la culture des régimes vend l’idée qu’il est louable de dépenser du temps et de l’argent pour rétrécir à un certain gabarit, et que la minceur est synonyme de vertu et de supériorité morale. Une idée qui a été complètement assimilée par les almond moms. Dans sa vidéo sur le sujet, la youtubeuse Chelsea Fagan explique que la minceur est rarement affichée par les almond moms en tant qu’objectif. À la place, elles préfèrent pudiquement parler santé et bien-être, notions suffisamment floues et vagues pour y injecter ce que l’on veut. Les jus de kale et compléments alimentaires ont remplacé les sachets de Slim Fast, mais l’horizon est le même. Cela explique la popularité des régimes keto (dit aussi cétogène), qui vise à induire un état métabolique susceptible de brûler des graisses, et paléo (pour paléolithique), qui invite tout simplement à manger comme un homme des cavernes allergique aux glucides. En deux mots, les almond moms souffrent d'orthorexie, une névrose caractérisée par l’obsession d'une alimentation saine, obtenue notamment par le biais de la privation. Un état qui serait exacerbé par l’usage de réseaux comme Instagram, où pullule la toute-puissante sphère bien-être évaluée par MacKinsey à 1 500 milliards en 2021.
Les mères et Internet : le bordel
Contrairement aux Utah moms qui revendiquent le titre, les almond moms ne se considèrent pas comme telles. On pense toutefois très fort à Gwyneth Paltrow et à son régime à base de bouillon à l'os, ou à la fondatrice de la marque Moon Juice. Sur TikTok, les vidéos liées aux almond moms frôlent le milliard de vues. Sous les #almondmom et #almondmoms, des Z parodient les chantres des oléagineux et des millennials reviennent avec épouvante sur une adolescence passée à batailler avec une mère qui leur répète inlassablement que la tarte aux pommes, c'est une minute sur la langue, et pour toujours sur les hanches (one minute on the lips, forever on the hips). Des railleries que la youtubeuse américaine tient à tempérer, rappelant la pression croissante pesant sur les mères.
Un sondage du Pew Research Center de 2023 indique que 68 % des mères américaines se sentent anxieuses, notamment en ce qui concerne les injonctions sanitaires et alimentaires (parfois contradictoires) relatives aux enfants. « Mélangez les cultures régime et bien-être qui influencent la manière dont les gens perçoivent leur corps et à la pression générale exercée sur les femmes – surtout sur les mères – pour être parfaites, et il n’est pas étonnant que l'almond mom soit l'état par défaut de nombreuses femmes américaines », observe Chelsea Fagan. Et comme Internet raffole des rivalités féminines, une internaute a récemment proposé l'étiquette Butter Mom pour décrire les mamans qui n'ont pas peur de manger le beurre au kilo et d'avaler des burritos sur la plage en guise de petit-déjeuner.
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