Un homme de dos face à une montagne recouverte de neige

Écofascisme : écologie et extrême droite, l'histoire d'amour qui prend de l'ampleur

© Joshua Earle

Spécialiste des idéologies extrémistes, le chercheur Mathieu Colin décortique les liens historiques entre extrême droite, néonazisme et écologie racialisée.

Des manifestants à Charlottesvilles qui défilent en chantant « blood and soil » (le sang et le sol), des slogans qui invitent sur Telegram à « tuer les envahisseurs » pour « sauver l’environnement » et « sauvez les abeilles pas les migrants ». Contrairement aux idées volontiers véhiculées, le déploiement d’une écologie « punitive » et « dure » n’est pas l’apanage de la gauche. Du côté de l’extrême droite, une écologie naturaliste et essentialiste existe depuis plusieurs siècles, et elle est autrement plus violente que chez les militants de gauche. Entre les effets du dérèglement climatique plus palpables que jamais et la recrudescence de l'extrême droite qui provoque une augmentation de plus de 300 % des attentats aux États-Unis depuis 2017, une « perfect storm » alimente une idéologie aussi composite que haineuse : l'écofascisme, un concept populaire aux États-Unis qui infuse de plus en plus en France. Chercheur à l'université de Montréal et à l'université de Sherbrooke, Mathieu Colin analyse les ponts narratifs entre écologie et extrême droite, et revient sur l'histoire dans laquelle s’inscrit le mouvement.

Quels sont les ponts reliant extrême droite et écologie aujourd'hui ?

Mathieu Colin : Il y a en a plusieurs, d'ordre narratif. Le changement climatique s'est imposé comme enjeu majeur et les groupes d’extrême droite comme l'alt-right se sont emparés de la question, de manière opportuniste ou intégrée idéologiquement. Née aux États-Unis au détour des années 2000 sous la houlette d'idéologues ultra­nationalistes comme Richard Spencer comme une alternative à la droite conservatrice classique, l'alt-right véhicule volontiers un discours écologique. En effet, l'alt-right considère que la droite nationaliste ou conservatrice traditionnelle – dont elle cherche à se détacher – est étroitement reliée au capitalisme, ce qui la rend responsable de la destruction de l’environnement. Rappelons que l'alt-right est un mouvement hétérogène né en ligne et rassemblé autour de valeurs communes comme le suprémacisme blanc, l'antisémitisme et l'ethno-nationalisme. Par ailleurs, ce mouvement poursuit un but méta politique. La notion de méta politique a été pensée au début du 20ème siècle par l'essayiste italien marxiste Antonio Gramsci. Elle induit l’idée selon laquelle les combats politiques se mènent d’abord sur le terrain culturel. En ce qui concerne l'alt-right, cela signifie que le mouvement entend s’élever politiquement en s'appropriant les combats écologiques.

Quels exemples en Europe ?

M. C : On pense entre autres à la Nouvelle Droite française, qui dès les années 60, sous l'égide de son fondateur Alain de Benoist, appelle à la reconnaissance de l'ethno-pluralisme ou bio-nationalisme, à savoir la reconnaissance d'une diversité ethnique, si ce n'est raciale, et de la possibilité de créer des enclaves territoriales préservées. L'Amérique du Nord compte de nombreux exemples de ces bio-régionalismes, où depuis les années 60-70 des groupes d’extrême droite fondent des communautés autarciques et autosuffisantes en réactivant certains mythes issus du romantisme allemand. C'est le cas par exemple en Colombie-Britannique de La Cascadia, une utopie récupérée par des activistes d'extrême droite ayant donné naissance à une communauté autonome, pour qui la préservation de l'environnement est liée à la préservation d'un peuple qui doit vivre séparé des autres ethnies.

Une frange de l'extrême droite, l'écofascisme, est encore plus radicale. Comment cet extrémisme se traduit-il ?

M. C : Par des attentats très meurtriers : l'attaque de Christchurch, fusillade commise en 2019 par Brenton Tarrant contre deux mosquées à Christchurch en Nouvelle-Zélande, et celle d'El Paso, perpétuée par Patrick Wood Crusius et visant des Mexicains. Dans les deux cas, les terroristes se décrivent comme des éco-fascistes. Dans son manifeste, Brenton Tarrant écrit qu'il n'y a pas d'autre nationalisme que le nationalisme vert (green nationalism), concept dont se réclame aussi Patrick Wood Crusius : il dénonce la surpopulation et légitime son geste par son intention de réduction de la population non blanche pour sauver la planète. Ici, pas d’opportunisme, mais un concept, l'éco-fascisme, idéologiquement intégré et facilement assimilable par l'extrême droite. Dans ce paradigme, l’immigration de masse et le fantasme du grand remplacement sont directement liés à la destruction de l'environnement par des populations ayant des taux de natalités bien supérieures à ceux des populations blanches occidentales. L'éco-fascisme réactive des peurs découlant de la deep ecology (l'écologie profonde), un mouvement né dans les années 60-70 qui défend l'idée que la planète et les animaux se porteraient mieux avec moins d'humains. Il faudrait à ce titre encourager des réformes et actions qui réduiraient la population. Certains penseurs de l'idéologie, comme l'écrivain finlandais Pentti Linkola, participent à l'agrégation entre deep ecology et extrême droite, en prônant l'arrêt de l'immigration, le génocide et la réduction drastique de la population.

Dans quelle histoire ces croyances s'inscrivent-elles ?

M. C : Les croyances mêlant écologie et droite raciste remontent à l'Allemagne du 19ème siècle. Imprégnées de romantisme, elles émergent en réaction face aux Lumières et remettent en cause l’industrialisation et l'urbanisation, perçue comme une destruction de l’habitat naturel et des valeurs rurales et agraires traditionnelles de certains peuples. C'est là que se coagulent les mouvements völkisch, à traduire par ethno-nationalisme. Inspirés du romantisme allemand, ces mouvances lient protection de la nature et de l’environnement à la protection de la race. En 1866, le chercheur allemand Ernst Haeckel forme le terme écologie, pensée alors comme l'étude de l'interaction entre environnement et organismes. Antisémite convaincu, défenseur des doctrines eugéniques, et proche des mouvements völkisch, Ernst Haeckel introduit la notion de darwinisme dans le pays et entremêle la protection de l’environnement à celle de la race : à ses yeux l'essence et la pureté de cette dernière découlent directement de l'environnement. À la même époque, certains auteurs völkisch affirment que les forêts constituent l'essence même du peuple allemand, et que leur destruction liée au capitalisme, à l’industrialisation et à l'urbanisation – supposément orchestrées par les Juifs – serait contraire à l'éthos du peuple allemand. Ces idées qui infusent à la fin du 19ème siècle influencent profondément le Parti national-socialiste des travailleurs allemands, notamment au travers de la fameuse « aile verte » du parti nazi chapeauté par Richard Walther Darré, ministre de l’agriculture jusqu'en 1942, et Rudolph Hess. Notons au passage qu'Himmler avait été enthousiasmé par certaines idées portées par les mouvements völkisch : le concept de Lebensraum (biotope en allemand, qui sera entendu comme « espace vital » par le nazisme) en découle d'ailleurs directement. L'Allemagne est vue comme disposant d'espaces vitaux au sein desquels protéger la ruralité et les terres agricoles est nécessaire pour préserver le peuple allemand. Dans l’idéologie nazie, la protection de l’environnement est hautement racialisée, naturaliste et mystique : il n'y a pas de protection de l’environnement par conscience écologique pure, comme le rappelle l’historien Johann Chapoutot spécialiste d'histoire contemporaine et de nazisme. N’oublions pas, comme le précise l'historien, que l'idéologie nazie est avant tout productiviste, et le discours environnementaliste n’empêche pas la destruction de la nature au nom de la mise en marche d'usines ou de construction de camps.

Comment s'exportent ces idées et comment se développent-elles après la chute du IIIème Reich ?

M. C : Si l'aile verte du parti nazi est progressivement marginalisée par l'État-Major du IIIème Reich, Richard Walther Darré popularise en 1930 le concept de blood and soil (le sang et le sol) via son ouvrage du même nom, concept déjà présenté par les mouvements völkisch et qui deviendra le slogan du régime. Aux États-Unis au début du 20ème siècle, Maddison Grant, avocat et conseiller de Theodore Roosevelt, œuvre pour la promulgation des grands parcs nationaux tout en poussant pour l'adoption de doctrines eugénistes. Fortement influencé par Ernst Haeckel, il publie en 1916 The Passing of The Great Race, qui présente une classification des ethnies et fera grande impression sur Hitler. À partir des années 60, ces idées percolent avec les thématiques soulevées par la deep ecology, donnant naissance par exemple au mouvement Earth First !, né de la peur de la surpopulation et de la radicalisation de la conscience écologique. Encore aujourd'hui, ces notions nourrissent le discours qui préconise la réduction de la population ou le génocide de certains peuples au nom de la protection de l'environnement.

Comment ces discours sont-ils recyclés aujourd'hui, et par qui ?

M. C : Il y a tout d'abord la partie visible de l'iceberg : aux États-Unis, le conseiller Stephen Miller a poussé Donald Trump à durcir ses politiques migratoires pour des raisons écologiques. En Europe, cela passe par une réappropriation opportuniste du discours écologique par l’extrême droite, notamment par le Rassemblement National, qui lors des dernières élections a lié l'immigration à la protection de l’environnement. La partie immergée de l'iceberg, c'est le discours porté par l'alt-right et par des groupes terroristes, néonazis et accélérationnistes, des groupes qui veulent exacerber les tensions intrinsèques au système pour le faire imploser et causer une guerre raciale. C'est le cas de groupes comme la Atomwaffen Division, The Base ou Green Brigade. Pour ces groupes, faire exploser le système revient à se débarrasser du capitalisme et des populations inférieures tout en réglant par la force et la violence la question de la surpopulation et du réchauffement climatique. Parmi les figures hétéroclites régulièrement invoquées par le mouvement éco-fasciste, mouvement loin d'être monolithique : le finlandais Linkola, l'aile verte du parti nazi avec le concept de blood and soil. Il faut aussi compter avec l'influence de l'hitlérisme ésotérique, avec des auteurs comme la franco indienne Savitri Devi Mukherji, et le baron italien Giulio Cesare Evola, qui défendent l'ethno-pluralisme et luttent contre la modernité.

Une branche de ces groupes radicaux se présente aussi comme néopaïenne, pourquoi ?

M. C : Oui, c'est le cas des Granola Nazies, qui portent une critique du christianisme ayant posé l'Homme au centre de la civilisation. Plébisciter des religions païennes équivaut à revenir à des idéologies participant à une sacralisation de la nature et de la ruralité qui dépossèdent l'Homme de l'environnement. La nature est sacralisée dans le discours d’extrême droite car elle est profondément inégale. De fait, le darwinisme social repose sur l'idée d'une loi naturelle, le bio-centrisme, par laquelle la nature, profondément anti-égalitariste, effectue un tri entre les forts et les faibles.

Quels sont les canaux en ligne où se coagulent ces idéologies ?

M. C : Les groupes les plus extrêmes à visée terroriste sont surtout présents sur des réseaux peu modérés comme Telegram. Sur l' « Ecogram », un ensemble de chaînes dédiées à l'écofascisme et à l'apologie de la deep ecology, du suprémacisme et de la nature, on véhicule beaucoup de propagande visuelle, par le biais de mèmes citant par exemple le slogan blood and soil. D'autres esthétiques plus mainstream et médiatisées ont été mobilisées sur Twitter par des partisans de l'alt-right. On pense au Pine Tree Gang, un réseau informel de comptes éco-fascistes qui se repéraient entre eux grâce à l'insertion de l'émoji pin dans leur bio Twitter.

Laure Coromines

Laure Coromines

Je parle des choses que les gens font sur Internet et dans la vraie vie. Fan de mumblecore movies, de jolies montagnes et de lolcats.

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commentaires

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  1. Avatar Bernard dit :

    Bonjour,

    Certaines parties du programme de "eelv" est issu du programme du "nsdap" concernant la pureté
    de la nature et son retour dans les campagnes pour y cultiver son potager...

  2. Avatar Anonyme dit :

    Donc les groupes d'extrême droite agissent comme des groupes d'extrême droite, mais commencent à être conscients des enjeux climatiques... C'est plutôt une bonne nouvelle ! Ça reste des cons sanguinaires, mais au moins ils sont moins débiles que ceux qui nient totalement le réchauffement climatique alors qu'on bat tous les records de chaleur et que la banquise arctique est bientôt complètement fondue (et c'est pas à cause de l'été)...

  3. Avatar Pierre dit :

    Bonjour,
    au delà du sujet de l'écologie, je suis toujours surpris d'entendre ou de lire que l'extrême droite moderne aurait un lien quelconque avec le nazisme... le parti national socialiste était... socialiste, comme son nom l'indique, et revendiqué comme tel par son créateur.
    Un malade mégalomaniaque n'a pas besoin d'étiquette politique pour être un tyran mortifère. La question est plutôt: comment se fait-il qu'on lui donne du pouvoir ?

  4. Avatar Anonyme dit :

    N'importe quoi cet article, je ne connais pas un seul écologiste raciste ni un seul raciste écologiste, en général, c'est le contraire... nauséabond même cet article... Par contre des liens entre le néolibéralisme et le fascisme, il y en a plein...

  5. Avatar Ghislain dit :

    Ce commentaire est inutilement haineux, on pourrait aussi bien dire avec aussi peu de fondement que la généralisation des potagers est issue du programme des liberty gardens développés pendant la deuxième guerre mondiale pour lutter précisément contre le nazisme.

  6. Avatar Laurent Roussel dit :

    C'est fou cette tendance à qualifier d'extrême tout ce qui déplait à l'ultra-libéralisme

  7. Avatar Anonyme dit :

    En réponse à Bernard : de l'art du confusionnisme ! je ne connais pas , en France , de parti politique plus éloigné de la xénophobie et du suprémacisme , marqueurs traditionnels de l'extrême droite , que EELV précisément , dont les militants sont très présents , avec constance , dans le soutien aux luttes des Sans Papier , par exemple . Et la recherche d'une relative autonomie alimentaire par la valorisation du jardinage potager et des circuits courts de type AMAP n'a rien à voir avec la religion pétainiste de la Terre dans les années Vichy ! C'est simplement un des chemins d'avenir soutenable dans une société démondialisée , càd émancipée de la toute puissance des multinationales capitalistes .

  8. Avatar Anonyme dit :

    Le déni c'est bien et les belles tirades que l'on voit partout chez les parties de gauche du type "fantasme du grand remplacement".. sortez dans la rue ou soyez laissé seul dans les quartiers islamiques et on en reparlera...
    Vous êtes écœurants...la notion d'espèce invasive est écologique est une réalité et elle pourrait aussi bien s'adapter à l'humain.

  9. Avatar Le Meur dit :

    Je suis ennuyé par la dénonciation des différents fascismes. On a l'impression que ce serait tout le monde, sauf celui qui énonce cette condamnation. Ca ressemble furieusement à un anathème et à vouloir sauver la "gauche". Tant que "la gauche" est industrialiste et productiviste, je ne fais pas de différence avec la droite. Mon ennemi c'est l'utilitarisme et l'industrialisme.
    Je ne me reconnais dans aucun des trucs décrits ici, mais je suis écologiste et je crois qu'on doit accompagner la baisse de la natalité. L'auteur semble dire que ce serait de l'alt right ! Politis a aussi fait un numéro pour dénoncer l'écofascisme où ils mettent pêle mêle de Benoist (OK) et Pierre Rabhi (pas OK). Un tel simplisme fait plutôt le jeu du confusionnisme. Et donc de cette extreme droite. Surtout du confusionnisme intellectuel.

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