Comment la culture et le patrimoine agissent face à la menace climatique ? Certains acteurs souhaitent poser les bases d’un changement systémique. Entre innovation et résilience, le patrimoine agit vers un futur plus respectueux de la planète. Explications.
« La culture est une ressource importante pour l'atténuation et l'adaptation au changement climatique. L'urgence de la crise signifie que nous ne pouvons pas attendre pour intégrer la culture dans l'action climatique mondiale », déclarait Ernesto Ottone R, Directeur général adjoint pour la culture de l’UNESCO, en février dernier. Et l’organisation peut compter sur la mobilisation du Centre des monuments nationaux. Son Incubateur du patrimoine abrite des jeunes pousses et organise régulièrement des évènements. L’enjeu ? Créer un véritable réseau autour de l’innovation patrimoniale et se faire rencontrer des acteurs du numérique, de l’innovation et de la culture. Au programme de la dernière rencontre ? « Le patrimoine innove et agit vers un futur plus respectueux de la planète ». Cette édition a été co-créée et animée par Diane Drubay, qui participe activement à la transformation des institutions culturelles depuis 2007 avec « We Are Museums », une plateforme qui regroupe des acteurs du monde entier pour partager les bonnes pratiques, renforcer la veille et débattre sur le futur des institutions. Pour cette rencontre ont été invités, Suzanne Reynerds, chargée de recherche à l’Institut National de Recherche Agronomique, Thanh-Tâm Lê, directeur EIT Climate -KIC France, Lucie Marinier, chargée de mission espace public innovation et prospective, Direction des affaires culturelles à la ville de Paris, Lionel Arnault, administrateur de monuments et Laurence Perrillat, co-fondatrice du collectif Les Augures.
Le rôle de la culture dans la prise de conscience des enjeux climatiques
L’art peut-il s’abstraire du changement climatique ? La question peut sembler provocante mais elle anime véritablement le corps culturel. Thanh-Tâm Lê, Directeur, EIT Climate-KIC France délivre sa vision : « Certains considèrent que l’art ne doit pas se placer au niveau de l’action concrète. Faire contribuer la création artistique à une cause qui relève du monde physique et explicite, aussi noble soit-elle, serait un détournement, voire une profanation. Étant moi-même musicien, je crois à la nécessité vitale de l’abstraction et de l’immersion totale dans l’objet artistique. Mais en même temps, je crois au besoin primordial d’immersion régulière dans le monde environnant. Si on accepte cette dualité, le dérèglement climatique, comme contexte dominant de nos sociétés humaines, ne peut pas être tenu à l’écart ni de la création artistique, ni de l’expérience que chacun fait de cette création passée ou présente ». Suzanne Reynders, chargée de recherche à l'Institut National de Recherche Agronomique (INRA), attend, elle, beaucoup du secteur culturel pour accélérer dans notre prise de conscience collective : « Ce que je trouve très important, c’est le rôle des artistes comme lanceurs d’alerte. Il faut rendre les défis climatiques saisissants d’un point de vue émotionnel pour illustrer la nécessité de changement. Les communications scientifiques alarmistes sont une chose, mais je pense que les émotions générées par les arts, faire sentir et ressentir, toucher le public sur ces enjeux est à mon avis très important ».
Transition énergétique : les débuts d’une révolution culturelle ?
Confrontée à une situation inédite, la culture manque d’historique et de manuels pour entamer sa transformation. De quoi adopter une posture d’ouverture, que l’on retrouve chez Abla Benmiloud-Faucher, cheffe de mission de la stratégie, de la prospective et du numérique au Centre des monuments nationaux : « Nous avons des actions concrètes, comme des audits énergétiques, des actions au niveau des boutiques en termes d’approvisionnement et d’éco-conception. Nous commençons à prendre conscience de l’impact caché du numérique seulement depuis quelques années. La première étape, c’est de comprendre. La seconde, c’est d’agir. Pour y arriver nous avons des enjeux de partage. Nous sommes encore dans une phase d’acculturation ». Et pour agir, il faut convaincre. Selon Laurence Perrillat, cofondatrice du collectif Les Augures, qui accompagne les acteurs culturels dans ces transitions, la transition génère des opportunités : « On ne le sait pas toujours mais l’éco-conception et la réduction des déchets sont des sources d’économies. Cela permet de développer votre notoriété et de maîtriser votre réputation pour attirer de nouveaux publics, en particulier le public jeune qui est le plus concerné par l’urgence climatique et dont les habitudes de consommation sont ancrées dans la possibilité de maîtriser leur impact environnemental. Cela permettrait de toucher des mécènes engagés, de renforcer votre activité auprès des scènes créatives et des artistes ou encore de fidéliser vos équipes. Mais aussi créer du lien, de l’entraide, de la solidarité ou d’anticiper les enjeux de normes et de réglementation auxquelles on ne pourra pas échapper dans les prochaines années ».
Expérimenter, collaborer, acculturer… les 12 travaux de la culture pour durer
Matadero Madrid, vous connaissez ? Cet ancien abattoir de la capitale espagnole abrite aujourd’hui un centre de création où se mêlent toutes sortes de disciplines dans le but d’offrir des clés de compréhension sur les impacts du réchauffement climatique. Pour Thanh-Tâm Lê, il s’agit là d’un bel exemple de fertilisations croisées. « Leur objectif est stimulant puisqu’il s’agit de projeter et d’injecter des faits scientifiques dans les formes de création originales. L’installation a duré plusieurs mois, ce qui a permis aux artistes de dialoguer régulièrement avec les chercheurs, de se forger une compréhension précise et personnelle des phénomènes scientifiques et techniques ». Une philosophie du partage que l’on retrouve également dans les travaux de Lucie Marinier, chargée de mission espace public innovation et prospective, Direction des affaires culturelles de la Ville de Paris. « On travaille par acculturation avec des échanges entre les différents équipements culturels. On tente de documenter le plus possible et de réunir des ressources. Il n’y a pas beaucoup de manuels pour travailler donc je pense que c’est important d’avoir un appel général à la responsabilité collective partagée ». Et si la réponse au défi climatique résidait dans l’Histoire, dans les techniques du passé qui sont souvent synonymes de bon sens, de sobriété et de respect de l’environnement ? C’est la question que se pose Lionel Arnault, Administrateur de monuments qui, sur le site de plusieurs hectares du Château d’Aulteribe dans le Puy-de-Dôme, renoue avec la culture de légumes en autonomie ou encore avec la sylviculture en lien avec l’Office National des Forêts et, tout cela, dans une démarche éco-responsable : « C’est facile, puisque notre passé nous enseigne beaucoup de choses. Nous voulons revenir aux choses qui sont autour de nous, être plus ancrés dans notre monument. C’est fondamental dans notre réflexion ».
Envie d’en savoir plus ? Retrouvez l’intégralité de la rencontre de l’Incubateur du patrimoine : ici.
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