
À L’Avant Galerie Vossen, le studio u2p050 propose des images d’hommes et femmes politiques s’embrassant eux-mêmes, et une réflexion autour de l’intelligence artificielle. Rencontre.
Emmanuel Macron embrassant langoureusement Emmanuel Macron. L’image peut être vue rue Chapon dans le 3ème arrondissement de Paris, exposée à L’Avant Galerie Vossen. On y voit aussi Donald Trump se donnant un peu de self-love. Tout comme Jean-Luc Mélenchon, Sandrine Rousseau ou encore Elon Musk. Peu de passants sont indifférents. Certains s’arrêtent, pouffent de rire. D’autres trouvent ça très drôle ou un peu idiot. Les images évoquent forcément le baiser de Léonid Brejnev et d’Erich Honecker, immortalisé sur le mur de Berlin. « Notre but ici c’était de montrer en une image le narcissisme politique », explique Edith Stragon, l’une des artistes cofondatrices du studio u2p050, à l’origine de ces photos.

Sortir les IA des écrans
Ces images ont été générées, vous vous en doutiez, par une intelligence artificielle. Plus précisément par le logiciel Stable Diffusion, qui permet de créer un visuel à partir d’un simple texte. Ce travail autour des IA et de la politique est exposé du 22 juin au 4 juillet dans la galerie parisienne. Mais aussi dans les rues de Paris, sous forme d’affichages sauvages et de performances d’hommes-sandwichs. « On voulait sortir ces images des écrans », note Michel Nerval, cofondateur. L’idée : créer une interaction avec les spectateurs. À l’intérieur de la galerie, les photos sont accompagnées d’un univers sonore : de faux spots publicitaires prononcés par des voix d’hommes et de femmes politiques, elles aussi générées par intelligence artificielle. Donald Trump vous y propose par exemple de bonnes promos.
L’idée des politiques s’embrassant eux-mêmes est volontairement invraisemblable. « On est encore à un moment de trouble entre les images générées par IA et la réalité, bientôt on ne pourra plus les distinguer, juge Michel Nerval. Là, le but était que cela soit facilement reconnaissable comme une fausse image. »
« Ce sont les bugs qui nous intéressent »
Ces artistes spécialistes des outils numériques ont pu observer de très près les avancées de l’IA. « Au début (vers 2018, Ndlr), on utilisait la technologie GAN (des « generative adversarial networks » ). Il fallait toucher un peu au code, et cela donnait des images étranges, qui ne ressemblent pas tout à fait à ce qui se fait aujourd’hui. On voit déjà différents courants esthétiques de l’IA selon les périodes et les logiciels utilisés », explique Edith Stragon. Aujourd’hui la mode est aux images hyperréalistes. Mais u2p050 a préféré s’en éloigner un peu pour cette dernière exposition. « Ce sont les bugs qui nous intéressent. » Par exemple, en forçant Stable Diffusion à générer une image plus grande, des répétitions apparaissent.

Le studio a utilisé la version classique de Stable Diffusion, mais a aussi enrichi le programme d’une base de données constituée par ses soins. Sinon le logiciel était dans l’incapacité de générer des images de certains hommes politiques français. « Stable Diffusion ne connaît pas Mélenchon », précise Michel Nerval.
Un faux documentaire sur l'assaut du Capitole
Ce studio démonte aussi l’idée reçue que l’intelligence artificielle anéantit le travail de l’artiste. Pour eux, c’est surtout un nouveau terrain, un nouveau médium « à triturer » . Leur projet en cours intitulé You're very special est un faux documentaire sur l'assaut du Capitole le 6 janvier 2021 uniquement produit avec des images « artificielles ». À partir de tweets de Donald Trump, d’extraits de rapports de comité d’experts et d’autres textes au sujet de l’évènement survenu après l’élection présidentielle américaine, le studio a généré des images avec Stable Diffusion, puis les a rassemblées en un film de quelques minutes. « C’est un travail titanesque », explique Michel Nerval. « On choisit des phrases très descriptives, qui témoignent d’une ambiance, d’un imaginaire autour de ces évènements », complète Edith Stragon. Le résultat est troublant. Se mêlent des éléments anachroniques comme des hommes en uniforme du XVIIIème siècle, des manifestants qui deviennent l’image suivante des policiers, des scènes de guerre futuristes. « Nous choisissons toujours notre outil selon le sujet que nous choisissons. Ici l’idée c’était de travailler autour des fake news, donc l’IA qui brouille les limites entre le vrai et le faux était particulièrement adaptée. »

Depuis un peu moins d’un an, l’utilisation de l’IA questionne le monde de l’art. Pour u2p050, cette technologie s’est naturellement imposée dans le champ de leurs réflexions. Mais d’autres artistes s’en insurgent, estimant que ces programmes pillent leur travail. « Dans notre milieu d’artistes numériques, nous ne ressentons pas trop cette tension », note Hugo Duplessix. Les réfractaires viennent généralement du milieu du graphisme, de la communication et du jeu vidéo, où l’utilisation de l’intelligence artificielle menace assez directement de les remplacer. En témoigne le mouvement No AI Art, lancé fin 2022 par des artistes de la plateforme ArtStation, qui travaillent en majorité pour ces industries.
À voir : SMACK DAT · u2p050 jusqu’au 4 juillet, à l’Avant Galerie Vossen
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