Vendu 9,99 euros, le pull de Noël 100 % acrylique de Lidl s’arrache depuis sa mise en vente en Belgique. Que nous dit cet emballement de l’époque et de la mutation de ses codes ?
Les couleurs sont criardes, le motif principal reprend le logo de l’enseigne Lidl et l’ensemble est de facture relativement médiocre. Pourtant, ce pull Lidl s’arrache. Il est même en rupture de stock depuis sa mise en vente fin novembre en Belgique. Un engouement qui laisse présager le même effet d’emballement en France, où il sera mis en vente dans moins d’une semaine. Cette nouvelle opération marketing reprend le principe des succès obtenus par l'enseigne avec les sneakers et les claquettes siglées du logo Lidl. L’enseigne allemande récidive donc, illustrant une nouvelle fois sa capacité à jouer avec les codes de l’époque, de la célébration du « goût du moche » jusqu'à l'exploitation des nouvelles pratiques numériques comme le conso’trading.
« Drop Culture »
Le modèle d’affaire qui consiste à mettre en vente un objet en quantité très limitée, tout en suscitant l’intérêt à grand renfort de communication porte un nom : la « drop culture » . Il a fait les beaux jours de certaines marques de streetwear ou de mode de luxe, comme Supreme et Balenciaga. Une fois le stock limité de produits écoulé, les exemplaires s’échangent sur des sites de revente beaucoup plus chers. Car en économie de marché, la rareté a un prix. Le pull Lidl n’est pas encore disponible en France, mais il se revend déjà sur eBay jusqu’à 50 euros, soit cinq fois son prix de vente initial. La « drop culture » fait ainsi le bonheur des conso’tradeurs, ces individus jeunes, voire très jeunes, qui se saisissent des objets de consommation (souvent les baskets ou les habits de marque) comme d’actifs sur lesquels spéculer. Un paradigme qui illustre les nouvelles pratiques de consommation propres au capitalisme numérique. En intégrant ces usages dans son marketing, l’enseigne allemande joue donc avec habileté avec les codes de l’époque, tout en s’assurant de solides retombées en termes de communication.
Tendance du « schlag »
De l’aveu même de l’enseigne, ce pull a été pensé pour jouer « sur les codes de l’extravagance et du kitsch ». Lidl a donc parfaitement intégré qu’aujourd’hui, le « schlag » est tendance et fait vendre. Une tendance qu’analyse parfaitement Alice Pfeiffer dans l’ouvrage Le goût du moche (Flammarion, 2021). Comme l’explique la journaliste, habituée à traquer le politique derrière l’anecdotique, ce retour d’une esthétique du mauvais est aussi un révélateur des tensions entre les classes sociales. Des codes esthétiques habituellement associés aux classes populaires entrent en concurrence avec les normes bourgeoises de la mode, comme c’est le cas par exemple avec la tendance Y2K. En l’espèce, Lidl, enseigne longtemps associée au cheap et aux fins de mois difficiles, réussit à se déporter sur le terrain très fermé de la hype et de la rareté habituellement associé au luxe. En ayant su se rendre désirable autrement que pour ses prix bas, l'enseigne opère un déplacement qui tient autant du coup marketing que de la revanche symbolique.
Revanche de classe
Ce déplacement peut être vu comme une forme de revanche de classe. « Lidl promet à sa clientèle la fin du déclassement et de la honte sociale. Elle n’est plus composée d’acheteurs lambda qui se rendent en loucedé dans un magasin froid, distant et avare en communication. Tel le Futé d’Agence tous risques, ils sont à l’affût des bons plans et font des achats tendance sans que leurs comptes en banque fassent des loopings », analyse le journaliste Balla Fofana dans Libération. Il est d'ailleurs intéressant de remarquer que dans un contexte économique morose, marqué par l'inflation, la stagnation des salaires et donc la perte de pouvoir d'achat, les marques de hard-discount ont perdu leur caractère stigmatisant. Aldi, un concurrent de l'enseigne Lidl, a également gagné en popularité. Jusqu'à susciter aux États-Unis la formation d'une communauté et d'une subculture propres à la marque.
Le phénomène Lidl reste pourtant sujet à interprétations diverses. Certains y verront l’habileté stratégique d’une marque les deux pieds dans son époque, audacieuse dans sa capacité à parier sur une subversion esthétique bankable. D’autres tireront un plaisir ironique à contempler le triomphe d’une forme de vacuité, symptomatique du culte aveugle de la consommation. Et d’autres encore enchériront sur eBay.
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