Vue de la Tour Eiffel sous la neige

Coup de froid sur le marché immobilier

© Olga Lioncat

Hausse des taux d'intérêt, inflation, crédits refusés, rendement locatif en baisse… Autant de chocs d'ampleur, qui vont avoir un impact négatif sur le marché de l'immobilier.


Cet article est extrait du Livre des Tendances 2023 de L'ADN, 20 secteurs clés de l'économie décryptés.


Pour le marché français de l’immobilier, 2021 a été une très bonne année. Selon le recensement effectué par les notaires de France, 1 178 000 transactions ont eu lieu dans l’ancien contre 1 024 000 en 2020, tandis que 139 600 ventes de maisons individuelles ont été effectuées pour 138 800 sur l'exercice précédent, selon les chiffres du Pôle Habitat de la Fédération française du bâtiment. De très bons résultats.

Seul bémol, l'immobilier neuf n'a pas réussi à rattraper le retard pris lors de la crise sanitaire, lorsque les différents confinements ont mis à l'arrêt les chantiers, faisant ainsi chuter la production de nouvelles unités d'habitation. Avec seulement 116 714 biens achetés dans l’Hexagone, la baisse a été de 11 % par rapport à 2019. Pour autant, le nombre de nouveaux logements mis en vente est actuellement en train d'augmenter, et le déficit se réduit peu à peu.

En 2021, au global, le volume des transactions a progressé de 14,5 % par rapport à la période pré-Covid, tous types de biens confondus. C'est le signe d'une bonne santé retrouvée. Tous les voyants étaient repassés au vert.

Seulement voilà…, en provoquant une forte inflation et une hausse considérable des prix de l'énergie et des matériaux, la guerre en Ukraine est en train de faire piquer du nez au marché de l'immobilier. D'ores et déjà, le baromètre épargne et placements établi par la BPCE prévoit un tassement des ventes dans l'ancien de l'ordre de 5 % d'ici la fin de l'année 2022, qui pourrait atteindre 8,6 % en 2023, ce qui correspondrait à 1 023 000 transactions, et à une baisse importante par rapport à 2021. Et la situation est encore plus mauvaise dans le neuf, avec une chute de 15 % des ventes constatée au premier semestre 2022, selon Meilleurtaux. Pour ne rien arranger, toujours d'après le baromètre de la BPCE, seulement 21 % des Français estiment que la période est propice à un achat, alors qu'ils étaient 27 % à le penser en avril 2020, au plus fort de la crise sanitaire.

Les acteurs de la vente et de la location de biens sont confrontés à des perspectives défavorables qui pourraient, dans un avenir proche, provoquer une récession immobilière. Jusqu'où la dégradation du marché peut-elle aller ? À quoi le secteur doit-il s'attendre ?

La crise du crédit

Selon l'Insee, l'inflation a bondi à 5,2% en moyenne en 2022. En quelques mois, les prix à la consommation ont littéralement flambé, et les Français doivent désormais consacrer davantage de moyens à leurs dépenses du quotidien, ce qui fait mécaniquement baisser leur capacité d’endettement.

En effet, cette capacité est calculée par les banques en fonction du « reste à vivre », c'est-à-dire les moyens dont dispose un emprunteur une fois la mensualité payée, qui est fixée en moyenne à 850 euros pour une personne seule, 1 500 euros pour un couple, et 300 euros supplémentaires par enfant à charge. De ce fait, l'inflation réduit automatiquement le nombre de particuliers réunissant les conditions financières pour obtenir un crédit, de même qu'elle a un impact sur les montants accordés, avec une chute estimée à 15 % en moyenne, toutes modalités de prêts confondues, selon le Crédit Logement.

Et ce n'est pas le seul effet négatif de l'inflation, car, en faisant remonter les taux d'emprunt d'État, elle fait également remonter les taux d'intérêt des crédits immobiliers. Ceux-ci ont presque doublé, atteignant 1,90 % hors assurance pour les remboursements sur vingt ans, et 2,30 % avec assurance, ce qui représente 0,70 % de plus depuis le début de l'année. Et rien ne laisse entrevoir une baisse.

Dernière ombre à ce tableau particulièrement noir, les banques exigent désormais que les candidats au crédit possèdent une épargne résiduelle équivalente à six mensualités, en complément de leur apport personnel, car, dans un contexte économique incertain, le risque de défaillance des remboursements a considérablement augmenté.

En peu de temps, la guerre a balayé cinq années particulièrement favorables aux transactions en rendant l'argent plus cher et les conditions de prêt plus strictes. Une situation qui désavantage les particuliers les moins favorisés, avec un double verrou qui peut désormais bloquer leur accession à la propriété.

Ce qui se vérifie d'ailleurs dans les chiffres… Actuellement, d'après une étude de l'AFIB (Association française des intermédiaires en bancassurance), près de 50 % des dossiers essuient un refus. La raison est à chercher du côté du taux d'usure – la limite au-delà de laquelle il est interdit d'accorder des fonds – qui est situé à 2,57 % pour les prêts sur vingt ans. Or, si les dossiers les plus solides peuvent obtenir un taux à 2,30 %, les plus fragiles dépassent le seuil autorisé et sont refusés.

Autre problème, alors que la Banque de France compte relever à 3 % le taux d'usure pour apporter une solution, cette mesure a toutes les chances de rendre les crédits encore plus chers, car les banques auront une plus grande marge de manœuvre pour réhausser le montant de leurs intérêts.

Tout indique que la situation est critique. Alors que les prix restent déraisonnablement stables, la baisse du volume et du montant des crédits immobiliers ne peut qu'entraîner une baisse du volume et du montant des ventes de biens, et ce alors même qu'un autre phénomène pourrait tirer un peu plus le marché vers le bas.

La décélération du neuf

L’inflation pèse aussi sur le prix des matériaux de construction, car l'énergie servant à les transporter ou à les transformer est plus chère. Ainsi, selon la Capeb (Confédération des artisans et des petites entreprises du bâtiment), le montant à débourser pour acquérir des éléments en acier a grimpé de 25 % depuis janvier 2022. Cette hausse vaut également pour le bois, le béton, les isolants, l’aluminium, le ciment, les briques, les moellons, le plâtre, les tuiles, avec un surcoût bien réel répercuté sur le prix des chantiers.

Or, il faut savoir que l’indice BT01, inscrit aussi bien dans les contrats de construction de maisons individuelles (CCMI) que dans ceux des ventes d’appartements en l’état futur d’achèvement (VEFA) prévoit une révision des prix en fonction de l'évolution des coûts d'un projet. Cet indice, calculé par l'Insee, est passé de 118,5 points en août 2021 à 126,4 points en mai 2022, puis 127,7 points en juillet. En un peu moins d'un an, il aura augmenté de près de 10 %.

À cela il faut ajouter un autre frein, celui des réglementations environnementales. En effet, la RE2020, qui est entrée en vigueur le 1er janvier 2022, prévoit une transformation coûteuse des techniques de construction pour tendre vers la sobriété énergétique. Selon les estimations du gouvernement, la RE2020 pourrait entraîner un surcoût de 10 % par rapport à la RT2012. De fait, cette nouvelle norme fait elle aussi grimper le prix des chantiers, et va avoir des incidences sur l'évolution de l'indice BT01.

Concrètement, tout cela a induit une hausse dans le neuf de 4,9 % pour les appartements et de 5,2 % pour les maisons individuelles au deuxième trimestre, selon le ministère de la Transition écologique. Combinée à un accès au crédit plus cher et plus compliqué, cette évolution est catastrophique. Toujours selon le ministère, la commercialisation de nouveaux logements est en chute libre, avec un retrait de 11,7 % par rapport à la même période en 2021. Une véritable saignée.

Pour autant, alors que les effets de la RE2020 seront permanents puisque le respect de la norme est désormais obligatoire, ceux de l'inflation demeurent incertains, car l'augmentation des prix pourrait tout à fait connaître un tassement… Mais à l'heure actuelle, aucun économiste n'est en mesure de prévoir de façon fiable comment elle évoluera à court ou moyen terme. Le marché de l'immobilier doit donc naviguer dans le brouillard, en essuyant, pour l'instant, un fort vent contraire, avec pour perspective une importante contraction des ventes du neuf. Et les problèmes du secteur ne s'arrêtent pas là.

Le marché locatif à la peine

Comme si tout cela ne suffisait pas, le marché locatif est lui aussi en plein désarroi, car, dernière conséquence de l'inflation, le rendement des biens est devenu négatif, et ce quelle que soit leur typologie. Par exemple, à Paris, ce rendement est en moyenne de 3 % brut, bien en dessous des 5,9 % d'augmentation des prix à la consommation, ce qui veut dire que la location ne fait plus gagner d'argent aux bailleurs. Dans ce contexte, ceux-ci pourraient être légitimement tentés d'augmenter les loyers, mais les locataires disposent, de facto, de moyens restreints pour louer, ce qui pourrait faire bondir les impayés.

Et pour enfoncer un peu plus le clou, la loi Climat et Résilience, qui entend lutter contre les passoires thermiques, complique la vie des bailleurs en interdisant la location des biens énergivores, ou en demandant des investissements importants de remise aux normes.

Le résultat est là encore catastrophique. Selon une enquête réalisée par la plateforme Bien’ici, seulement 25,5 % des annonces immobilières concernent désormais la location, alors que ce chiffre était de 34,75 % en 2019… La pénurie est réelle. En cumulant rendement négatif et investissements locatifs imposés, un nombre croissant de propriétaires préfèrent vendre leur bien plutôt que de le louer.

Vers une autre approche ?

Ventes en chute libre dans le neuf, tassement dans l'ancien, marché locatif en grande difficulté… Le secteur semble être à l'aube d'un tsunami immobilier, avec le risque d'une situation bien plus dégradée qu'aujourd'hui. De fait, la solution pourrait se trouver là où on ne regarde pas de prime abord… L'attrait grandissant des acquéreurs pour des biens dont les prix restent contenus, comme ceux situés dans certaines villes moyennes ou en zones rurales, de même que le succès rencontré par l'habitat participatif et l'écologement pourraient apporter du dynamisme en faisant évoluer la typologie des achats.

Cependant, étant donné la gravité de la crise actuelle, le retour à une trajectoire favorable ne peut guère faire abstraction d'une baisse des prix, car rien n'indique que l'accès au crédit va s'améliorer. Après des années de croissance soutenue, les acteurs de l'immobilier pourraient trouver une porte de sortie dans une autre approche, plus raisonnée et plus raisonnable.

Arnaud Pagès

Après des débuts à Technikart à la fin des années 90, Arnaud Pagès rejoint la rédaction de Clark Magazine au début des années 2000, puis devient journaliste indépendant pour de nombreux magazines, dont Nova Mag, Konbini, Vice, Usbek & Rica et Slate. Il rejoint L'ADN en 2019 en tant que rédacteur en chef indépendant des Livres de tendances.
commentaires

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  1. Avatar Anonyme dit :

    Je me demande qui est derrière de tout les problèmes ?!

  2. Avatar Philippe dit :

    Nouveau phénomène, les problèmes d'énergie font que les acheteurs de maisons individuelles regrettent leurs acquisitions et souhaitent revenir en en centre-ville. Malheureusement ils n'en auront plus les moyens.

  3. Avatar Anonyme dit :

    L'immobilier, sauve qui peut !!!!!

  4. Avatar Anonyme dit :

    beaucoup finirons en camping car.

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