Des colis en train d'être préparés

Pourquoi la préparation de colis obsède les réseaux sociaux

© @annasjewelleryxo / @mermaidstraw

Sur TikTok et Instagram, les internautes sont friands de vidéos de « packing », pour leur côté visuellement satisfaisant, et le lien qu’elles créent avec les petits e-commerçants. 

Dans un petit atelier foisonnant mais organisé, on suit les gestes méticuleux de Léonie. Écouteurs sur les oreilles, parfois accompagnée de l’un de ses enfants, l’entrepreneure prépare des furoshikis, des carrés de tissus coupés dans des draps vintage, pliés selon une méthode japonaise. Elle y place les vêtements que ses clientes achètent sur son e-shop, ainsi que de petits goodies : bonbons, autocollants, pin’s uniques choisis selon la cliente. La scène se déroule chaque semaine sur TikTok et Instagram. Souvent la jeune femme ajoute une touche humoristique. Dans une vidéo, elle révèle écouter Christophe Hondelatte en boucle lors de ses sessions emballage, dans une autre elle exécute une petite danse. Léonie Leondaridis est la fondatrice de la marque Chez Marcel. Elle chine et revend des vêtements vintage pour les petits. Sur son compte elle montre les coulisses de sa petite entreprise. Et l’emballage des commandes en est une partie importante. 

« Cela permet aux clientes de voir vraiment comment je travaille », explique-t-elle. Pour Léonie l’intérêt est de donner confiance, montrer qu’elle soigne ses emballages – « la qualité peut faire peur quand on achète de la seconde main », précise-t-elle. Et de faire savoir qu’elle promeut le zéro déchet : les cartons sont de seconde main, le tissu est privilégié au plastique jetable, le papier bulle est en matériau recyclé. Et puis ces vidéos fonctionnent. « Les vidéos où je travaille marchent toujours bien ». 17 000 vues sur Instagram pour un Reel où on la voit emballer des colis en écoutant Hondelatte, contre plutôt 3 000 vues habituellement. 

Le doux bruit du papier de soie

Le packing est en effet devenu une tendance montante sur les réseaux sociaux. Sur TikTok le hashtag #packingorders qui rassemblent des vidéos d'e-commerçants (souvent de petites enseignes) emballant des colis cumulent plus de 9 milliards de vues. Souvent les vidéos adoptent un angle très ASMR. Le processus d’emballage est filmé en gros plan, on entend distinctement les bruits du papier de soie que l’on découpe, du carton que l’on plie… Car peu d’emballages sont zéro déchet comme ceux de Léonie, il faut le dire. 

Certains poussent le concept bien plus loin. Mermaid Straw, e-shop de pailles en métal réutilisables et de gourdes, fait des vidéos personnalisées. Lisa Harrington, sa fondatrice, se filme en train d’emballer le colis d’un client en particulier puis poste la vidéo sur TikTok. Chaque tournage lui prend deux heures, rapporte Wired. En commentaires, plusieurs clients lui envoient leur numéro de commande, la suppliant de mettre une vidéo de leur colis en ligne. 

L’unboxing inversé

D’autres font même payer ce processus. Brittney Applegate, à la tête de Sunshine and Scoops qui vend de petits gadgets et accessoires « kawaii », facture 8 dollars aux clients qui souhaitent avoir une vidéo personnalisée de la préparation de leurs achats. Et ils sont demandeurs. Lors de son interview pour Wired, l’entrepreneure devait filmer 70 vidéos, et en éditer 94. 

Cette tendance du packing est une sorte de version inversée de l’unboxing, qui a longtemps fait la joie des internautes. Dans ces vidéos nées dans les années 2000, on voit des influenceurs déballer d’énormes colis, remplis de toutes sortes de biens de consommation, offerts ou non par des marques. Ces vidéos n’ont pas déserté le Web d’ailleurs - puisqu’elles renaissent sous la forme de « haul », où des clientes déballent des dizaines de vêtements achetés souvent à une seule et même marque (de fast fashion généralement). 

Une relation parasociale avec un e-commerçant 

Le packing a tout l’attrait de « l’unboxing, mais avec en plus le sentiment que l’on prépare quelque chose spécialement pour vous », explique Pamela Rutledge, psychologue, spécialiste des médias interrogée par Wired. « Le cerveau réagit davantage à l’anticipation d’une récompense qu’à sa réception ». La psychologue imagine que ses vidéos permettent également aux clients de créer une sorte de relation parasociale avec les vendeurs et vendeuses. Leurs achats deviennent plus intéressants et personnels, moins instantanés aussi d’une certaine manière. Les relations parasociales désignent les liens que l’on crée avec des personnalités publiques, et plus largement aujourd’hui toutes personnes un peu influentes sur un réseau social. 

Léonie Leondaridis abonde. « Je n’ai pas de boutique, donc je n’ai pas d’autres moyens de créer du lien avec mes clientes. Les vidéos sont une façon de créer un capital sympathie, de montrer que je prends du plaisir à faire les colis, et que je cherche à leur faire plaisir. La moitié de mes clientes sont des clientes fidèles, donc choisir un pin’s pour elle, personnaliser les colis est aussi un moyen de montrer ma reconnaissance. » La chineuse professionnelle basée à Barcelone y voit aussi un côté très pragmatique. « Cela permet de créer du contenu facilement sur les réseaux sociaux, puisque les colis font partie de mon quotidien. »

Certaines marques font d’ailleurs de ces vidéos de packing leur seul support marketing. À l’instar de Lisa Harrington et ses pailles en métal qui ne paye plus aucune pub sur les réseaux sociaux. Elle gagne de nouveaux clients uniquement grâce à ce type de vidéos qui cumulent entre 20 000 et 3 millions de vues sur son compte TikTok. 

Marine Protais

À la rubrique "Tech à suivre" de L'ADN depuis 2019. J'écris sur notre rapport ambigu au numérique, les bizarreries produites par les intelligences artificielles et les biotechnologies.
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